
Comment lutter contre la pêche illicite dans les eaux closes ?
Par Nelly SUNDERLAND
Elève avocat
Ministère de l'Environnement, du Développement Durable, du Logement et des Transports
Posté le: 25/03/2011 9:45
La pêche en eau douce, communément décrite comme la « pêche fluviale », est issue d’une réglementation ancienne. Elle est le fruit de l’évolution des règles de droit romain et du droit coutumier germanique. Les principaux textes nationaux relatifs au droit de la pêche et à la gestion durables des ressources sont la loi sur la pêche du 29 juin 1984, la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 aujourd’hui remplacée par la loi du 30 décembre 2006. Ces textes ont la particularité de traiter tant du droit de la pêche ou de la gestion durable des ressources en eau et des ressources piscicoles, que de la protection des milieux aquatiques (rivières, eaux souterraines, zones humides, littoral, milieux méditerranéens, lagunes) des poissons ainsi que de toutes autres espèces animales et végétales.
En France, la réglementation relative au droit de la pêche n’a pas vocation à s’appliquer sur le fonds d’un propriétaire. Il s’agit des plans d’eau ou cours d’eau que l’on qualifie communément « d’eau close ». La distinction entre « eaux libres » et « eaux closes » provient de la loi du 18 juin 1923 - qui avait autorisé l’installation d’enclos piscicoles dans les cours d’eau. Ce texte dérogeait à l’interdiction de placer des barrages (« parquage de bétail d’eau ») afin d’empêcher la circulation du poisson. Puis, la loi du 23 novembre 1957 s’est attachée à qualifier la notion d’ « eaux libres », en laissant libre de toute qualification juridique celle d’ « eaux closes ». La notion d’ « eaux closes » a donc continué à désigner les enclos piscicoles tout en se distinguant des étangs ou réservoirs dont le poisson res propria n’était pas soumis à la réglementation pêche. La res propria est une chose qui est la propriété d’un sujet de droit. Elle est issue de la racine latine « res » qui signifie « chose ».
Eu égard à la confusion opérée par la « loi pêche » de 1984 concernant la distinction entre le droit de l’eau et le droit de la pêche, le rapport Vestur « Eaux libres, eaux closes » de 2005 avait pour vocation de remédier à cette problématique. Cette étude a notamment abordé la distinction entre « eaux libres » dans lesquelles le poisson passe librement et la notion d’ « eaux closes » qui ne permettent pas son passage naturel. A l’origine, ce critère de la libre circulation des eaux avait pour vocation de lutter contre la pollution et de protéger l’eau. Ce rapport ne libère cependant pas le propriétaire d’un plan d’eau clos de certaines obligations. En effet le rapport prévoyait la mise en place du « principe d’une contribution des propriétaires d’étangs et des piscicultures aux charges générées par la protection et la gestion du milieu aquatique et la question de ses modalités relève de considérations d’équité et d’opportunité qu’il appartient au Parlement de peser ». C’est dans ce contexte que le contentieux traditionnel entre les fédérations de pêcheurs et les propriétaires de plans d’eau -en raison de la communication existante entre les eaux libres et les eaux closes- a conduit le législateur à intervenir en 2006. La loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a modifié le champ d’application du dispositif. Désormais, les eaux closes sont les « fossés, canaux, étangs, réservoirs et autres plans d’au dans lesquels le poisson ne peut [pas] passer naturellement ». Autrement dit, la législation sur la pêche en eaux libres s’applique à tous ceux qui exerce l’activité de pêche, « en quelque qualité et dans quelque but de que ce soit ». Cette réglementation ne vise que les cours d’eau et canaux en amont de la limite de salure, c’est-à -dire la délimitation entre les eaux marines et les eaux fluviales. Ce critère est généralement utilisé pour déterminer les communes littorales.
Le décret du 15 mai 2007 est ensuite intervenu afin de définir largement la notion d’ « eaux closes ». Cela devait permettre de distinguer plus facilement les deux notions d’ « eaux libres » et d’ « eaux closes ». Ainsi, « Constitue une eau close au sens de l’article L. 431-4 le fossé, canal, étang, réservoir ou autre plan d’eau dont la configuration, qu’elle résulte de la disposition des lieux ou d’un aménagement permanent de ceux-ci, fait obstacle au passage naturel du poisson, hors événement hydrologique exceptionnel. Un dispositif d’interception du poisson ne peut, à lui seul, être regardé comme un élément de la configuration des lieux au sens de l’alinéa précédent ». A la suite de l’entrée en vigueur du décret du 15 mai 2007, le Conseil d’Etat est venu réaffirmer la nouvelle définition des eaux closes pour mettre un terme à la polémique naissante. Aujourd’hui, on peut définir les eaux closes comme les eaux qui, à la différence des eaux libres, ne communiquent pas avec d’autres cours d’eau ou plans d’eau. Elles sont en tout ou en partie exclues du champ d’application de la réglementation de la pêche. Cette dernière n’a donc pas vocation à s’appliquer dans les eaux closes. En pratique, la distinction entre eaux libres et eaux closes, en particulier leur différence de régime juridique continue à poser des difficultés d’application, en particulier concernant l’anguille qui a vocation à passer par les terres dans le cadre de son processus de migration. Plusieurs questions ne sont pas encore résolues. On peut s’interroger sur la possibilité offerte aux pêcheurs d’exercer l’activité de pêche dans les eaux closes. Dans cette hypothèse, sous quel régime juridique doit-on se placer ?
I. Droit de propriété et préservation de l’environnement : une conciliation difficile
Aux termes de l’article 524 du code civil, les poissons qui vivent dans le plan d’eau d’un propriétaire d’un fonds d’immeubles par destination. L’article 516 du code civil rappelle que tous les biens sont meubles ou immeubles. L’immeuble est défini comme un bien que l’on ne peut pas déplacer tel un morceau de terrain. Au contraire, les meubles sont considérés comme des biens qui peuvent eux même ou par l’effet d’une force extérieure être déplacés. Pourtant, la loi a prévu que dans certaines hypothèses certains meubles seraient qualifiés d’immeubles. Il s’agit des biens qu’il est intéressant de rattacher à l’immeuble auquel il est lié économiquement. Cette question de la qualification du bien immeuble par destination a plusieurs enjeux que sont la récupération du bien ou son dédommagement en cas de vente sur le plan civil, ainsi qu’une qualification de vol sur le plan pénal. Pour qu’un bien meuble soit qualifié de bien immeuble par destination, il convient de remplir deux conditions cumulatives. Le meuble et l’immeuble doivent être la propriété de la même personne ; et il doit exister un rapport objectif de destination entre les deux biens, c’est-à -dire que chacun doit être en mesure de constater que le bien est attaché à la propriété du fonds. Le propriétaire ne sera pas tenu de s’acquitter de la contribution financière destinée à assurer le repeuplement piscicole. En effet, le poisson en eau libre ne pouvant pas circuler dans les eaux closes appartenant au propriétaire, le droit de propriété de l’article 544 du code civil a vocation à s’appliquer pleinement. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé ». En ce sens, il s’agit de s’assurer de la gestion équilibrée entre la préservation du milieu aquatique et le respect des droits fondamentaux des propriétaires.
La question est de savoir à quel moment le poisson est considéré comme approprié. Alors que le poisson pêché dans les eaux libres est un res nullius et s’acquiert par appropriation, dans les eaux closes, le poisson se trouvant déjà approprié, la jurisprudence considère qu’il « ne doit même pas être parlé de pêche (le terme impliquant l’idée d’une appropriation par occupation), mais de droit de capture du poisson ». La question de la prise irrégulière ou non de l’animal ne remet pas en cause l’acquisition de celui-ci. Il est donc indifférent que le pêcheur ait opéré sur son propre terrain ou sur celui d’autrui. C’est ainsi que la pêche du poisson par voie d’occupation est indépendante du droit réel sur l’immeuble et du droit de pêcher. Le contrevenant sera néanmoins responsable au titre des infractions à la police de la pêche, ainsi que la condamnation à une réparation civile au titre de la constitution de partie civile par les associations de pêcheurs. Néanmoins, la qualification juridique de res nullius du poisson en eaux libres pose quelques difficultés d’application des modes de réparations civiles en cas d’infractions puisque « le poisson est, en règle générale, considéré comme res nullius au sein de la rivière, ce qui ne permet pas au titulaire du droit de pêche de modeler sa demande en réparation sur la valeur vénale de la valeur du poisson détruit ». Le contrevenant peut également se voir confisquer l’objet de l’infraction. Cette confiscation est néanmoins soumise à conditions puisque la confiscation suppose « l’acquisition préalable par lui (le contrevenant) de la propriété. On peut donc conclure comme en matière de chasse que l’acquisition civile de la propriété demeure en elle-même indépendante du caractère licite ou illicite de la pêche ».
Reste à déterminer quelle qualification juridique que nous pouvons donner à l’anguille qui a vocation, lors de sa migration, à circuler par les terres. Autrement dit, le statut juridique de l’anguille -qui provient d’ « eaux libres » et qui, lors de sa migration, se retrouve dans un plan d’eau non domanial (« eaux closes »)- change-t-il lorsqu’il est pêché ? Les anguilles qui, in fine, se retrouvent dans les plans d’eau sont-elles soumises à la réglementation relative au plan de gestion de l’anguille ? Ces dernières doivent-elles être comptabilisées dans le quota de pêche annuel ? Cette question est d’autant plus importante et problématique que sur les eaux closes, la législation relative à la pêche ne s’applique pas. Le poisson qui est présumé être un immeuble par destination appartient au propriétaire du plan d’eau. Aussi, que penser des textes relatifs à l’obligation d’avoir une autorisation spécifique sur l’anguille, leurs dates de pêche, etc. ? D’autant plus que la capture du poisson dans les plans d’eau peut être exercée en l’absence de toute carte de pêche.
« Le droit de propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». Le propriétaire dispose donc, en principe, d’un pouvoir absolu sur ses biens. Cependant, la seconde partie de l’article 544 du code civil limite cet absolutisme. Le propriétaire doit respecter l’usage qui en fait par les lois et les règlements. Le Conseil constitutionnel a reconnu au droit de propriété une valeur constitutionnelle, au regard de la Déclaration de 1789, elle-même visée par le préambule de la Constitution de 1958. Le droit de propriété semble être protégé de toutes formes d’atteintes. Le Conseil d’Etat est allé jusqu’à ériger la notion de propriété au rang des libertés fondamentales protégées par le référé-liberté. Progressivement, la notion de « propriété » s’est étendue. De la protection attachée à l’intérêt individuel, on passe de plus en plus à une protection collective de la propriété. Les premières restrictions qui existe quant à l’absolutisme du droit de propriété figurent aux articles 544 et 545 du code civil. On peut citer notamment l’existence de démembrements forcés imposés au propriétaire par le législateur.
Dans une autre mesure, l’intérêt général s’est affirmé en matière de protection de l’environnement notamment concernant l’exploitation de terres ou les aménagements dans les espaces protégés. C’est ainsi que le droit de propriété n’est plus perçu dans l’intérêt exclusif du propriétaire. Les limitations à la souveraineté du droit de propriété s’étendent dans ce contexte actuel de protection et de préservation de l’environnement.
En matière de droit de pêche des riverains, l’article L.435-4 du code de l’environnement dispose que « Dans les cours d’eau et canaux autres que ceux prévus à l’article L.435-1 [droit de pêche de l’Etat], les propriétaires riverains ont, chacun de leur côté, le droit de pêche jusqu’au milieu du cours d’eau ou du canal (…) ». Sur cette base, le propriétaire d’un fonds a la possibilité de louer son plan d’eau ou son cours d’eau situé sur son fonds. On parle de bail de pêche. Toutefois, le code civil français n’en fait pas état au même titre que le bail de chasse. Le bail de chasse est considéré comme un bail rural soumis aux règles habituelles du contrat de louage des choses prévues par l’article 1709 du code civil. L’article 1709 du code civil dispose en effet que « le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ». Cette définition ne semblerait pas être applicable à la notion de bail de pêche qui serait davantage qualifié de location d’un droit. Autrement dit, le propriétaire loue un des trois attributs de la propriété de son fonds permettant, au locataire de capturer le poisson. Il est rappelé que le droit de propriété comporte trois attributs que sont l’usus qui est le droit d’user de la chose, le fructus qui est le droit de percevoir les fruits et les produits, et l’abusus qui est le droit de disposer de sa propriété comme on l’entend. La doctrine reconnaît trois caractères fondamentaux du droit de propriété ; un caractère exclusif puisque, en principe, une chose appartient au propriétaire seul, un caractère absolu car le propriétaire peut faire ce qu’il veut de sa chose, et enfin un caractère perpétuel c’est-à -dire que le droit subsiste tant que dure la chose sur lequel il porte. Si le propriétaire est doté des trois attributs du droit de propriété, il peut dans certains cas consentir à un démembrement de son droit de propriété. Il peut s’agir de l’usufruit ou de la nue-propriété.
La location du droit de pêche peut être assimilée au droit de jouissance, deuxième attribut du droit de propriété. Le projet de réforme de droit des biens de 2008 aborde d’ailleurs cette question. Le titre IV relatif aux démembrements de la propriété s’est intéressée à une question nouvelle ; celle du droit réel de jouissance spéciale. En effet, l’article 608 du projet de réforme dispose que « Le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un ou plusieurs droits réels conférant le bénéfice d’usage spécial ou d’une jouissance spéciale d’un ou plusieurs de ses biens. Les droits réels de jouissance sur le domaine public s’établissent et s’exercent dans le cadre du code général de la propriété des personnes publiques et selon les lois qui les régissent. » Le mode de constitution de ce droit spécial est analogue à l’usufruit, et s’exerce dans le respect de la destination normale du bien. Le titulaire du droit réel de jouissance bénéficie des mêmes prérogatives que l’usufruitier et est soumis aux mêmes obligations que celui-ci. Enfin, le droit de jouissance spéciale s’éteint selon quatre modalités :
a. « Par l’expiration du temps pour lequel il a été consenti, lequel ne peut excéder trente ans ;
b. Par la réunion dans le même patrimoine des deux qualités de bénéficiaire de la jouissance spéciale et de propriétaire ;
c. Par le non-usage pendant une durée déterminée, le cas échéant, par la convention ;
d. Par la perte totale de la chose sur laquelle il a été établi. »
Le groupe de travail qui a œuvré pour ce projet de réforme précise que cette notion de « droit de jouissance spéciale » est totalement innovante. Celle-ci vise à créer un droit de jouissance qui ne porterait pas sur la totalité du bien, mais simplement sur une ou plusieurs de ses utilités. Ce droit réel pourrait notamment porter sur le droit de pêcher sur le bord d’un étang. Le groupe de travail met en exergue que ce droit de jouissance spéciale ne sera pas limité. Il n’aurait donc pas pour finalité de contourner les règles impératives du droit d’usage et d’habitation, de l’usufruit, ou de tout autre droit réel réglementé.
L’effort de simplification et de clarification du droit a conduit la Commission de réforme du droit des biens à faire la constatation suivante ; la Commission a opté pour une approche économique du droit des biens dans un souci de valorisation de la propriété et des biens. L’Association Henri Capitant part du postulat que la propriété s’est transformée, dans son étendue et son exercice. Cependant, les biens se sont multipliés et diversifiés. Elle se caractérise aujourd’hui par sa flexibilité car elle peut désormais se décomposer de diverses manières par des démembrements et des dissociations que les auteurs du code civil ne pouvaient pas imaginer. C’est pourquoi la Commission propose la création de ce nouveau « droit de jouissance spéciale » qui marquerait profondément cette volonté de diversification des droits de jouissance qui deviendraient ici une catégorie ouverte à l’initiative des intéressés. Ces droits pourraient porter sur tous les biens mobiliers ou immobiliers et sur un ou plusieurs biens. Ce seraient des droits très largement ouverts ne conférant, contrairement à l’usufruit, qu’une ou plusieurs utilités de certains biens librement déterminées par les intéressés, par exemple le droit de pêcher ou de faire de la voile ou de la chasse sur une propriété. Ces nouveaux droits de jouissance spéciales devraient permettre d’offrir une plus grande souplesse dans certaines opérations patrimoniales et accroître les potentialités que recèlent les immeubles.
Enfin, on constate depuis quelques décennies que la société moderne est en pleine métamorphose. Comme nous l’avons abordé précédemment, le caractère individualiste de la propriété laisse de plus en plus la place à un caractère plus collectif qui prend davantage en compte l’intérêt général. Cette évolution prétorienne de la notion de « propriété » ressort d’ailleurs des propos de Portalis concernant un projet de loi relatif à la propriété. « Si nous découvrons le berceau des nations, nous demeurons convaincus qu’il y a des propriétaires depuis qu’il y a des hommes ». L’évolution du XIXe siècle est personnalisée dans notre prise de conscience de la nécessité de protéger l’environnement. Les restrictions apportées à l’absolutisme du propriétaire sur sa chose permet ainsi de favoriser l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Il semblerait que la jurisprudence mette en exergue la seconde partie de l’article 544 du code civil, « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ».
La question serait alors de savoir s’il est possible de promulguer un règlement spécifique aux espèces protégées qui viendrait, sur la base du droit prospectif relatif au droit de jouissance spéciale que nous venons d’aborder, limiter le droit de propriété du propriétaire lorsque ces espèces seraient amenées à se retrouver sur sa propriété. On pense tout particulièrement à l’anguille res nullius qui a vocation à traverser les champs et à se retrouver malencontreusement sur un terrain privé. La haute juridiction s’est d’ailleurs récemment illustrée sur le sujet. La troisième chambre civile de la cour de cassation a, le 4 janvier 2011, rejeté la demande d’un plaideur qui se prévalait de l’inconstitutionnalité de l’article 1722 du code civil au regard du principe du droit au respect de sa propriété privée inséré aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’article 1722 du code civil dispose que « si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucune dédommagement. ». Pour le requérant, ce texte est inconstitutionnel en ce que le preneur à bail est privé de sa créance d’indemnité d’éviction sans que cette privation qui touche, in fine, ses biens ne soit justifiée par un intérêt général. La haute juridiction n’est pas parvenue à la même conclusion puisqu’elle retient, pour rejeter la demande du plaideur, que « en excluant tout dédommagement lorsque le bail est résilié de plein droit par suite de la disparition fortuite de la chose louée, l’article 1722 du code civil ne fait manifestement que tirer la conséquence nécessaire de la disparition de l’objet même de la convention que les parties avaient conclu et poursuit un objectif d’intérêt général en assurant, lors de l’anéantissement de leurs relations contractuelles dû à une cause qui leur est étrangère, un équilibre objectif entre les intérêts respectifs ». Ainsi, on perçoit une montée en puissance de la « collectivisation » du droit de propriété dont les intérêts collectifs de la société priment sur les intérêts personnels du propriétaire.
II. La pêche illicite dans les eaux closes
Le contentieux relatif à la distinction entre les eaux libres et les eaux closes a fait l’objet d’un arbitrage délicat dans la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques. Il serait donc politiquement exclu de remettre en cause le statut « eaux close » pour la seule espèce anguille. Cependant, compte tenu du fait que l’anguille, espèce amphihaline qui a la particularité de vivre alternativement en eau douce et en eau salée, fait actuellement l’objet d’une menace d’extinction, une attention particulière sera portée aux problèmes de braconnage et de pêche illicite au sein des plans d’eau ou cours d’eau non domaniaux.
Au cours de son stade d’évolution, l’anguille peut remonter naturellement par reptation dans un étang classé eau close. Le propriétaire est en principe libre de s’approprier le produit de sa pêche. C’est lors de cette remontée que l’anguille circulant librement dans les eaux libres peut être amenée à se retrouver dans les eaux closes. En partant du postulat de base que la législation pêche ne s’applique pas aux eaux closes, et que le poisson ne circule en principe pas, on devrait pouvoir affirmer que l’anguille ne devrait pas avoir pour vocation à s’y retrouver. Il est donc nécessaire de s’intéresser au mode de gestion, par le propriétaire, du plan d’eau pour déterminer si celui-ci ne favorise pas l’arrivée de l’anguille par tous moyens. C’est sur la base de cette réflexion que deux pistes de préconisations peuvent être apportées.
Tout d’abord, déterminer les possibilités de mise en place d’une incrimination systématique des pêcheurs, qui pêcheraient en eau close, en possession d’anguilles à moins que ces derniers ne puissent justifier d’un titre de propriété sur l’anguille à la suite notamment d’un achat ou d’un repeuplement dans ces eaux. Ainsi, on s’attarderait sur la création d’une présomption de braconnage. Au moyen d’un renversement de la charge de la preuve issu de l’article 1315 du code civil, l’anguille pêchée dans un plan d’eau privé ne pourrait plus être, ipso facto, qualifiée de res propriae. Pour s’assurer d’une conciliation effective entre le respect de l’environnement et le droit de propriété du propriétaire du plan d’eau, la référence législative la plus adéquate semblerait être celle issue de la seconde partie de l’article 544 du code civil. Cet article issu de la loi du 27 janvier 1804 dispose que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ». L’anguille, figurant en annexe II de la CITES depuis 2007, constituerait éventuellement un prémisse d’être classée à terme au rang des espèces protégées. Préserver l’environnement apparaît comme un principe fondamental. En effet, la Charte de l’environnement a été intégrée au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, lui conférant de ce fait valeur constitutionnelle. La Charte reprend un certain nombre de principe qualifiés de « 3ème génération ». Ces principes ont déjà été consacrés dans des textes à valeur législative ou le plus souvent dans des textes internationaux. La Charte de l’environnement consacre également un nouveau droit, celui du « droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé ». La charte innove en créant la notion de devoir ; celui de prendre part à la préservation de l’environnement. C’est la première fois que cette notion de devoir prend une valeur normative.
C’est dans ce contexte qu’on justifierait la mise en place d’une présomption de braconnage au regard, d’une part, de la nécessité de concilier les deux principes à valeur constitutionnelle que sont la préservation de l’environnement et le droit de propriété, et d’autre part, l’évolution récente vers une collectivisation du droit de propriété prenant davantage en compte l’intérêt général.
Ensuite, la seconde préconisation résulterait de la création de clauses de protection de l’anguille (ou autre poisson migrateur protégé). Ces dernières seraient intégrées dans les contrats de bail de pêche entre les propriétaires de plans d’eau et les associations de pêche ou les pêcheurs privés. Pour établir cette hypothèse, on pourrait se référer à la réglementation applicable en matière de droit de chasse. La chasse est comptée au titre d’une des activités inhérente à la survie de l’espèce les plus anciennes de notre droit. Issu des peuples de l’Antiquité, il était considérer comme le plus noble des exercices. On citera par exemple le traité sur la chasse de Xénophon ou encore les poèmes d’Horace. Cependant, l’exercice du droit de chasse a progressivement été limité. Certes, le droit de chasse est considéré comme un élément du droit de propriété, toutefois, une grande relativité entre le droit de chasse et le droit de propriété se serait installée.
Les règles nouvelles de gestion du droit de chasse au regard du droit de propriété amène certaines constatations. Le propriétaire d’un terrain est soumis à un certain nombre d’obligations visant la conservation d’un habitat, d’un espace particulier ou de la faune sauvage, du gibier se trouvant sur le fonds. Les conventions internationales, le droit européen et plus spécifiquement les directives communautaires nous font prendre conscience de la nécessité de protéger l’environnement. Les obligations pesant sur les propriétaires s’intensifient ; elles résultent notamment de la convention de Bonn, de la convention de Berne ou encore des Directives des 2 avril 1979 et 21 mai 1992. Avec l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 1963, on insère les articles L.225-1 à 4 dans le code rural afin d’instaurer un plan de chasse, lequel impose au propriétaire, dans un premier temps, des quotas de prélèvement des grands gibiers qu’il pourrait chasser sur son fonds, voire lui en interdire complètement la capture s’il ne dispose pas suffisamment de cette espèce sur son fonds. On peut également lui imposer un prélèvement supérieur à sa demande. Ce système est ensuite devenu obligatoire à l’ensemble des grands gibiers présent sur le sol national. Certains auteurs constatent l’existence d’une atteinte au droit de propriété du fait de la création d’une réglementation stricte des prélèvements d’animaux sauvages, ainsi qu’une dissociation de plus en plus marquée entre le droit de chasse et le droit de propriété. Le droit de propriété se métamorphose progressivement en un devoir de conservation de la faune sauvage et de ses habitats. Ce devoir de gestion se justifie par l’article 1er de la loi du 10 juillet 1976 modifiée relative à la protection de la nature. C’est ainsi que la montée en puissance de la préservation de l’environnement se fait sentir au détriment du droit de propriété en raison de l’obligation, pour le propriétaire, de remplir certaines règles touchant l’intérêt général.
C’est sur le fondement de la réglementation applicable en matière de chasse sur un terrain privé qu’il serait envisageable de restreindre le droit de propriété de l’exploitant d’un cours d’eau non domanial au profit de la préservation de la faune et de la flore présents sur le site. Le poisson se substituerait ici au gibier. D’ailleurs s’agissant des espèces exploitées en mer, un règlement d’administration publique du 21 décembre 1915 ainsi qu’un décret du 28 mars 1919 confèrent déjà à l’exploitant, pendant la durée de sa concession aquacole, un droit de propriété exclusif et personnel sur les espèces qu’il exploite. Cette réglementation a été édictée à la lumière de la conception civiliste du droit de propriété établie par le code civil, en ce qu’il est permis de voir ce droit de propriété sur les espèces exploitées comme un droit absolu.
De plus, seules les espèces vivant dans le périmètre aquacole appartiennent au concessionnaire. Les poissons qui circulent à l’extérieur restent des res nullius. Toutefois, si les espèces exploitées sont accidentellement déplacées hors de la concession, l’exploitant aquacole est en droit de les récupérer dans un délai de 15 jours dans un périmètre déterminé. On pourrait appliquer a contrario cette règle. Autrement dit, les poissons qui n’ont pas vocation à vivre dans un eau close, et qui se retrouve accidentellement dans ce périmètre, pourraient conserver leur qualité de res nullius. Il s’agirait, en particulier, des espèces migratrices amphihalines telles que l’anguille.
Aux vus de ces éléments, on pourrait restreindre le droit de propriété de la personne titulaire d’un cours d’eau ou d’un plan d’eau non domanial. Ce dernier pourrait être, en premier lieu, astreint à un quota de prélèvement de certaines espèces qu’il pourrait pêcher, voire se voir interdire même de pêcher des poissons, tels que l’anguille, puisque faisant l’objet d’une protection particulière.
Certes, on dénote là une atteinte indirecte au droit de propriété de la personne. Cependant, en partant du postulat que le droit de pêche est partie intégrante du droit de chasse lui même attribut du droit de propriété, les atteintes portées à ce principe sont justifiées par le respect de l’intérêt général, lié au droit de l’environnement et à la protection de la faune et de la flore.