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Codification et unification du régime juridique des canalisations de transport par l'ordonnance n°2010-418 du 27 avril 2010
Par Benjamin VANLERBERGHE
Consultant en Environnement industriel (entreprise unipersonnelle)
Posté le: 26/08/2010 17:11
Les canalisations de transport de matière dangereuses (CTMD) sous pression (gaz, hydrocarbures et produits chimiques) obéissent à un régime juridique autonome, distinct de celui applicable aux Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
En effet la réglementation des pipelines s’apparente à une police administrative spéciale dont la compétence revient au ministre chargé des hydrocarbures (1) et aux autorités administratives déconcentrées, c'est-à-dire aux services préfectoraux et aux DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Habitat).
Cependant ce régime présente une certaine hétérogénéité. En effet, l’une des sources de la complexité du régime juridique applicable aux CTMD résulte de la multiplicité des régimes existants. Ainsi, à chaque fluide transporté (gaz, hydrocarbures, produits chimiques) correspond une réglementation spécifique. Ce ne sont donc pas moins de huit lois (2) qui définissent le cadre juridique des canalisations de transport de gaz, d’hydrocarbures liquides et liquéfiés et de produits chimiques en France.
De plus selon le mode d’exploitation le régime applicable est différent : ainsi il faut distinguer les canalisations dites « privées » des canalisations d’intérêt général ou encore des canalisations dites « militaires », soumises à un statut dérogatoire.
Une telle hétérogénéité conduit naturellement à laisser subsister des différences de traitement des transporteurs et mais également de protection des tiers et de l’environnement selon le fluide transporté ou le mode d’exploitation.
Depuis 2006 le MEEDDM a lancé une vaste opération d’uniformisation et de simplification du régime juridique des CTMD. Ce mouvement s’est traduit dans un premier temps par l’adoption d’un règlement de sécurité unique applicable à l’ensemble des fluides transporté, tel qu’il ressort de l’arrêté du 4 août 2006, portant règlement de la sécurité des canalisations de transport de gaz combustibles, d’hydrocarbures liquides et liquéfiés et de produits chimiques.
Le second volet de cette uniformisation fut l’adoption récente de l’ordonnance n°2010-418 du 27 avril 2010 harmonisant les dispositions relatives à la sécurité et à la déclaration d’utilité publique des canalisations de transport de gaz, d’hydrocarbures et de produits chimiques.
L’ordonnance précitée introduit des modifications importantes dans le régime juridique applicable aux canalisations de transport.
Ce texte a pour premier effet de créer un Chapitre V au sein du titre V du livre V du code de l’environnement : le droit applicable aux canalisations de transport est désormais codifié aux articles L555-1 à L555-30 du même code. Cette codification du régime juridique des CTDM conduit à des modifications radicales du régime juridique qui leur est applicable.
En effet, la première conséquence de cette codification est de créer un régime juridique unique, applicable à quelques exceptions près (3) à l’ensemble des canalisations de transport, et ce, quel que soit leur statut juridique (intérêt général ou privé) et quel que soit le fluide transporté. En cela, l’ordonnance 2010-418 prolonge l’unification du régime juridique applicable aux CTMD, amorcée par l’arrêté du 4 août 2006.
L’ordonnance 2010-418 met ainsi en place un régime d’autorisation, encadrant la création, l’exploitation et la cession d’activité des canalisations de transport, régime qui se rapproche fortement de celui applicable aux Installations classées pour la protection de l’environnement tel que prévu aux articles L511-1 et suivant du même code.
En effet l’ordonnance 2010-418 introduit un article L.555-1 au code de l’environnement qui dispose que :
« sont soumises aux dispositions du présent chapitre les canalisations de transport de gaz naturel, d’hydrocarbures liquides ou liquéfiés et de produits chimiques, construites et exploitées par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine architectural »
Le parallèle avec le régime applicable aux ICPE est ici évident : en effet l’on retrouve dans cet article les même intérêts que ceux protégés par l’article L511-1 du code de l’environnement, relatif au ICPE, et c’est le risque d’atteinte à l’un de ces intérêts protégés par l’ouvrage qui déterminera l’application de la législation.
Le rapprochement entre la législation applicable aux CTMD et celle applicable aux ICPE est également visible à d’autre titres : ainsi un régime d’autorisation est instauré pour les canalisations nouvelles fonctionnant sur un modèle proche de celui des ICPE soumises à autorisation, imposant notamment au Transporteur des garanties financières, la présentation d’une étude de danger (anciennement « étude de sécurité » au sens de l’arrêté du 4 août 2006) ou encore la dotation de pouvoirs étendus faites aux « fonctionnaires ou agents de l’Etat en charge de la surveillance des canalisations de transport » (article L555-17), créant une « inspection des CTMD » sur le modèle et dotée des même pouvoirs que l’inspection des Installations classées.
Toujours sur le modèle du régime applicable aux installations classées, l’ordonnance 2010-418 introduit également une nouvelle batterie de sanctions à la disposition de l’administration en charge du contrôle contre le Transporteur négligent. Là encore l’article L555-18 prévoit que l’administration pourra avoir recours aux même dispositifs contraignants que dans le cadre de la police des ICPE, à savoir la consignation, l’exécution d’office ou en dernier recours, la suspension de l’activité.
En compensation de ce régime plus sévère, le Transporteur bénéficie d’une protection accrue, notamment en ce qui concerne les travaux tiers. En effet l’ordonnance 2010-418 introduit aux articles L555-20 à L555-23 des dispositions pénales qui sanctionnent la non-déclaration de chantier à proximité d’une canalisation de transport ou encore qui imposent à « l’auteur d’une dégradation à une canalisation de transport » de la déclarer au Transporteur et à l’administration sous peine d’une peine d’emprisonnement doublée d’une forte amende (4).
Cette pénalisation représente une réelle avancée pour les Transporteurs : en effet près des deux tiers des accidents et incidents recensés sur les canalisations de transport sont consécutifs à des agressions extérieures. Or le régime actuel ne prévoit pas de sanction spécifique et présente des inégalités selon le fluide transporté par les canalisations. Ainsi, à titre d’exemple, le fait d’omettre de déclarer un chantier à proximité d’une canalisation de transport n’est pénalement sanctionné que s’il s’agit d’une canalisation de transport de gaz (5).
De même, toujours avec l’objectif de lutter contre les facteurs de risques d’agressions extérieures, l’ordonnance 2010-418 dote l’autorité compétente en matière d’urbanisme de pouvoir plus étendus afin d’assurer une meilleure maîtrise du risque :
« Article L555-16 : Lorsqu’une canalisation de transport en service est susceptible de créer des risques, notamment d’incendie, d’explosion ou d’émanation de produits toxiques, menaçant gravement la santé ou la sécurité des personnes, les dispositions suivantes sont applicables.
« Dans les conditions prévues par les articles L. 121-1, L. 121-2, L. 122-1 et L. 123-1 du code de l’urbanisme, l’autorité compétente en matière d’urbanisme peut interdire l’ouverture ou l’extension à proximité de la canalisation de tout type d’urbanisation.
« La construction ou l’extension de certains établissements recevant du public ou d’immeubles de grande hauteur sont interdites ou subordonnées à la mise en place de mesures particulières de protection par le maître d’ouvrage du projet en relation avec le titulaire de l’autorisation. »
Il est à noter que ces dispositions pénales concernent également le Transporteur. Ainsi le fait de construire d’exploiter une canalisation de transport sans être titulaire une autorisation ou le fait de ne pas se conformer aux mises en demeure ou aux sanctions de l’administration seront constitutifs de délits, punissables respectivement d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende et de 6 mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
En conclusion, les disparités affectant le régime juridique des canalisations de transport ont donc vocation à disparaître et se fondre dans un régime unique, qui emprunte largement à la police des installations classées pour la protection de l’environnement.
Néanmoins les dispositions de l’ordonnance du 27 avril 2010 ne sont pas encore applicables : les modalités d’applications de ces articles nouvellement introduits au code de l’environnement seront définies ultérieurement par des décrets en Conseil d’état. Ainsi l’article 14 de l’ordonnance précité prévoit que « les dispositions de la présente ordonnance entrent en application à la date de publication des décrets en qu’elle prévoit et au plus tard le 1er janvier 2012 ».
Dans l’attente de ces publications, les dispositions antérieures restent pleinement applicables.
Cependant si la publication de l’ordonnance n°2010-418 représente une avancée certaine d’un point de vue juridique (6), il reste difficile de se prononcer sur les conséquences de cette codification pour le Transporteur en l’absence des décrets d’applications.
(1) il s’agit aujourd’hui un Ministère de l’environnement, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, communément appelé MEEDDM.
(2) Pour le Gaz :
- Loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie
- Loi du 15 février 1941relative à l’organisation de la production, du transport et de la distribution du gaz
- Loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz
- Loi n°2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie
Pour les hydrocarbures :
- Loi n°49-1060 du 2 août 1949 relative à la construction d'un pipe-line entre la Basse-Seine et la région Parisienne et à la création d'une société des transports pétroliers par pipe-lines.
Version consolidée au 21 juillet 1993
- Loi n°58-336 du 29 mars 1958 de finances pour 1958 (article 11)
Pour les produits chimiques :
- Loi n°65-498 du 29 juin 1965 relative au transport des produits chimiques par canalisations
(3) Ces exclusions sont identiques à celles de l’arrêté du 4 août 2006 : en effet l’article L.555-2 du Code de l’environnement, introduit par l’ordonnance 2010-418 prévoit que :
« Le présent chapitre ne s’applique pas aux canalisations suivantes :
1° Canalisations mentionnées aux articles 71-2 et 73 du Code minier ;
2° Canalisations constitutives des ouvrages hydrauliques tels que les barrages hydroélectriques, les réseaux d’adductions d’eau potables, d’assainissement ou d’irrigation, et les conduites forcées ;
3° canalisations de distribution de gaz combustibles ;
4°canalisations et tuyauteries relevant de la loi n°571 du 28 octobre 1943 relative aux appareils à pression de vapeur employés à terre ou à bord des bateaux de navigation intérieure;
5° sections de canalisations situées à l’intérieur du périmètre d’une ou plusieurs installations mentionnées à l’article L.555-1 du code de l’environnement et reliées à ces dernières (…)
(4)Article L.555-22 : « l’auteur d’une dégradation à une canalisation de transport de nature à mettre en danger la sécurité des personnes et des installations ou la protection de l’environnement a l’obligation de la déclarer à l’exploitant de l’ouvrage. Le fait d’omettre cette déclaration est punie d’une peine de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 euros ».
(5)Cette obligation résulte du décret no 91-1147 du 14 octobre 1991, relatif à l’exécution de travaux à proximité de certains ouvrages souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution, qui fixe les règles d'échange de documents entre déclarants et exploitants en détaillant les mesures à prendre lors de l'élaboration de projets de travaux (DR) ou préalablement à l'exécution de ces travaux (DICT).
(6) En effet jusqu’à présent l’essentiel du droit applicable à l’exploitation des canalisations de transport relevait d’arrêté ou de circulaires ministérielle dont le contenu pouvait être considéré comme "suspect" car relevant de la sphère législative ou réglementaire au sens des articles 34 et 37 de la Constitution. Ainsi à titre d’exemple, la répartition des coûts liés aux travaux de mises en sécurité des canalisations de transport rendus nécessaires par l’aménagement à proximité de celles-ci d’Etablissements recevant du public (ERP) ou d’Immeubles de grande hauteur (IGH), est actuellement réglé par une simple circulaire (circulaire BSEI n°254 du 4 août 2006). Les décret d'application prévus permettront certainement de clarifier ces points.