Suivant que la victime des pesticides est fonctionnaire, salarié agricole ou exploitant, l’indemnisation complémentaire des préjudices subis est plus ou moins satisfaisante.

Concernant les travailleurs du secteur public, le conseil d’Etat, dans un arrêt du 4 juillet 2003, a institué un régime de responsabilité sans faute, qui permet à un agent dont la pathologie est reconnue imputable au service d’obtenir réparation de ses préjudices extrapatrimoniaux sans avoir à démontrer la faute de l’administration. En revanche, obtenir la réparation intégrale des préjudices subis suppose de démontrer cette faute.

Concernant les salariés agricoles, ils peuvent obtenir une indemnisation complémentaire s’ils démontrent que leur employeur a commis une faute inexcusable, ce qui suppose qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié ;e et qu’il n’a pas mis en œuvre les moyens de protection nécessaire pour le soustraire au risque de contracter la maladie. Si cette procédure est monnaie courante pour les salariés du régime général, elle a également toute sa place en matière agricole. La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2016, a ainsi rejeté un pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu la faute inexcusable de l’employeur d’un salarié agricole atteint de la maladie de parkinson. Les salariés victimes des pesticides dans le cadre de leur travail peuvent également tenter d’obtenir une indemnisation devant les juridictions prud’homales en cas de licenciement pour inaptitude. Les procédures en reconnaissance de faute inexcusable et en contestation du licenciement ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

Concernant les exploitants agricoles, il convient de distinguer suivant que la maladie est liée à une exposition aigue ou chronique. Dans le cas d’une exposition accidentelle à un produit identifié, situation très rare, la Cour de cassation estime que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux trouve à s’appliquer.

La victime doit alors démontrer le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la Cour de justice de l’union européenne, dans une décision du 21 juin 2017, admettant la preuve par un faisceau d’indices graves et concordants. Quant au défaut du produit, il peut être caractérisé en cas de non-respect par le fabricant de son obligation d’information quant aux risques inhérents à l’utilisation du produit et aux mesures de protection à prendre. La situation est en revanche très défavorable pour les exploitants agricoles atteints d’une maladie contractée après avoir subi une exposition chronique aux pesticides, ce qui constitue le cas le plus fréquent.

Engager une action en responsabilité contre les fabricants des pesticides est difficile en raison notamment de la déliaison temporelle entre l’exposition au risque et la survenance de la pathologie. Par ailleurs, les agriculteurs ayant utilisé des centaines de produits différents durant des dizaines d’années, devraient engager leur action contre de très nombreux fabricants, dont la plupart ont disparu au fil des ans.

La responsabilité de l’Etat pourrait être engagée par des victimes des pesticides pour carence fautive dans la protection des utilisateurs contre ces produits dangereux, la règlementation étant insuffisante et la mise en œuvre des autorisations de mise sur le marché déficiente. Surtout devant le constat d’une réparation partielle des préjudices, une proposition de loi visant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes phytopharmaceutiques a été déposée le 13 juillet 2016 et adoptée par le Sénat le 1er février 2018.

Ce fonds pourrait, comme cela a été fait pour d’autres victimes (amiante , essais nucléaires), reposer sur un régime de présomption de causalité à certaines conditions, tenant notamment à la nature de la pathologie et aux conditions d’exposition du travailleur. Quant à la nature de cette présomption, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 28 juin 2017 relatif à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires par le comité d’indemnisation institué à cet effet en 2010, estime que : « Dès lors qu’un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de la maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l’administration établit que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à l’exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particuliers parce qu’il n’a subi aucune exposition à de tels rayonnements. »

Ce fonds d’indemnisation, en ce qu’il serait abondé par les fabricants des pesticides, constituerait ainsi une réponse adaptée à l’exigence de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes professionnelles des pesticides.



Références :

.Pour l’exemple de l’amiante CE, 3 mars 2004, n. 241150 à 241153 : JurisData n. 2004-066496.

.CE, 28 juin 2017, n. 409777 : JurisData n. 2017-012822

.Légifrance

.Environnement et developpement Durable, Etude par François LAFFORGUE, avocat au barreau de Paris, revues juridiques Lexis Nexis. « les droits des travailleurs victimes des pesticides.

.www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-042-1-notice.html