La question de l’agriculture a toujours été au cœur des négociations dans le cadre du commerce international. Cela s’est avéré depuis les cycles de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce, GATT en passant par celui de l’Uruguay qui a institué l’Organisation Mondiale du Commerce, OMC et continue toujours à attirer une grande attention et à faire couler beaucoup d’encre car l’agriculture présente plusieurs fonctions notamment celles non commerciales.(1)

Cette vision que l’agriculture est multifonctionnelle est défendue par un certain nombre de Membres de l’OMC à l’instar de l’Union européenne et les pays en développement. L’OMC a commencé son processus de réforme de l’Accord sur agriculture issu de l’Uruguay Round depuis sa quatrième conférence tenue à Doha du 9 au 13 novembre 2001. Durant cette conférence dite “ Programme de Doha pour le Développement (PDD) ou cycle de Doha , l’essentiel des négociations portait sur l’agriculture et l’ amélioration de l’accès aux marchés des pays riches pour les produits agricoles des pays en développement. L’OMC est composée en majeure partie par les pays en développement, qui, avancent comme l’une des revendications clés la prise en compte des considérations autres que commerciales à savoir l’environnement - la santé, la sécurité alimentaire et le développement rural.


Externalité positive et négative, soubassement de la multifonctionnalité de l’agriculture


L'idée qui sous-tend la multifonctionnalité de l'agriculture est celle qui consiste à dire que l'activité agricole induit un certain nombre d'effets positifs et négatifs appelés externalités. L'agriculture peut en effet avoir des externalités – positives ou négatives – notamment sur l'environnement et la santé, la sécurité alimentaire, et le développement rural. Autrement dit, l'agriculture fournit non seulement des produits alimentaires mais aussi des services environnementaux et écologiques. Cette question implique la justification de l’intervention étatique.

Une disposition de l’Accord sur l’agriculture revêt une importance particulière en matière de multifonctionnalité de l’agriculture. Il s’agit d’abord du préambule qui dispose que : « Notant que les engagements au titre du programme de réforme devraient être pris de manière équitable par tous les Membres, eu égard aux considérations autres que d'ordre commercial, y compris la sécurité alimentaire et la nécessité de protéger l'environnement, eu égard au fait qu'il est convenu qu'un traitement spécial et différencié pour les pays en développement est un élément qui fait partie intégrante des négociations, et compte tenu des effets négatifs possibles de la mise en œuvre du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires(…) »(2)


Lien étroit entre commerce agricole et respect de l’environnement


La multifonctionnalité de l'agriculture implique que l'activité agricole peut avoir des effets ou externalités sur l'environnement et la santé. L'usage des pesticides illustre assez bien le propos comme en est le cas des riz du Vietnam refusés aux États-Unis en 2016. En présence d'externalités négatives, il se pose alors la question de savoir comment et dans quelles limites les pouvoirs publics peuvent, sur ce prétexte, intervenir dans la régulation du commerce des produits agricoles. Le principe de l'intervention publique est généralement admis, notamment dans le GATT de 1947 qui lui consacre les paragraphes b) et g) de l'article XX sur les exceptions générales en ces termes:
« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures :
b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux;
g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales; »

Parmi les externalités positives, il y la sécurité alimentaire étroitement liée à l’agriculture. La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.(3)

De cette définition, l’on voit le lien étroit que l’agriculture entretient avec l’environnement - sécurité alimentaire. Cette définition regorge quatre dimensions: (i) La disponibilité d’aliments en quantité suffisante et d’une qualité appropriée, dont l’approvisionnement est assuré par la production nationale ou les importations (y compris l’aide alimentaire); (ii) L’accès d’une personne à des ressources (ou encore droits d’accès) suffisantes lui permettant d’acquérir une nourriture adéquate et nutritive; (iii) L’utilisation de la nourriture grâce à une alimentation adéquate, une eau propre, un assainissement et des soins de santé suffisants de façon à obtenir un état de bien-être nutritionnel qui permette de satisfaire tous les besoins physiologiques; (iv) La stabilité de la disponibilité alimentaire et de l’accès aux aliments, même en cas de choc soudain (par exemple, une crise économique ou climatique) ou d’événement cyclique (par exemple, une pénurie alimentaire saisonnière).

Les PED dont la plupart ont du mal à vivre ces 4 dimensions faisant ainsi de leurs pays des poubelles en important des produits agricoles non viables et malsaines, veulent l’intégration au sein des négociations de reforme agricole au sein de l’OMC de l’aspect agriculture - environnement - sécurité alimentaire car la plupart d’entre eux sont importateurs nets de produits alimentaires.


Ces négociations devant aboutir à un nouvel accord sur l’agriculture peine à se conclure dans le cadre du cycle de Doha connaissant ainsi des échecs répétitifs depuis 2001, notre regard se tourne vers la 11ème conférence qui va se tenir à Buenos Aires du 10 au 13 décembre 2017.

L’approche que devrait prendre le nouvel accord sur l’agriculture est confirmée par la Déclaration ministérielle de Doha de 2001 : « Nous convenons que le traitement spécial et différencié pour les pays en développement fera partie intégrante de tous les éléments des négociations et sera incorporé dans les Listes de concessions et d'engagements et selon qu'il sera approprié dans les règles et disciplines à négocier, de manière à être effectif d'un point de vue opérationnel et à permettre aux pays en développement de tenir effectivement compte de leurs besoins de développement, y compris en matière de sécurité alimentaire et de développement rural. Nous prenons note des considérations autres que d'ordre commercial reflétées dans les propositions de négociation présentées par les Membres et confirmons que les considérations autres que d'ordre commercial seront prises en compte dans les négociations comme il est prévu dans l'Accord sur l'agriculture » (4)



1. Voir à ce sujet: Reagan Intolé, « Droit de l’OMC et l’Agriculture: analyse sur l’accès des PED-PMA aux marchés agricoles », Mémoire de recherche, Université Paris II Panthéon - Assas - Université d’ Économie et de Droit de Ho Chi Minh Ville - UNV, Paris - HCMV, 2017, pp. 48-50

2.Préambule de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC de 1995, paragraphe 6 .

3.La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture: changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire, FAO, Rome, 2016, pp. 8-9

4.Déclaration ministérielle de Doha, paragraphe 13, in fine.