Après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, l’intervention du législateur est attendue sur la responsabilité civile et notamment sur la responsabilité des contractants à l’égard des tiers. En effet, la jurisprudence applique aujourd’hui dans ce domaine une solution originale consacrée par l’Assemblée plénière le 6 octobre 2006.

Par cet arrêt, les juges du quai de l’horloge ont ainsi décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Ainsi, la Haute juridiction permet à un tiers d’invoquer comme fait générateur de responsabilité extracontractuelle, le non-respect d’une obligation contractuelle, du seul fait que ce manquement lui a causé un dommage. Le fait générateur de cette responsabilité étant constitué par la seule défaillance contractuelle sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer que l’inexécution soit constitutive d’une faute au sens de l’ancien article 1382 du Code civil. Cette décision prise par l’Assemblée plénière a abouti à une certaine dispersion des effets du contrat dans la jurisprudence postérieure en accueillant l’action des tiers, en négligeant le cadre contractuel et sans aucune distinction des tiers que ceux-ci soient ou non intéressés au contrat.

Le 13 mars 2017 a été présenté par l’ancien Ministre de la Justice et Garde des Sceaux Monsieur URVOAS le projet de réforme de la responsabilité civile. Ce projet de réforme revient logiquement sur la règle du non-cumul des responsabilité en renfermant chaque action en responsabilité dans son domaine propre. En effet, l’article 1233 du projet de réforme dispose que « en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur, ni le créancier ne peuvent se soustraire à l’application des dispositions propres à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur des règles spécifiques à la responsabilité extracontractuelle ». Cet article permet ainsi de contraindre les contractants à respecter le cadre contractuel pour toute action relative au contrat.

Mais plus attendu encore, le projet de réforme revient sur la responsabilité des contractants à l’égard des tiers en opérant un renversement de la jurisprudence établie par l’Assemblée plénière le 6 octobre 2006.

Selon l’article 1234 alinéa 1 du projet de réforme, « lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs [de la responsabilité] ». Ainsi, une délimitation stricte des responsabilités délictuelles et contractuelles est établie en consacrant une différenciation des fautes contractuelles et délictuelles. Dès lors, pour invoquer un manquement contractuel, un tiers devra établir que ce manquement correspond à la violation d’une norme extracontractuelle.

Ce renversement est toutefois immédiatement tempéré par l’alinéa 2 qui admet que le « tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat » puisse également invoquer un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. La notion de « tiers intéressé » permet d’engendrer une responsabilité contractuelle a contrario de la jurisprudence établie par les hauts magistrats de la Cour de cassation.

Le tiers victime ne pourra agir en réparation, que « sur le fondement de la responsabilité contractuelle ». Dans ce cas, « les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables », étant entendu que « toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite ». La situation du débiteur s’en trouve améliorée puisque celui-ci pourra s’appuyer sur les limitations prévues au contrat.

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 18 mai 2017 – soit deux mois après la présentation du projet de réforme – semble adopter la distinction prévue par ce projet. En effet, elle casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 12 novembre 2015 décidant « Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui, tirés du seul manquement à une obligation contractuelle de résultat de livrer un ouvrage conforme et exempt de vices, sont impropres à caractériser une faute délictuelle ». Ainsi, la troisième chambre civile suggère que seuls les tiers intéressés pourraient se prévaloir d’un manquement contractuel et uniquement lorsque ce manquement correspond à la violation d’une norme extracontractuelle. Reste que la première chambre civile dans un arrêt du 24 mai 2017, certes inédit, persiste en affirmant que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

En conclusion, les deux conditions proposées par le projet de réforme semblent souhaitables en permettent ainsi d’une part de respecter le cadre contractuel et en limitant les actions aux seuls tiers intéressés au contrat. Il reste qu’il ne s’agit là que d’un projet de réforme qui fera sans doute l’objet de nombreuses modifications avant son éventuelle adoption.


Bibliographie :

-Fages B., Droit des obligations, LGDJ – Lextenso, 5e éd., 2015, no 226

-RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier, 115, obs. J. Mestre et B. Fages, et 123, obs. P. Jourdain

-RTD civ. 2017. 666, obs. P. Jourdain

-Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255

-Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203

-Civ. 1, 24 mai 2017, n° 16-14.371