Le juge judiciaire peut-il ordonner la démolition d’un parc éolien dont la non-conformité a été sanctionnée par le juge administratif, même si cette démolition ferait obstacle à la poursuite de l’activité du parc ? A cette question, la troisième chambre civile de la cour de cassation a répondu par l’affirmative dans un arrêt du 14 février 2018. Et pourtant, la réponse est loin d’être évidente, et ceci pour au moins deux raisons :


- d’une part, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, qui interdit au juge judiciaire de trancher les litiges mettant en cause l’administration;


- d’autre part, l’arrêt du Tribunal des conflits du 13 octobre 2014, dans lequel il avait été jugé que le juge judiciaire ne peut prendre des mesures susceptibles de contrarier « les prescriptions édictées par l’administration dans l’intérêt de la société et de la salubrité publique »



Depuis la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Loi Grenelle 2», les éoliennes sont soumises à la législation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). L’année suivant le décret d’application de cette loi, l’exploitant d’un parc éolien dans le Morbihan avait sollicité et obtenu du préfet, l’autorisation de poursuive son exploitation. En effet, par arrêté du 8 avril 2005, le préfet du Morbihan avait délivré à la société, un permis de construire quatre éoliennes. De sorte que, l’exploitation dudit parc éolien était demeurée légalement autorisée au titre de la police administrative spéciale des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).



Le 7 avril 2010, la cour administrative d’appel de Nantes, à la demande de plusieurs requérants, a annulé l’arrêté du préfet qui autorisait la poursuite de l’exploitation. Cet arrêt fut confirmé par le conseil d’Etat dans un arrêt du 28 septembre 2012. Les requérants ont dans un deuxième temps sollicité le juge judiciaire pour obtenir la démolition des éoliennes, en se fondant sur l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, puisque le permis de construire avait été définitivement annulé par la juridiction administrative :

« Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative (…) »

Or comme on l’a mentionné plus haut, le Tribunal des conflits s’oppose à ce que le juge judiciaire puisse prendre des mesures susceptibles de contrarier « les prescriptions édictées par l’administration dans l’intérêt de la société et de la salubrité publique ».



C’est sur la base de cette jurisprudence que la cour d’appel de Rennes s’est déclarée incompétente pour connaître de l’action en démolition des éoliennes. D’après elle, même si le juge administratif avait constaté l’irrégularité de la construction, le juge judiciaire demeurait incompétent pour en ordonner la démolition, dès lors que celle-ci aurait eu pour effet de remettre en cause la poursuite de l’activité de ces installations.



L’arrêt est cassé par la cour de cassation, qui considère que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s’oppose seulement à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle de l’autorité administrative titulaire des pouvoirs de police spéciale des ICPE. Elle affirme en outre que, dès lors que le permis de construire autorisant la construction d’une telle ICPE a été annulé par la juridiction administrative, le juge judiciaire est compétent pour ordonner la démolition de l’éolienne érigée en méconnaissance des règles d’urbanisme.




Sources :
• Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement
• Code de l’environnement, article L. 553-1
• Cassation civile 3e, 14 février 2018, FS-P+B, n° 17-14.703
• Tribunal des conflits, 13 octobre 2014, n° 3964, Lebon ; AJDA 2014. 2398
• Conseil d'État n° 340285 28 septembre 2012, inédit.
• Sites internet :
- Ministère de la transition écologique et solidaire. Présentation de la technologie. Eolien terrestre
- Le conseil d’Etat et la juridiction administrative. Article du 1er juin 2015 « Le juge administratif et le droit de l’environnement »