Les pays de l’Afrique centrale sont propriétaires d’une vaste étendue des forêts. L'encadrement juridique des forêts dans cette partie de l’Afrique date de l'époque coloniale, sous les administrations allemande, belge et française. Même si, au départ, il s'est agi d'organiser les prélèvements de bois par les firmes coloniales dans le but de satisfaire la consommation des métropoles, ces pays d’Afrique centrale dont les deux Congo, le Cameroun, la Centrafrique, le Gabon et le Tchad étaient alors obligés du fait du « remorquisme juridique » de reproduire les schémas coloniaux au sein de leurs législations forestières, insistant sur l'exploitation industrielle du bois, un encadrement strict des usages locaux, et la protection de la faune.

Grâce à l’euphorie du sommet de Rio de 1992 qui a servi de toile de fond en adaptant les législations aux préoccupations environnementales véhiculées par ses textes politiques et juridiques, les lois forestières de ces pays ont été affectées par ce mouvement dont la conclusion s’est soldée par la révision des dites lois dans le cadre des réformes. Consacrée à l’évaluation de l’impact des législations forestières en Afrique centrale, cette étude retrace en quelques lignes les difficultés résultant de l’applicabilité de ces législations qui ont créés ou créent une réelle insécurité juridique touchant la biodiversité dans les pays de l’Afrique centrale.


Caractérisation des difficultés résultant de l’applicabilité des législations forestières en Afrique centrale


En dépit de leur importance dans les stratégies de développement des pays considérés, et de l'implication des acteurs de la coopération internationale dans l'appui financier et technique à leur gestion, les forêts continuent de constituer une source de préoccupations, les menaces s'accentuant au fil des ans. Les vingt dernières années ont en effet été, pour les pays de l’Afrique centrale, une période décisive dans le développement des options retenues par les nouvelles politiques forestières, ou simplement imposées par une pratique libérée des contraintes d'un contrôle étatique défaillant. Ainsi, la profusion de textes législatifs et réglementaires encadrant le secteur forestier n'a eu qu'un effet limité sur la qualité de la gestion. Ce contraste entre le nombre de textes et la persistance, voire l'aggravation des problèmes qu'ils sont censés résoudre, soulève à nouveau la question du rôle du droit dans la promotion de la sécurité juridico-environnementale.

En effet, l’applicabilité de ces législations soulève un certain nombre des difficultés parmi lesquelles nous retenons notamment :

 Une incohérence dans les politiques forestières et le cadre législatif: les problèmes surgissent lorsque les lois dans le secteur forestier et entre différents secteurs sont incohérentes, irréalistes et inapplicables et négligent la question des droits de propriété (statut de la propriété de terre) et de l’utilisation des forêts.

 Une exploitation forestière ne tenant pas compte des intérêts des autochromes et effet salutaire des forets : c’est qui fait défaut, c’est la non-considération des coutumes dans la prise des décisions et applications des politiques et lois forestières. Ceci engendre certains freins dont notamment la négligence ou faiblesse des clauses sociales et environnementales. Une insistance sur l’interférence des aspects économiques avec d’une part les droits coutumiers des populations autochtones et d’autre part l’effet salutaire de la protection des forêts semble nécessaire.

 Une mise en danger de la biodiversité : admis que la déforestation et la dégradation des forêts tropicales sont responsables d’environ 20% des émissions mondiales de dioxyde de carbone et que les forêts sont donc le deuxième facteur de réchauffement climatique, après les combustibles fossiles, et constituent la plus grande source d’émission de gaz à effet de serre dans un grand nombre de pays tropicaux, une nouvelle dimension du respect des lois forestières retient désormais une attention particulière. Ainsi, la bonne gestion des forêts d’Afrique centrale et des mécanismes juridiques encadrant une réduction de la déforestation peuvent offrir une contribution importante à l’atténuation des effets du changement climatique. Ce qui ne semble pas le Cas. La déforestation du massif du Congo par les compagnies d’exploitation du bois en est un parfait exemple. Il en est de même de l’octroi par les autorités congolaises de l’exploitation du pétrole dans les zones protégées du Kivu.



Des solutions pour rendre les législations forestières de l’Afrique centrale efficace



 Il s’agit de lier la question du respect des lois forestières aux mesures à prendre dans le domaine de la gouvernance: Le respect et l’application de la législation sont des éléments essentiels d’un système efficace de gouvernance forestière. Mais dans de nombreux cas, réduire ou éliminer les facteurs qui incitent les gens à récolter le bois et d’autres produits forestiers illégalement ou sur une base non durable et résoudre les faiblesses institutionnelles à l’origine de ces facteurs exigent de nouveaux types de processus et une réflexion dépassant le cadre de la foresterie.

 Il s’agit de corriger les cadres juridiques inéquitables ou contradictoires: les efforts visant à résoudre les carences du cadre politique ou juridique ne peuvent réussir que s’ils sont véritablement participatifs, s’ils lèvent toute ambiguïté entre les utilisations commerciales et traditionnelles des ressources et s’ils garantissent les droits coutumiers et autochtones d’accès et d’utilisation des ressources forestières.

 Il s’agit d’une prise en compte des délits forestiers : certaines parties prenantes sont poussées vers l’illégalité par l’environnement politique ou juridique. L’absence de régime foncier, l’accès limité au crédit, à la formation et aux marchés interdisent souvent aux communautés locales de développer de manière appropriée les forêts dont ils dépendent pour leurs moyens d’existence. Certaines communautés, structures, et mêmes sociétés sont obligées d’opérer en dehors de la légalité afin d’exploiter les ressources forestières; Une prise en compte des délits et poursuites est nécessaire.

 Il s’agit de renforcer la participation: une plus grande participation du public à l’élaboration des lois et des politiques forestières revêt une importance sine qua non, il convient de réfléchir attentivement à la manière dont celle-ci pourrait être réalisée. La mise en place de mécanismes et de processus inclusifs qui permettent aux communautés locales de s’exprimer et qui consentent aux groupes marginalisés de participer est un défi complexe qui passe généralement par une décentralisation efficace au niveau politique. En outre, Des mécanismes fondés sur les pouvoirs locaux et sur les communautés sont nécessaires pour garantir le respect des lois.

 Il s’agit d’exercer une application égale des lois forestières: ce problème se traduit surtout par le traitement plus dur réservé aux petits exploitants forestiers par rapport aux entreprises commerciales à plus grande échelle. L’application équilibrée des lois est une condition essentielle de la réalisation de la gestion forestière durable et exige des approches participatives et un suivi indépendant.

 Il s’agit de renforcer la coopération régionale/transfrontières: dans les pays de l’Afrique centrale, il est manifeste que les activités forestières illégales, notamment la conversion illégale des terres forestières et l’exploitation illégale du bois, font partie intégrante du paysage économique et politique. Dans ces pays, les lois peuvent être détournées au profit d’intérêts puissants qui dominent la vie politique. Dans une certaine mesure au moins, ces problèmes pourraient être affrontés grâce à une coopération accrue à travers la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC) et création d’autres structures. Une collaboration bilatérale renforcée entre pays voisins le cas de deux Congo afin de réduire le blanchiment transfrontière de bois illégal pourrait également jouer un rôle utile.

Références

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- Convention sur évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière relatif à évaluation stratégique environnementale
- Protocole à la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière
- Lois forestières des deux Congo, Gabon, Cameroun, Tchad