Si en droit interne, dans la plupart des systèmes judiciaires des pays, le principe « societas delinquere non potest » n’opère presque plus, sur le plan international, il semble encore demeurer voire perdurer. Il s’agit d’un principe de droit pénal disposant que, à l'instar des personnes physiques, les sociétés ou personnes morales ne peuvent commettre de délit.

Il s’avère que la réglementation écologique étant plus avancée et développée dans certains pays que d’autres, les pays faibles sont impuissants à sanctionner les sociétés transnationales (STN) à l'origine de graves dommages pour l'environnement. A cet effet, la destruction de l’environnement dans une terre riche en biodiversité en Équateur par la société « Chevron-Texaco », en passant par la catastrophe de « Bhopal », en Inde, conséquence de l'explosion d'une usine d'une filiale de la firme américaine « Union Carbide» produisant des pesticides, à l’effondrement du « Rana Plaza », bâtiment qui abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales de vêtements, ou même la mise en danger de l’île de « Bangka », en Indonésie pour l’étain des smartphones par un conglomérat des dix multinationales, remet en surface la question d’une possible responsabilité pénale internationale des sociétés transnationales suite aux faiblesses du droit interne (1).

Ainsi, peut-on se demander : l’absence de responsabilité pénale des sociétés transnationales en droit international est-elle un simple oubli pénal eu égard à l’évolution de la responsabilité individuelle ? En quoi l’incapacité des systèmes judiciaires de nombreux pays pour juger les STN encourage t-elle celles-ci à échapper de leurs responsabilités?



L’absence de responsabilité pénale internationale des STN: simple oubli pénal ?



A la veille de la seconde guerre mondiale, l’humanité a eu la prise de conscience de grande envergure de protéger les valeurs des droits de l’homme: la vie et l’intégrité de la personne humaine. Ces graves violations des droits de l’homme ont donné naissance à des juridictions pénales ad hoc qui ont reconnu la responsabilité individuelle. Cette notion a évolué jusqu’à ce jour où nous pourrions citer le statut de la CPI qui reconnaît le crime de guerre lié à l’environnement sur le chef des individus militaires et la plupart des conventions internationales ou régionales admet la responsabilité pénale de l’individu (2).

Toutefois, la reconnaissance de la responsabilité pénale des STN en droit international n’existe pas. Aucun des textes internationaux la reconnaît à l’exception de la convention du Conseil de l’Europe ainsi que sa directive (3) qui sont une grande avancée, malheureusement cette convention n’est jamais entrée en vigueur. Or, le problème posé par les atteintes à l'environnement commises par des entreprises multinationales présente une structure semblable à celui des violations des droits de l'homme ayant donné naissance aux juridictions pénales ad hoc et reconnaissance de la responsabilité individuelle. Autrement dit, lorsque l'activité des grandes sociétés multinationales produit un risque de détérioration grave et permanente pour l'environnement et affecte en outre la santé d'un nombre indéterminé de personnes, cette situation cesse d'être un problème local ou national pour devenir une question de protection des droits de l'homme et partant un enjeu relevant de la sphère supranationale, plus précisément du droit international pénal.

Plusieurs réponses peuvent être avancées sur l’absence de cette responsabilité pénale des STN en droit international. Beaucoup avancent que ces sociétés ayant des pouvoirs et influences plus que des États à cause de leurs richesses, ne peuvent accepter des telles règles contraignantes. D’où elles ont réussi à convaincre les organisations internationales d'adopter la stratégie normative qui leur convient le mieux : le recours à des instruments de soft law et à l'autorégulation. Nous pourrions citer L'OCDE ou les Nations-Unies qui fondent leur stratégie sur des codes éthiques ou des instruments tels que le « Global Compact » et s'en remettent à la régulation interne des grandes entreprises, se contentant d'invoquer leur responsabilité sociale tout en pariant sur la menace de sanctions stigmatisantes pour leur réputation, censées suffire à garantir le respect d'engagements minima en la matière. En privilégiant alors ces codes éthiques, l’absence de leur responsabilité pénale n’est pas un oubli pénal et cela renforce leur irresponsabilité.

Par ailleurs, plusieurs de ces STN ne respectent pas ces codes éthiques, voire ils n’en disposent pas à l’exemple de la RSE ou ISO 26000 qui de fois exige à ces sociétés transnationales d’aller au-delà du respect des textes des lois des pays en ayant des comportements socialement responsables. Ainsi, la plupart recourt à des techniques peu conventionnelles pour dégrader l’environnement en toute impunité.



Délocalisation de la responsabilité pénale et dumping environnemental: soubassement de l’impuissance des systèmes judiciaires des pays faibles



Le fait de la réglementation écologique plus avancée et plus rigoureuse des pays développés produit un transfert des atteintes à l'environnement vers les pays sous-développés. Ces pays deviennent ainsi faibles à cause du manque de capacité technique de faire respecter la réglementation en la matière d’une part et d’autre part en aval de l'administration de la justice très faible, la situation de corruption généralisée.

Ces États accueillent souvent des déchets venant des grandes sociétés de ces pays développés fuyant la contrainte législative écologique existant dans leurs pays. Aussi, ils acceptent de devenir des centres de production des grandes firmes moyennant la baisse maximale des coûts de production environnementaux, ou encore l'exploitation de leurs ressources naturelles sans aucune considération pour l'environnement ou les droits les plus élémentaires des populations touchées.

Une belle illustration serait l’affaire du « Proba Koala » en Côte d’Ivoire où l’Entreprise multinationale « trafigura » fuyant le prix du traitement des déchets au Pays-Bas amène ses déchets en Côte d’ivoire les répandant à terre en zone de décharge provoquant des émanations de gaz mortels. L’État ivoirien s’est contenté de signer un accord d’immunité exonérant la société de sa responsabilité. Même situation vécue en Équateur avec la société « Chevron-Texaco » qui, à la différence du Proba Koala, n’a même pas versé un sous face aux dégâts majeurs à l’environnement que sa filiale « Texpet » avait commis. Il a toujours trouvé refuge derrière l’accord d’exonération de responsabilité qu’elle avait signé avec l’État équatorien tout en dénonçant la situation de corruption de l’administration de justice équatorienne. La conséquence est qu’aucune responsabilité de « Chevron - Texaco » n’est établie face aux dégâts causés à l’environnement en Équateur malgré le jugement rendu dans ce pays contre la société américaine qui n’avait d’ ailleurs plus d’actifs dans ce pays. La justice américaine refuse de reconnaître le jugement rendu en Équateur à cause de la corruption émaillant cette affaire (4).

De ce dumping environnemental, apparaît le phénomène de la délocalisation de la responsabilité. Les STN sont organisées en groupes d'entreprises, formés de filiales dotées de personnalités juridiques indépendantes dans chacun des pays où elles interviennent (5). Par le biais d'une stratégie intelligente du point de vue de la responsabilité civile ou pénale, elles ont pris l'habitude de placer le contrôle effectif opérationnel entre les mains des responsables locaux et de réserver à la société mère le contrôle de la stratégie globale. D’autres préfèrent délocaliser leurs responsabilité au moyen de sociétés-écrans par la magie des paradis juridiques. En cas des poursuites pénales suite aux atteintes à l’environnement provenant souvent des opérations des productions ou fabrications, les sociétés-mères seront exemptées des dites poursuites sur la simple raison qu’elles n’ont pas le contrôle effectif opérationnel, d’une part et d’autre part la saisie même de leurs actifs en cas de possible condamnation serait difficile si ces entreprises sont dans des paradis juridiques puisque la coopération judiciaire ne sera pas facile.

Il parait alors nécessaire de pouvoir admettre la responsabilité pénale des sociétés transnationales en droit internationale. Sous l’impulsion de l’Équateur et d’autres pays, l’Assemblée Générale du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies avait adopté la résolution A/HRC/26/L.22/Rev.1 du 25 juin 2014 portant l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales,et autres entreprises et les droits de l’homme qui avait décidé de créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d’ élaborer l’instrument en question.

Ce groupe de travail continue ses sessions de travail et propose plusieurs contributions dont notamment la responsabilité solidaire et conjointe des sociétés transnationales avec leurs dirigeants et leur chaînes de valeurs y compris leurs filiales et sous-traitant (6). A cet effet, la France aussi va dans le même sens, suite au drame du « Rana Plaza » qui impliquait certaines marques françaises, en adoptant la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Il s’agit de responsabiliser les STN afin d’ empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas des dommages portant atteintes aux droits humains et à l’environnement par l’obligation d’établir un plan de vigilance.

D’autres voix ne cessent de se lever pour l’adoption des normes pénales harmonisées et uniformes sur plan international en reconnaissant les crimes contre l’environnement dit « écocrimes » et « écocide » dont l’objectif reste l’incrimination des personnes morales pour mettre fin à leur irresponsabilité pénale. La convention du Conseil de l’Europe qui est une grande avancée malgré sa non mise en vigueur, demeure, néanmoins, une référence pour les projets « Conventions écocrimes et écocide» (7) et tant d’autres encore.

Références

(1) Voir à ce sujet : « Les prédateurs , la nature face au crime organisé », une enquête le Monde, 2015

(2) « Droit international pénal », Traité, sous la direction de ASCENCIO H. , DECAUX E. et PELLET A., 2e Ed, A. Pedone, Paris, 2012, pp. 21-49

(3) Article 9 de la convention du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1998 sur la protection de l’environnement par le droit pénal et l’article 6 de la directive 2008/99/CE du 11 novembre 2008 sur la protection de l’environnement par le droit pénal

(4) « Des écocrimes à l’écocide, le droit pénal au secours de l’environnement », sous la direction de NEYRET L., Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 67-89

(5) Idem pp 147-163

(6) Déclaration du Groupe de travail intergouvernemental sur l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales,et autres entreprises et le droit de l’homme, Genève, II ème Sessions du 24 -28 octobre 2016

(7) Des écocrimes à l’écocide, Op. Cit, pp. 328-346