Le 20 février 2018, dans un contexte alors marqué par la recrudescence des actes antisémites, Emmanuel Macron avait promis « des dispositions claires imposant les retraits dans les meilleurs délais de tous les contenus appelant à la haine ». Il avait annoncé la soumission d’une proposition de loi pour lutter contre la haine sur internet au débat parlementaire.
A la suite de ce discours, le premier Ministre, Edouard Philippe avait lancé une mission pour étudier les modifications législatives et dispositions à prendre pour « renforcer les obligations de détection, de signalement, de suppression et de prévention de contenus illicites » en ligne, dans le cadre d’un nouveau plan français contre le racisme et l’antisémitisme(1). Ladite mission a été confiée à l’enseignant franco-algérien Karim Amellal, la députée Laetitia Avia (Rapporteur du texte) et au Vice-Président du Conseil Représentatif des institutions juives de France, Gil Taïeb.
Le rapport de cette mission a été transmis au Premier Ministre le 20 Septembre 2018 (2).
Le 20 Mars 2019, une proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet a été déposée à l’Assemblée Nationale. Le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le 9 juillet 2019, et en première lecture, avec modifications par le Sénat le 17 Décembre 2019. Après un échec en commission mixte paritaire le 8 janvier 2020, la proposition de loi a été adoptée en nouvelle lecture, avec des modifications les 22 janvier et 26 février, respectivement par l’Assemblée Nationale et le Sénat.
La nouvelle loi vise les incitations à la haine, la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Elle bannira également les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine. Sont visés aussi par cette loi les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie.
Adoptée le 13 Mai 2020, cette loi instaure de nouvelles obligations pour plateformes électroniques (I), même si elle est jugée liberticide par ses nombreux détracteurs (II).
I- De nouvelles obligations pour les plateformes électroniques :
On pourrait voir en la Loi Avia, les prémisses du nouveau rôle de « gardien » d’internet, que les plateformes numérique risquent d’assumer à moyen ou long terme (3). L’intention avouée du gouvernement étant d’influer sur les discussions au niveau européen (4).
L’article 1 de la Loi Avia fait obligation aux plateformes de retirer les contenus « haineux » (5), dans un délai de 24 heures après leur notification par tout internaute. Ce délai est d’une heure lorsque les éditeurs/hébergeurs ont reçu une notification de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique par l’autorité administrative.
Les manquements à cette obligation seront sanctionnés d’une amende pouvant aller jusqu’à 250000 euros par manquement, ce montant étant susceptible d’être multiplié par 5 pour les personnes morales.
Cette loi modifie ainsi la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (6) (LCEN), qui consacrait une irresponsabilité des opérateurs techniques. En effet, d’une obligation de retrait prompt des contenus « manifestement illicite », on est passés à un délai de 24 heures.
Les articles 4 et 5 de ladite loi mettent à la charge des plateformes, des obligations « procédurales ». On citera notamment celles de nommer un représentant légal sur le territoire français, de fournir un mécanisme de notification dans la langue d’utilisation du service, une obligation de transparence.
Pour assurer le respect de ces nouvelles obligations, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est investi d’un pouvoir de contrôle (Article 7). Il pourra émettre des recommandations applicables aux plateformes et prononcer des amendes pouvant atteindre au maximum, 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’opérateur, le montant le plus élevé étant retenu. Le quantum de ces sanctions n’est pas sans rappeler le Règlement Général sur la Protection des données à caractère personnel (RGPD) (7).
Ces nouvelles obligations entreront en vigueur à compter de Juillet 2020.
Le texte n’a cependant pas manqué de soulever de nombreuses critiques de divers acteurs de la vie politique comme de la société civile.

II- Une loi liberticide ?
La loi Avia met-elle en danger la liberté d’expression ?
Certains députés de droite comme de gauche, des instances comme le Conseil national du Numérique, la Commission Nationale Consultative des droits de l’Homme, ou la Quadrature du net, pour ne citer que celles-là, semblent le penser. Certains ont pu faire état d’un « assassinat de la liberté d’expression » (8).
La célérité qui caractérise ces nouvelles procédures n’est pas sans donner raison à ses détracteurs. La loi Avia semble en effet investir les acteurs privés que sont les plateformes de pouvoirs immenses. Du côté de ces derniers, la peur des sanctions peut entraîner un risque de surcensure. Les plateformes pourraient être tentées de « retirer préventivement - par excès de prudence - des contenus pourtant licites, par crainte de voir leur responsabilité pénale engagée » (9). Ceci a motivé la saisine du Conseil Constitutionnel, le 18 mai dernier (10), par 60 sénateurs.
On pourrait également s’interroger sur les mesures prises par les plateformes pour respecter ces nouvelles obligations. Qui serait en charge de retirer lesdites publications ? Humains ? Robots ?
Que ce soit pour des contenus haineux, ou pour des contenus à caractère terroriste ou pédopornographiques, les délais indiqués par la loi rendent impossible la saisine du juge, garant des libertés individuelles, en amont du retrait des contenus.
A la décharge de la loi Avia, il est important de rappeler que dans le cadre d’un Code de conduite européen, ces mêmes plateformes s’étaient engagées (même si la base de l’engagement était volontaire) à examiner la majorité des signalement valides en moins de 24 heures, et en cas de besoin à retirer les contenus visés ou en bloquer l’accès (11). La loi prévoit également que la dénonciation abusive d’un contenu licite sera punie au maximum d’un an de prison et de 15000 euros d’amende.
Au-delà des annonces, nouvelles obligations et mesures prises par la loi Avia et des diverses controverses, il faut s’interroger sur l’éventuel impact et l’efficacité de cette dernière. La loi Avia n’est pas la première du genre. Elle s’inspire largement de la NetzDG allemande de Janvier 2018. Présentée alors comme un moyen de responsabiliser les plates-formes numériques et de faire baisser le nombre de contenus illégaux postés sur Internet, en particulier ceux visant les migrants accueillis en Allemagne, son bilan à ce jour semble plus que mitigé.

1- Proposition de loi contre la haine sur internet : cinq questions pour comprendre https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/02/21/proposition-de-loi-contre-la-haine-sur-internet-cinq-questions-pour-comprendre_5426395_4408996.html (Consulté le 06/06/20);
2- Rapport visant à renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet : https://www.gouvernement.fr/partage/10528-rapport-visant-a-renforcer-la-lutte-contre-le-racisme-et-l-antisemitisme-sur-internet (Consulté le 07/06/20) ;
3- https://www.strategies.fr/actualites/medias/4045651W/l-ue-consulte-avant-le-digital-services-act.html (Consulté le 04/06/20)
4- Projet de règlement concernant les contenus à caractère terroriste ;
5- Les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou religieux notamment ;
6- Transposant dans l’ordre interne la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique ;
7- Article 83 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 Avril 2016 ;
8- https://www.lefigaro.fr/vox/politique/sous-couvert-de-lutte-contre-les-contenus-haineux-c-est-la-liberte-d-expression-qu-on-assassine-20200512 (Consulté le 06/06/20);
9- https://www.dalloz-actualite.fr/node/lutte-contre-contenus-haineux-sur-internet-decryptage-de-loi-dite-avia#.XtidO4Zl-Hs (Consulté le 05/06/20)
10- Les parlementaires demandent au juge « d’examiner et de déclarer contraires à la Constitution la loi déférée, et en particulier ses articles1 1er, 4, 5, 7 et 8 ainsi que les dispositions qui n’en seraient pas détachables » : https://cdn2.nextinpact.com/medias/saisine-lr-18-mai-2020.pdf
11- Code de conduite européen relatif aux discours haineux illégaux en ligne http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-1937_fr.htm (Consulté le 13/06/20)