Saisie par la Cour constitutionnelle belge au titre de l’article 267 TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne a, dans un arrêt du 29 juillet 2019, répondu a une question préjudicielle portant sur l’application aux centrales nucléaires belges de la Convention d’Espoo , de la Convention d’Aarhus , de la directive EIE , de la directive « habitats » et de la directive « oiseaux » . Cette demande a été présentée dans le cadre du litige opposant Inter-Environnement Wallonie ASBL et Bond Beter Leefmillieu Vlanderen ASBL au Conseil des ministres, portant sur la validité de la loi du 28 juin 2015 prolongeant l’activité des centrales Doel 1 et Doel 2.

En 2003, le législateur belge adoptait un calendrier d’arrêt progressif de la production nucléaire d’électricité. Outre le non-renouvellement des centrales, les réacteurs en activité devaient être progressivement mis hors service. Ainsi, les centrales de Doel 1 et Doel 2 devaient cesser de produire de l’électricité en 2015. Or, en juin 2015, le législateur a prolongé l’activité industrielle de la centrale Doel 1 et de la centrale Doel 2, retardant ainsi de 10 ans leur fermeture. Afin de moderniser les centrales et de se conformer aux nouvelles normes de sécurité, des travaux d’envergure devaient être réalisés sur ces deux centrales.

Les deux associations Inter-Environnement Wallonie ASBL et Bond Beter Leefmillieu Vlanderen ASBL ont saisi la Cour constitutionnelle belge d’un recours en annulation de cette loi, arguant que la loi autorisant la prolongation avait été adoptée sans évaluation environnementale et sans procédure associant le public, en contravention avec le droit international et communautaire. La Cour constitutionnelle belge a demandé à la Cour de justice d’interpréter ces conventions et directives afin qu’elle détermine si les conditions qu’elles posent, notamment en matière d’évaluation des incidences sur l’environnement, s’appliquent à la loi prolongeant la durée de la production industrielle d’électricité par des centrales nucléaires.

En premier lieu, la Cour constate que les travaux d’envergure sur les centrales sont de nature à modifier la réalité des sites concernés. Si ces travaux ne ressortent pas de la loi du 28 juin 2015 mais d’une convention du 30 novembre 2015 conclue entre l’Etat belge et une entreprise privée, ils sont étroitement liés à la loi déférée. Aussi, la Cour de justice estime que, dès lors que le législateur devait avoir connaissance de ces travaux, ceux-ci sont indissociablement liés aux mesures figurant dans la loi et font donc partie d’un même « projet » au sens de la directive EIE (§94).

D’autre part, la Cour retient que le projet ainsi visé doit être regardé comme étant d’une ampleur comparable, en termes de risques d’incidences environnementales, à celui de la mise en service initiale des centrales. Pour tenter de se soustraire à l’obligation d’évaluation des risques, les autorités belges avaient argué de la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Belgique. Mais la Cour rejette cet argument en rappelant qu’un Etat membre ne peut être exempté d’une telle obligation qu’à la condition qu’il démontre « que le risque pour la sécurité de cet approvisionnement est raisonnablement probable et que le projet en cause présente un caractère d’urgence susceptible de justifier l’absence d’une telle évaluation » (§102).

Elle en conclut qu’un tel projet doit être impérativement soumis à l’évaluation de ses incidences environnementales, prévue par la directive EIE, notamment à la procédure d’évaluation transfrontalière prévue par la directive en raison de la situation géographique des deux centrales (celles-ci se trouvent à proximité de la frontière belgo-néérlandaise).

S’agissant de la directive « Habitats », dont l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, précise que, à la suite de la réalisation de l’évaluation appropriée, les autorités nationales compétentes « ne marquent leur accord » sur un projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public, après avoir souligné les risques inhérents aux travaux d’envergure du projet (§ 137), la Cour estime qu’elle doit être interprétée de telle sorte que des mesures telles que celles en cause en l’espèce constituent un projet qui doit être soumis à une évaluation appropriée de ses incidences sur les sites protégés (§ 139-141). La Cour note que « la circonstance que la mise en œuvre de ce projet doit faire l’objet d’actes ultérieurs, en particulier, s’agissant de l’une des deux centrales concernées, d’une nouvelle autorisation individuelle de production d’électricité à des fins industrielles, ne saurait justifier l’absence d’évaluation appropriée de ces incidences avant l’adoption de cette législation » (§ 144).

Enfin, la Cour rappelle les limites des effets rattachés à l’évaluation de l’article 6, paragraphe 3 en indiquant que « dans l’hypothèse où, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation effectuée conformément à l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de cette directive, et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou un projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’Etat membre doit prendre toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée » (§148). Enfin, si elle reconnaît que la sécurité de l’approvisionnement en électricité d’un Etat membre constitue une raison impérative d’intérêt public majeur, la Cour rappelle que, dans l’hypothèse où des sites abritant un type d’habitat naturel ou une espèce prioritaire sont susceptibles d’être affectés par le projet, le juge doit vérifier que seule la nécessité d’écarter une menace réelle et grave de rupture d’approvisionnement en électricité est de nature à constituer une raison de sécurité publique au sens de l’article 6, paragraphe 4 de la directive (§159). « Autrement dit, comme le note Corinne Le Page, le seul objectif d’assurer la sécurité de l’approvisionnement ne suffit pas à détruire ou menacer des espèces et/ou des espaces ainsi protégés ».

Concernant l’application de la Convention d’Espoo et de la Convention d’Aarhus, la Cour considère que la directive EIE reprend en substance ces textes.
Sources :
Convention conclue à Espoo le 25 février 1991 et approuvée au nom de la Communauté européenne par décision du 27 juillet 1997 (JO 1992, C 104, p. 7).

Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus, le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1).

Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1).

Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193).

Directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), modifiée en dernier lieu par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, portant adaptation de certaines directives dans le domaine de l’environnement, du fait de l’adhésion de la République de Croatie (JO 2013, L 158, p. 193).
C. Le Page, « Comment la justice européenne pourrait impacter considérablement le programme nucléaire français ? », https://www.actu-environnement.com/ae/news/commentaire-arret-cjue-prolongation-centrale-nucleaire-belge-corinne-lepage-33959.php4