La première chambre civile de la Cour de cassation nous livre une nouvelle illustration de l’éviction du contrôle de l’abus en présence d’une clause relative à l’objet du contrat dès lors qu’elle est rédigée de façon claire et compréhensible.
En l’espèce, suivant offre acceptée le 27 janvier 2009, un emprunteur a souscrit un prêt immobilier auprès d’une banque et a adhéré, par l’intermédiaire d’un courtier, à l’assurance de groupe souscrite par cette banque. Une personne ainsi qu’une société se sont portées cautions solidaires de ce prêt. À la suite d’incidents de paiement, la banque a prononcé la déchéance du terme et vainement mis en demeure l’emprunteur et la caution personne physique de payer la somme restant due au titre du prêt. Après avoir désintéressé la banque, la société caution a assigné l’emprunteur et l’autre caution en paiement d’une certaine somme, ceux-ci ayant pour leur part assigné en intervention forcée la banque, l’assureur et le courtier.
L’emprunteur et la caution font grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 10 novembre 2017 de rejeter leur action en responsabilité contre l’assureur et le courtier. La Cour régulatrice, dans un arrêt du 4 juillet 2019, rejette cependant leur pourvoi. Elle considère d’abord « qu’il résulte des éléments de fait et de droit débattus devant la cour d’appel que l’obligation faite à l’emprunteur de continuer à payer les échéances du prêt en cas de sinistre ne crée aucun déséquilibre significatif à son détriment, dès lors que l’assureur doit pouvoir vérifier la réunion des conditions d’application de la garantie avant de l’accorder ». Surtout, elle estime que « la clause prévoyant la cessation de la garantie et des prestations à la date de la déchéance du terme définit l’objet principal du contrat en ce qu’elle délimite le risque garanti, de sorte qu’étant rédigée de façon claire et compréhensible, elle échappe à l’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation ». Elle ajoute enfin « qu’ayant relevé que l’emprunteur n’avait fait l’objet d’une décision de classement en invalidité qu’en septembre 2011, qu’il n’avait sollicité la prise en charge de ses arrêts de travail que postérieurement à cette date et avait omis de fournir à l’assureur et au courtier l’ensemble des pièces nécessaires à l’examen de sa demande de garantie, la cour d’appel a pu en déduire que le retard invoqué dans l’instruction de celle-ci ne pouvait leur être reproché ».
C’est essentiellement la deuxième considération qui retiendra notre attention. La solution, sévère pour les emprunteurs, semble à première vue fondée au regard de l’article L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation. Il faut rappeler qu’aux termes de ce texte, « L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (il en va d’ailleurs de même en droit commun des contrats, l’article 1171 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, disposant que « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation »). Or, la délimitation du risque assuré paraît concerner l’objet principal du contrat d’assurance (V. à ce sujet, Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, nos 352 s.). Dès lors, si la clause est rédigée de manière claire et compréhensible, elle ne saurait être soumise au contrôle de l’abus (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 100). Au demeurant, la Commission des clauses abusives semble considérer que les clauses d’exclusion de garantie sont relatives à l’objet principal du contrat (V. en ce sens, L. et J. Vogel, Droit de la consommation. Traité de droit économique, t. 3, Bruylant, 2017, n° 398, affirmant que « l’application du texte est souvent écartée en matière d’assurances. En effet, la Commission des clauses abusives estime que les clauses d’exclusion de garantie portent sur l’objet principal du contrat », les auteurs citant l’avis n° 97-01 du 19 juin 1997 relatif au contenu d’une garantie annulation voyage et l’avis n° 08-01 relatif à un contrat d’assurance garantissant contre le vol du téléphone portable).
On relèvera toutefois que la jurisprudence n’est pas unanime à ce sujet, la cour d’appel de Paris ayant considéré, dans un arrêt du 5 avril 2016, que la clause du contrat d’assurance emprunteur qui prévoit que les garanties et versements cessent s’agissant de la garantie incapacité à la date de la retraite de l’assuré quelle qu’en soit la cause « définit, non l’objet principal de la garantie, mais les limites de celle-ci ne relève pas des dispositions de l’alinéa 7 de l’article L 132-1 du code de la consommation » (Paris, 5 avr. 2016, n° 15/00758). Selon la juridiction parisienne, la délimitation temporelle de la garantie ne concernerait donc pas l’objet principal du contrat. La Cour de cassation fait donc montre de faveur pour le secteur de l’assurance.