L’année 2017 a été riche en colloques et en débats sur l’avenir du rail français et ce autant plus qu'elle a succédé à l’adoption du quatrième paquet ferroviaire fin d’année 2016. A la lumière de ces négociations et durant les différents colloques organisés en France et réunissant des représentants de différents pays européens et de différentes institutions (régulateurs, opérateurs privés, opérateurs historiques), les observateurs du système ferroviaire français se sont récemment accordés sur un même constant : le transport ferroviaire français ne satisfait pas les besoins des usagers, des contribuables, et des autorités organisatrices de transport.

Pour cela, nous assistons aujourd’hui à la préparation d’une révolution du secteur ferroviaire français, révolution qui partage les individus entre ceux qui soutiennent le principe de la concurrence ferroviaire et ceux qui s’y opposent. Cette fragmentation de croyances témoigne, loin des polémiques stériles, de l’attachement collectif que la France porte aux chemins de fer, symbole d’identité nationale et de la crainte qu’il soit érodé par la concurrence ferroviaire. Dans un tel contexte, l’État devra jouer son rôle d’arbitre, d’adopter une stratégie nationale cohérente avec, à la fois, les besoins de mobilité de ses citoyens, d’amélioration des territoires français, mais aussi, avec la politique ferroviaire européenne. C’est dans ce contexte d’apparente rupture entre les citoyens au sujet du potentiel de la concurrence ferroviaire, que l’État devra faire preuve de ses vertus de conciliateur, d’instance rationnelle prête à reconnaitre les déficiences du secteur et d’enrayer la dégradation de celui-ci en agissant de manière rapide, efficace et adaptée.

Une concurrence ferroviaire déclinée par la politique étatique

La concurrence ferroviaire demeure in fine un choix décliné par la politique étatique. C’est à ce titre, qu’il incombe à l’État et ses entités de faire preuve de pédagogie en précisant aux acteurs du secteur et aux citoyens que la libéralisation du secteur n’équivaut nullement à un abandon du service public, à un baisse des exigences de qualité et de sécurité et que la concurrence, en tant que moyen de franchir un autre cap dans l’histoire du rail français, est une concurrence qui sera maîtrisée et régulée. La concurrence devra sur le fond d’un cadre légal bien défini, avec des rôles des acteurs clairement précisés, permettre au secteur ferroviaire de poursuivre son ascension sur la voie de la modernité et de l’innovation, de l’excellence et de l’obtention d’un nouveau souffle commercial.
Il incombe à l’Etat dans sa qualité de responsable de la politique nationale d’aménagement du territoire et dont le secteur ferroviaire est indubitablement un levier majeur grâce à la mobilité qu’il procure aux usagers et au développement territorial, de définir les « ambitions ferroviaire de la France » et d’agir pleinement dans le respect de sa fonction de stratège et d’autorité organisatrice nationale du système ferroviaire. Or, les vertus d’une « affaire de la nation », tel qu’est le ferroviaire, selon les mots de Monsieur Auxiette, ne semblent pas pourtant, suffisamment déclinées à présent. Les décideurs politiques devraient en effet mettre en œuvre le projet de la concurrence ferroviaire et faire part au public des orientations qu’ils comptent donner à celui-ci afin de conforter et renforcer leur légitimité politique. Il leur revient de définir les « moyens budgétaires et financiers alloués à la mise en œuvre de cette politique » car c’est l’Etat qui représente l’acteur stratège majeur du système ferroviaire ainsi que l’autorité organisatrice nationale de celui-ci. L’Etat est donc directement chargé d’identifier les services ferroviaires attendus par les usagers, d’assurer la complémentarité des services régionaux et ceux nationaux « dans une chaine de transport cohérente et coordonnée et en réalisant les infrastructures nécessaires à sa mise en œuvre ».

Il en résulte que le choix de la concurrence ferroviaire devra traduire une implication proactive de l’État français et de ses entités dans le processus, tant en amont, par la création d’un cadre légal qui appréhende le principe de la concurrence qu’en aval, grâce à des mécanismes de contrôle et de régulation. Le choix de la concurrence ferroviaire devra en outre représenter un choix assumé et conscient qui supposera un investissement de la part des puissances publiques dans le secteur ferroviaire et particulièrement au niveau de l’infrastructure ferrée. L’implication dans ce processus concurrentiel devra avoir pour effet de montrer la volonté étatique des puissances publiques à être proactives dans les démarches tendant à éviter la fermeture des lignes et de gares, la limitation des dessertes.

L’État français, devra ainsi, en s’inspirant des modèles étrangères, agir sur plusieurs plans: (1) il devra mener un travail de réflexion et de coopération avec les régions, acteurs directs de la maîtrise de leurs systèmes de transport ferroviaire, (2) le législateur sera tenu d’actualiser la loi LOTI en incluant l’hypothèse de la pluralité d’acteurs ferroviaires ; (3) l’État devra renforcer son statut d’actionnaire et de mettre en place une véritable stratégie de management respectueuse de la dynamique concurrentielle.

Une proposition de loi ouvrant la voie à la concurrence ferroviaire

Le processus d’ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux étant possible à partir du 3 décembre 2019, les sénateurs Hervé Maurey (UDI-UC Eure), président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et Louis Nègre (Les Républicains- Alpes Maritimes), président du groupe de travail « Mobilités et transports » de cette commission ont mis en chantier une proposition de loi dont l’objectif est celui d’encadrer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Cette proposition de loi est conçue pour tenir compte du calendrier européen envisagé pour l’ouverture des marchés nationaux du secteur, à savoir notamment une ouverture à la concurrence des services conventionnés (en France, TER et TET) à partir de 2019 et des services commerciaux (TGV) à compter du 1er janvier 2019 pour une application effective à compter du 2021. Cette démarche s’inscrit dans le mouvement de reconfiguration nécessaire du cadre légal français à travers une loi éclatant le monopole de l’opérateur historique afin de créer les prémisses de la préparation des acteurs du secteur à la libéralisation de celui-ci. Dans cette perspective, au cours d’une quinzaine d’auditions, des acteurs prenants du secteur ont été entendus parmi lesquels nous citons : les autorités organisatrices de transport, le groupe public ferroviaire, les autres entreprises ferroviaires (Transdev), l’ARAFER, les ministères.

Pour les deux sénateurs l’ouverture ferroviaire est « indispensable à la survie du transport ferroviaire de voyageurs, face à la concurrence exacerbée des autres modes de transport, aussi bien aérien que routier (bus covoiturage, voiture individuelle ». Ils se sont montrés favorables à une ouverture à la concurrence immédiate, sans intermédiation d’une quelconque expérimentation, à partir de la fin de l’année 2019. La seule limite à cette ouverture effective sera constituée par le « jeu de renouvellement des conventions » telles qu’elles ont été signées par les AOT et la SNCF Mobilités avant le 3 décembre 2019. En effet les régions et la SNCF Mobilités sont à présent liées par des conventions dont la durée se place entre cinq et huit ans et dont la moitié des régions sont actuellement en train de les négocier. Pour les sénateurs Maurey et Nègre, la piste de l’expérimentation n’est plus à actuellement exploitable car elle se situerait hors le calendrier de l’ouverture à la concurrence telle qu’initiée par les instances européennes. Ils estimaient ainsi que « Pour que la concurrence soit effective à la fin de 2019, et que les acteurs puissent s’y préparer dans des bonnes conditions, nous devons adopter un texte sans tarder, et anticiper toutes les répercussions de cette libéralisation pour l’usager et pour les personnels ». L’urgence de la reconfiguration du cadre légal national accueillant l’ouverture à la concurrence directement, sans une phase préalable d’expérimentation, est d’ailleurs, confirmée par le président Macron qui s’est montré favorable à l’accélération de l’ouverture du secteur en déclarant : « L’heure n’est pas à une expérimentation […]. L’Etat doit permettre aux Régions de recourir à la concurrence dès qu’elles le souhaitent et dans de bonnes conditions. Cela passera donc par une loi qui devra intervenir au début du quinquennat. Cette loi devra notamment préciser les conditions dans lesquelles les personnels pourront être transférés vers les nouveaux opérateurs en cas de transfert de contrat ». Pour bien mener à terme ces mesures, il avait appelé le gouvernement à « consulter le Parlement, les Régions, les associations d’usagers, et les cheminots sur le meilleur scénario financier et industriel de long terme pour le Groupe » et cela, toujours dans un objectif d’accroissement de la productivité des entreprises. Pour lui, il est donc indispensable que des efforts pour plus de productivité soient déployés et que les règles d’emploi des cheminots évoluent afin « que la SNCF gagne en performance « et qu’elle « dispose d’une trajectoire financière équilibrée et pérenne ».

Les sénateurs avaient ainsi déclarés que « Si ces conventions durent six à sept années comme c’est le cas en moyenne, l’ouverture effective du marché n’aura lieu qu’entre 2023 et 2025 ». Autrement dit, bien que la concurrence ferroviaire, soit en principe admise à partir de l’année 2019, elle ne produira des effets que de manière « progressive » et les régions ne pourront contracter, au titre de leurs services ferroviaires régionaux, avec d’autres opérateurs ferroviaires que la SNCF Mobilités qu’à partir de la date d’échéance desdites conventions. Cependant, les senteurs ont confirmé que, lorsque des régions volontaires qui se sont dotées de dispositifs spécifiques sous la forme d’une clause d’ouverture à la concurrence dans leurs conventions avec la SNCF Mobilités, tel que c’est le cas de la région Grand Est, pourront contracter avec un autre opérateur que la SNCF Mobilités à partir du 3 décembre 2019.

Les sénateurs Maurey et Nègre se sont prononcés en faveur du maintien au bénéfice des agents sous statut de leur rémunération, de leurs droits à la retraite et de la garantie de l’emploi. En contrepartie de ces droits acquis, les nouveaux entrants fixeront les règles d’organisation du travail dans le respect de la hiérarchie de normes (décret-socle et convention collective nationale de la branche ferroviaire telle qu’il en résulte de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire). Pour garantir l’indépendance juridique et organisationnelle de Gares et Connexions par rapport à SNCF Mobilités, ils proposaient que celle-ci soit constituée comme une filiale de SNCF Réseau. Enfin pour garantir un accès des usagers ferroviaires situés dans des territoires ruraux aux services ferroviaires à partir des lignes de grande vitesse, les sénateurs ont avancé l’hypothèse d’une concurrence sur la base d’un système de franchises regroupant tant les lignes très rentables que les lignes moins rentables. Il s’agirait en effet d’un système de franchise qui fonctionnerait sur la base du principe de péréquation entre les lignes les plus rentables et les moins rentables.

La proposition de loi s’attache en outre à la nécessité des autorités organisatrices de transport d’accéder aux données de SNCF Mobilités afin de pouvoir organiser leurs appels d’offres. Les sénateurs ont identifié plusieurs points de vigilance au sujet du traitement des barrières à l’entrée des nouveaux entrants sur le marché. Considérant l’acquisition et l’homologation du matériel roulant comme un potentiel frein à l’accès sur le marché, les sénateurs se sont positionnés en faveur de la récupération par les régions, de la propriété du matériel roulant à charge ces dernières de le mettre à la disposition des entreprises ferroviaires ayant gagné les appels d’offres. Aussi, concernant l’accès aux ateliers de maintenance et aux autres facilités essentiels, des garanties d’accès non discriminatoires des entreprises ferroviaires devront être prises et consolidées.

Les dérogations au principe de mise en concurrence telles qu’envisagées par le règlement OSP nouvellement modifié n’ont pas été retenues par les sénateurs. La mise à l’écart de ces dérogations se justifie par la volonté de sénateurs à s’assurer « d’une libéralisation effective sur l’ensemble du territoire ». Par conséquent, bien qu’ils n’aient pas retenu lesdites dérogations, ils n’ont pas manifesté une opposition à la régie.

La loi attendue pour le premier semestre de l’année 2018 devrait trancher ces aspects clés du processus d’ouverture à la concurrence du secteur.En effet, au-delà de ces éléments clés qui doivent indubitablement être spécifiés par la loi, le cadre légal modifié en vue d’accueillir le principe de la concurrence ferroviaire devra : (1) révéler une stratégie industrielle fondée sur des objectifs observables et mesurables ; (2) trancher la question de la dette ferroviaire et illustrer, dans un climat concurrentiel, les hypothèses selon lesquelles l’opérateur national SNCF Mobilités bénéficiera par la suite des aides étatiques et enfin, (3) délimiter davantage, grâce à une démarche de rationalisation, les fonctions précises des acteurs du secteur.



Bibliographie

Proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, JO Sénat, 6 sept. 2017, texte n° 711

X. Delpech, « Transport ferroviaire -Vers l’ouverture à la concurrence », JT 2017, n°201, p.10

Rapport Monsieur Jacques Auxiette, « Un nouveau destin pour le service public ferroviaire français : les propositions des Régions », avril 2013, remis à Monsieur Jean-Marc Ayrault Premier ministre et Monsieur Fréderic Cuvillier, Ministre délégué des Transports, de la Mer et de la Pêche

Dossier « Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs », Espace presse, « Quatre questions à Hervé Maurey et Louis Nègre, sénateurs (21 juin 2017), Sénat

M. Hubert Haenel, Rapport au Premier Ministre intitulé « Ecrire l’acte II de la révolution ferroviaire régionale », Remis le 26 octobre 2008, p.63.

Article de presse, « Une proposition de loi sur la table pour libéraliser le transport ferroviaire », dans Le Figaro, publié le 21 juin 2017

Article de presse, « Air France SNCF, ADP, Alstom, Uber : les dossiers chauds de Macron dans les transports », dans La Tribune, publié le 11 mai 2017