En 2015, l'affaire Leghari a marqué l'histoire en acceptant les arguments selon lesquels les manquements du gouvernement dans la lutte contre le changement climatique violaient les droits des pétitionnaires. Cette affaire fait partie d'un nouveau corps de procédures judiciaires en cours, incorporant des arguments fondés sur les droits de l'homme dans plusieurs pays, notamment les Pays-Bas, les Philippines, l'Autriche, l'Afrique du Sud et les États-Unis. Ces décisions vont dans le sens des efforts visant à reconnaître les dimensions des droits de l'homme du changement climatique, approuvées dans l'Accord de Paris. Si les efforts déployés auparavant pour engager des poursuites dans le domaine des droits de l'homme avaient échoué, les nouvelles affaires montrent que les pétitionnaires ont de plus en plus tendance à utiliser la revendication de droits dans le cadre de leurs poursuites. Ce « tournant des droits » pourrait servir de modèle ou d'inspiration pour des litiges à venir.

La pétition de 2005 devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) au nom des peuples autochtones Inuits des États-Unis et du Canada a été la première tentative internationale visant à formuler une demande de réparation pour lutter contre le changement climatique. La pétition explique en détail comment le changement climatique interfère déjà avec les droits humains des Inuits, et en compromettrait davantage, en raison de la hausse des températures et de la fonte précoce de la neige et de la glace de mer sur lesquelles ils ont fondé leurs culture, identité et économie. La pétition s'appuyait sur la protection des droits de l'homme consacrée par la Déclaration interaméricaine des droits et devoirs de l'homme, notamment les droits à la vie, à la santé, à la propriété, à l'identité culturelle et à l'autodétermination. Elle visait à établir des liens de causalité entre les actes et les omissions du gouvernement des États-Unis et la violation des droits humains des Inuit par le changement climatique. La CIDH avait conclu à l'époque qu'il n'était pas possible « pour le moment » de traiter la plainte. La Commission avait indiqué que les informations fournies ne lui permettaient pas de déterminer si les faits allégués tendaient à caractériser une violation des droits protégés par la Déclaration.

Bien que les conséquences du changement climatique pour la réalisation des droits de l'homme soient de plus en plus évidentes, la question la plus difficile qui se pose est de savoir si les effets du changement climatique sur ces droits fournissent la preuve d'une violation pouvant donner lieu à une action. Ces actions présentent des obstacles considérables comme : celui d'établir des liens de causalité entre les émissions de GES d'un pays ou les défaillances des politiques d'adaptation et d'atténuation, et les impacts précis du changement climatique sur les droits de l'homme ; l'identification de manière spécifique des effets du changement climatique, en particulier lorsqu'il provoque d'autres types de dommages sociaux, économiques et politiques.

Dix ans plus tard et à la veille de l'Accord de Paris, une nouvelle série d'affaires apparaissent. Dans ces recours les pétitionnaires ont formulé une partie de leurs revendications en termes de droits.

Dans l'affaire Leghari, le demandeur avait plaidé sa cause devant la Cour de Lahore en présentant un litige d'intérêt public, qui constitue une exception aux règles de droit coutumier de la common law afin de permettre le respect des droits fondamentaux protégés par la Constitution pakistanaise à l'égard d'un groupe, tel que les pauvres ou d'autres groupes vulnérables. M. Leghari avait fait valoir que le changement climatique constituait une menace sérieuse pour la sécurité de l'eau, de l'alimentation et de l'énergie au Pakistan et portait donc atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution pakistanaise, notamment le droit à la vie, à la dignité de la personne et à la vie privée, et le droit de propriété. La Haute Cour a considéré le changement climatique comme un « défi de taille » et a fait appel à la protection des droits fondamentaux des citoyens, en particulier les segments vulnérables et faibles de la société qui sont incapables de saisir la justice.

Dans d'autres affaires récentes ont été avancés des arguments en matière de droits, renforçant ainsi la tendance jurisprudentielle ouverte par les décisions déjà citées. Les droits ont été invoqués et dans une plainte déposée devant la Commission des droits de l'homme des Philippines, les pétitionnaires font valoir que le manquement des défendeurs à réduire les émissions de GES de manière adéquate pour éviter ainsi les pires effets du changement climatique constitue une violation des droits constitutionnels des pétitionnaires. Aucune de ces actions n'a eu pour l'heure de résultat, et il est difficile de prédire les résultats tant, souvent, des questions procédurales viennent s'enchevêtrer avec les questions de fond. Ainsi par exemple, dans l'affaire Juliana, les demandeurs ont plaidé le fait que les actions - inaction - du défendeur (l'administration) consistant à ne pas prendre des mesures suffisantes pour atténuer de manière adéquate le changement climatique, violaient les droits substantiels des requérants en matière de procédure : droits à la vie, à la liberté et à la propriété, comme le prévoit la Constitution. L'affaire est toujours en cours et une décision est attendue dans les mois prochains concernant ces points.

Dans le cas de l'Autriche, il s'agissait de l'approbation par le gouvernement de Basse-Autriche d'une troisième piste à l'aéroport international de Vienne. Dans le cas de l'Afrique du Sud, la décision contestée était celle du ministre des affaires environnementales de délivrer une autorisation environnementale pour une nouvelle centrale au charbon avant la prise en compte d'une évaluation de l'effet du changement climatique sur l'environnement. Des droits fondamentaux dans ces deux cas ont été avancés en complément des revendications principales axées sur le respect par le gouvernement des obligations statutaires. Dans l'affaire de l'aéroport de Vienne, les dispositions relatives aux droits de l'homme discutées devant le Tribunal administratif fédéral autrichien comprenaient l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui préconise un « niveau élevé de protection de l'environnement » et l'amélioration de la qualité de l'environnement « à intégrer dans les politiques de l'Union européenne ». Le recours faisait appel aussi aux dispositions de la Constitution fédérale autrichienne engageant l'État sur le principe de durabilité et une protection globale de l'environnement ainsi que les dispositions de la Constitution de la province autrichienne inférieure, qui prévoient l'engagement de l'État à garantir des conditions de vie et qui font spécifiquement référence à la protection de l'environnement et du climat. En première instance, le juge avait retenu une partie de ces arguments et avait rendu un jugement favorable à l'ONG. En appel, la décision a été renversée et les juges ont décidé que le projet de construction de la piste n'était pas contraire au droit autrichien.

Dans l'affaire Earthlife Africa, l'ONG avait soutenu parmi d'autres arguments que les exigences législatives pertinentes devraient être interprétées à la lumière de divers instruments nationaux et internationaux, notamment de l'article 24 de la Constitution sud-africaine, qui consacre le droit à un environnement sain. La Cour avait ainsi retenu l'obligation constitutionnelle, en expliquant que lorsqu'elle interprète une loi qui implique ou affecte des droits protégés par la Charte des droits constitutionnels, il convient de promouvoir, dans le processus d'interprétation, non seulement le sens, mais également l'objet de protection contenu dans le texte.

En 2017, les Amis de l'environnement irlandais ont intenté une action contre le gouvernement irlandais dans le but de le tenir responsable du rôle qu'il avait joué dans la lutte contre le changement climatique. L'action affirme qu'en approuvant le plan d'atténuation national de 2017, le gouvernement irlandais viole la loi de 2015 sur les actions en faveur du climat et la réduction des émissions de carbone de l'Irlande, ainsi que la Constitution et ses obligations en matière de droits de l'homme, et ne respecte pas les engagements de l'Irlande au titre de l'Accord de Paris.

Dans l'arrêt d'appel du 9 octobre 2018 contre la première décision Urgenda, les juges ont rendu une décision fondée sur les droits de l'homme contenus dans la Conv. EDH. Ils ont fait un lien entre la nécessité de « redoubler » les efforts d'atténuation d'émissions de CO2 et la protection des droits fondamentaux qui seraient violés si l'État n'agit pas sans tarder. La Cour a estimé que ne pas agir constituerait une violation des droits consacrés par les articles 2 et 8 de la Conv. EDH. L'État aurait ainsi des obligations positives « climatiques ». Selon les juges, le gouvernement aurait un « devoir d'agir », une « obligation de diligence climatique », fondé sur le « duty of care », l'obligeant à protéger non seulement la vie de ses concitoyens mais également leur domicile et leur vie familiale, qui pourraient se voir menacés par les effets du changement climatique.

L'argument fondé sur une possible violation des articles 2 et 8 de la Conv. EDH a été repris également récemment dans l'affaire de la troisième piste de l'aéroport de Heathrow mais sans succès et dans le recours actuellement porté devant le tribunal administratif de Paris dans « l'Affaire du siècle ». Il sera également mobilisé dans un recours en Italie. Malgré ce succès apparent, le résultat de ces arguments dépend en large partie de la lisibilité et acceptabilité de tels fondements devant les juges nationaux, qui peuvent être plus ou moins enclins à la perméabilité de la théorie des obligations positives de l'État dans le cadre de la Conv. EDH et de son influence dans l'évolution du droit interne. Pour ces raisons, il est intéressant d'examiner la voie consistant à tenter de faire progresser le droit de l'environnement dans le cadre de la lutte contre le changement climatique en « climatisant » les outils qui existent déjà.