Cette responsabilité est pour faute selon que le refus de l’administration soit illégal ou elle est sans faute selon que l’État ait fait preuve de rupture d’égalité devant les charges publiques. Pour rappel, le premier régime de responsabilité notamment celui de la responsabilité pour faute protège l’administration, puisque l’administré doit prouver la faute de cette dernière pour engager sa responsabilité. Ce qui n’est pas moins difficile. En revanche, la responsabilité sans faute, qui est une responsabilité de plein droit, protège davantage les administrés qui n’auront plus à prouver une quelconque faute.
A l’évidence, cerner les contours de la responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques s’avère nécessaire. Cette responsabilité est mise en œuvre chaque fois que l’État fait supporter au nom de l’intérêt général des charges particulières à certains membres de la collectivité. Ces dommages ne sont pas accidentels mais sont la conséquence naturelle et prévisible de certaines situations ou mesures, par l’effet desquelles des membres de la collectivités sont sacrifiés aux exigences de l’intérêt général. De plus, ce dommage doit être spécial et anormal, en d’autres termes, le dommage ne doit atteindre que certains membres de la collectivité (pas toute la collectivité) et doit être d’un certain degré d’importance.

En l’espèce, un propriétaire a effectué des travaux d’extension de son habitation notamment la construction d’une terrasse, sans s’être muni de permis de construire. Saisi, le Tribunal correctionnel de Lille le condamna à payer une amende et à démolir l’extension non autorisée dans sa décision du 9 décembre 2004. Par la suite, ladite maison a été cédée à un nouvel acquéreur par le biais d’une vente judiciaire par adjudication. Ce dernier n’a ni démoli l’extension ni régularisé les travaux. Le voisin de l’extension a saisi aussi bien le maire de la commune que le préfet du Nord en vue de voir l’administration veiller à l’application pure et simple de l’obligation de démolition. L’administration n’ayant pas réagi, le voisin a saisi le tribunal administratif de Lille pour voir condamner l’administration à lui verser une indemnité de 100.000 euros au titre des dommages subis par lui du fait de l’inaction de celle-ci de faire exécuter la décision pénale de démolition. Ayant été débouté tant par le Tribunal administratif de Lille que par la Cour administrative d’appel de Douai, il s’est pourvu en cassation en date du 14 octobre 2016.

En prélude de sa décision, le Conseil d’État a rappelé trois dispositions du code de l’urbanisme (articles L.480-5, L.480-7 et L.480-9) relatives aux infractions liées aux constructions, aménagements et démolitions.
L’article L. 480-5 du code d’urbanisme dispose : « En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L.480-4 et L.610-1 le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur ». Il ressort de cette disposition que le fait d’exécuter des travaux en l’absence de permis de construire, de démolir ou d’aménager, constitue une infraction qui peut être connue des juridictions.
Il résulte des dispositions de l’article L.480-7 du même texte qu’en cas de travaux sans détention préalable du permis de construire, le tribunal impartit un délai devant être respecté pour l’exécution de l’ordre de démolition. Toutefois, l’injonction du juge peut être assortie d’une astreinte de 500 euros maximum par jour de retard.
L’article L. 480-9 du code de l’urbanisme quant à lui énonce que si la démolition n’a pas été faite dans le délai imparti par le tribunal, le maire ou l’autorité compétente peut d’office ordonner des travaux nécessaires à l’exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire de l’utilisation irrégulière du sol ou des travaux irréguliers. C’est cette dernière disposition qui illustre le mieux la décision du conseil d’État qui en déduit une obligation du maire ou du fonctionnaire compétent à prendre des mesures nécessaires en vue de l’exécution de la décision pénale de démolition de l’extension en l’espèce. En aucun cas, l’autorité compétente ne peut s’y soustraire . Un refus de sa part n’est justifié que par la sauvegarde de l’ordre ou de la sécurité publics.
Que se passe-t-il en cas de refus de l’administration intervenue dans une situation autre que ces 2 cas évoqués en amont ? Manifestement, l’autorité administrative compétente engagera sa responsabilité. Elle peut-être avec ou sans faute. L’État engage sa responsabilité pour faute dès lors qu’elle refuse de veiller d’office à l’exécution de la décision de la juridiction pénale sans motif légal. La responsabilité de plein droit de l’État est recherchée en l’absence de toute faute de celui-ci et même en cas de refus légal, mais sur « le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d’un préjudice grave et spécial ». On le voit, pour que la responsabilité de plein droit de l’administration soit engagée sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques, il faut bien la réunion de deux conditions cumulatives. Notamment, il faut un préjudice grave et spécial. En l’espèce, le Conseil d’État a rejeté in fine le pourvoi visant à faire exécuter la décision de la juridiction pénale portant démolition de l’extension au motif que les caractères grave et spécial étaient absents. Mieux, la haute juridiction administrative, motive sa décision par l’absence de lien de causalité entre la perte de valeur légale du bien du voisin et les travaux irréguliers pour rejeter la demande d’indemnisation du demandeur au pourvoi.
On peut aussi s’attarder sur la question de savoir si l’obligation de l’autorité administrative compétente de faire exécuter d’office une décision émanant d’un juge pénal de démolition d’une construction édifiée sans permis de construire est irrévocable ?
Pour le conseil d’État, la réponse est plutôt négative. Certes, l’obligation de faire exécuter d’office la décision pénale de démolition s’impose à l’administration. Mais cette dernière a la possibilité de s’y soustraire en délivrant un permis de régularisation des travaux dont la démolition a été ordonnée par le juge pénal dans la mesure où « il apprécie l’opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation compte tenu de la nature et de la gravité de l’infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d’urbanisme applicables ».