Pour les industriels du soleil, ce jeudi 9 déc 2010 est une vilaine éclipse pour leur filière. Le gouvernement stoppe net la plupart des soutiens qui leur avaient été accordés.
C'est donc la stupeur qui a dominé car un an plus tôt, le photovoltaïque était la star des énergies renouvelables, de la croissance verte. Le soleil, Jean Louis Borloo, alors actuel ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer ne jurait que par lui «le soleil y'en a partout,... autant dans le nord pas de calais qu'en corse». Un an plus tard, changement de ton radical avec la nouvelle ministre NKM « il y a une bulle spéculative qui s'est créée autour du photovoltaïque; on a des projets qui sont devenus support à spéculation financières». Spéculations, une accusation parmi d'autres, c'est ce que nous allons essayer de voir.

I. La réglementation sur le photovoltaïque

a) L'évolution du photovoltaïque

Actuellement, en France, les énergies renouvelables représentent 6% de la production d’énergie primaire. En Mars 2007, les 27 Chefs d’État et de gouvernement de l’Union Européenne se sont engagés lors du sommet de Bruxelles sur des objectifs à l’horizon de 2020 appelés «3 fois 20%»:
réduction de 20% des émissions de Gaz à Effet de Serre par rapport à 1990
réduction de 20% de la consommation d’énergie par rapport au tendanciel à 2020
augmentation à hauteur de 20% de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.
Lors de l’examen du projet de loi Grenelle 1 en Octobre 2008, l’Assemblée Nationale a fixé les objectifs de la France pour 2020 à 23% d’énergies renouvelables comme cela avait été demandé par la Commission Européenne au nom du principe de solidarité.
Pour répondre à ces exigences, chaque pays européen doit mettre en place les mesures nécessaires au développement de ce secteur.
Selon ERDF (Électricité Réseau De France) , les puissances photovoltaïques raccordées au réseau métropole fin juin 2010 sont les suivantes:
De 0 à 3kW : 73 997 installations
De 3 à 10kW : 2 139 installations
De 10 à 36 kW : 3 232 installations
De 36 à 250 kW : 773 installations
De 250 à 1000 kW : 30 installations
De 1 à 5 MW : 17 installations

Soit au total, 80 188 installations pour une puissance de 422 MW (en métropole). C’est une augmentation de 55% par rapport à Mars 2010. Pour information, il y a 101 installations de biogaz en France, 10 de biomasse, 631 de cogénération, 805 d'éoliennes et 1745 installations hydraulique.
Il y a actuellement approximativement 68 428 systèmes photovoltaïque soit 2 953,3 MW en attente de raccordement.
Le photovoltaïque représente à peine 0,1% de l'énergie qui transite sur le réseau d'ERDF.

b) Le moratoire sur le photovoltaïque

Il faut savoir que la France a choisi, en 2000, de fonder sa politique de soutien à la filière photovoltaïque sur l’obligation d’achat et les tarifs réglementés en s’inspirant de l’expérience réussie de l’Allemagne.
Le dernier projet qui fixe les tarifs de ce rachat d'électricité d'origine photovoltaïque pourrait donner un coup d'arrêt brutal à tous les projets d'installation de panneaux solaires autres que ceux des particuliers. Le CRE (Comité de Régulation de l'Énergie) a proposé le 3 décembre 2010 un tarif d'achat de 45 centimes d'euros au lieu des 60 centimes proposés lors du Grenelle de l'Environnement en septembre dernier.
Que ce soit pour la construction d'hangars pour les agriculteurs, d'entrepôts pour les entreprises ou de rénovations de toitures existantes, si la proposition du CRE est adoptée, un coup fatal sera porté à tous les acteurs concernés.
Et pourtant, la France aurait pu avoir une double ambition dans ce domaine :
atteindre en 2020, 23 % d'énergie renouvelable (le photovoltaïque est une des solutions comme l'éolien, l'hydraulique, etc). Elle s'y est engagée à Bruxelles d'ailleurs.
développer une filière industrielle de conception et de production de panneaux pour éviter l'importation asiatique qui est un des arguments pour l'arrêt des subventions.

L'arrêt pendant 3 mois du rachat de cette énergie n'aura que des effets dévastateurs :
- Il stoppe net les projets en cours d'instruction. Certains agriculteurs sont inquiets car leurs dossiers, acceptés par les banques, sont «gelés» face à l'incertitude et les installateurs (artisans et PME) voient leurs carnets de commande s'effondrer.
- Il stoppe les projets industriels de production et donc la création d'emplois. A Bordeaux, un investisseur américain associé à ERDF vient de geler sine die son partenariat (400 emplois étaient prévus à l'origine).
- Il fragilise la recherche et l'innovation vers des panneaux moins couteux, moins polluants à fabriquer et plus efficaces. Photowatt, prés de Grenoble, s'interroge sur la poursuite de ses travaux et a du licencier 95 personnes.

Mais pourquoi donc l'arrêt des subventions ?

II. Les arguments face à l'arrêt des subventions

Il y a les arguments du gouvernement par la voie du CRE.

a) Ceux du gouvernement

Tout d'abord, le gouvernement s'est rendu compte qu'il avait sans doute fixé un prix de rachat trop élevé au départ par rapport au prix courant de l'électricité et fait comme l'Allemagne (qui s'est retrouvé dans la même situation que nous): il baisse par paliers ce tarif au lieu de donner des coups d'accélérateur puis de frein trop brutaux afin que la facture ne s'élève pas plus pour lui. L'arrêt pendant trois mois va lui permettre de ne plus payer une facture qui grimpe vertigineusement.
Le CRE ensuite estime que l'objectif de production d'électricité d'origine photovoltaïque peut être atteint par les seules installations de particuliers. Contrairement à ce que le CRE croit, il n'y aura jamais assez de particuliers capables d'investir les milliers d'euros (voir des dizaines de milliers d'euros) nécessaires pour installer des panneaux sur leur toit. Qui peut se permettre d'investir à titre personnel plusieurs milliers d'euros pour en toucher les intérêts 10 ans plus tard ? Et surtout, un toit de particulier représente généralement une très petit surface, il en faudra énormément pour que l'énergie photovoltaïque représente les 23% espéré.
Le CRE affirme (et à juste titre ici) que le prix des panneaux solaires a énormément chuté, notamment à cause d'une baisse de la demande, elle même provoquée par la fin de la subvention des tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque en Espagne et en Allemagne (là ou nos entreprises productrices de panneaux solaires exportaient leurs produits). Ce point là ne peut être contesté quand on voit que Photowatt (l'un des leaders mondiale de la filière) qui exportait sa production essentiellement dans les pays pré-cités a enregistré une baisse de ses ventes de 25% sur le 1er semestre 2010-2011.
De plus, le gouvernement estime qu'aujourd'hui, 90% des panneaux installés en France viennent de Chine, ce qui est possible mais ce chiffre ne peut être vérifié car nous ne savons pas sur quelles données se base le gouvernement.
Toujours selon celui ci , le Grenelle de l'Environnement, «ce n'est pas une augmentation de 5% de la facture d'électricité pour subventionner l'industrie chinoise: le grenelle, c'est de l'emploi vert en France» et c'est pour cela que le gouvernement a suspendu le marché des subventions pendant le moratoire de 3 mois. Il faut rappeler aussi que le Grenelle de l'environnement, en plus d'améliorer notre environnement, aurait du créer 600.000 emplois non délocalisables. Cette promesse n'a pas été encore tenue et ne le sera surement pas si les subventions pour encourager la filière sont stoppées.

Mais il faut aussi faire un parallèle, c'est parce qu'il y aura un marché national suffisant, incité par des aides, que les industriels français pourront se développer et que les particuliers pourront s'équiper. C'est de la pure logique économique car ce coup d'arrêt porté à la filière photovoltaïque aura des incidences concrètes néfastes et immédiates sur toutes les filières sur lesquelles elle s'adossait et générait des revenus providentiels en cette période de crise. Les principaux concernés sont tous les métiers liés à la construction : charpentiers, terrassier, couvreurs, électriciens et architectes. Mais également tous les agriculteurs qui sont de plus en plus à la recherche de revenus complémentaires et pour qui un nouveau hangar est un outil de travail important.

De plus, le gouvernement estime que certains industriels auraient profité du rachat de cette énergie à un cout extrêmement fort pour spéculer... est ce vraiment le cas ?


b) Véritables spéculations ou campagne de dénigrement de la filière ?

A l'époque de Mr Borloo, les industriels du solaire étaient considérés comme des relais de croissance verte et maintenant ils seraient devenus des spéculateurs; les industriels voient dans ses accusations une manipulation et une campagne de communication, une volonté de leur nuire.

Cette campagne de dénigrement aurait débuté en juin 2010 avec la publication d'un communiqué je cite «... si on continue de développer le photovoltaïque en masse, on pourrait provoquer un black out, et ainsi les fusibles du réseau (ndlr : le réseau ERDF) lâcheraient à cause d'une quantité d'énergie trop importante». Comme je l'ai dit, la part du solaire en France ne représente aujourd'hui qu'un petit pourcent du marché de l'énergie; donc si un tel taux peut provoquer un effondrement des réseaux, comment allons nous faire en 2020 lorsque notre objectif des 23% des parts de marchés devra être atteint...

De plus, selon ERDF, le prix de l'électricité va augmenter à cause du photovoltaïque, c'est bien sûr faux, la réalité de l'augmentation des factures d'électricité, c'est pour son besoin d'investir dans de nouvelles usines nucléaires ou entretenir les centrales existantes; le coût du photovoltaïque ne sera que de 2éme ordre.

Il faut savoir qu'aujourd'hui sur une facture mensuelle d'électricité d'un particulier, le coût du photovoltaïque représente moins de 1€, c'est assez dérisoire comme argument pour stopper les aides.
Pour un projet ambitieux de développement de masse du photovoltaïque, il faudrait que chaque français accepte d'investir l'équivalent du prix d'une lampe basse consommation par an, ce qui n'est pas excessif en soit (moins de 10€/an), de plus, les lampes Basse Consommation sont en train de devenir la norme en Europe donc nous serons obligés de passer par cet achat là (si cela n'est pas déjà fait).

Donc, les arguments du gouvernement ne tiennent pas et les industriels estiment que c'est d'abord un choix politique habillé avec de faux arguments économiques.

On peut penser que si les aides en faveur du photovoltaïque sont suspendues , «c'est qu'à l'Élysée, on ne croit plus dans l'apport des voies écologiste» à quelques 16 mois des élections présidentielles...