Le droit de l’urbanisme et le droit des ICPE n’ont pas le même objet. Ils sont soumis au principe d’indépendance des législations, qui suppose que « chaque réglementation bénéficie d’une application souveraine et exclusive, pour les procédures qu’elle décrit et les buts qu’elle poursuit » : un acte pris dans le cadre d’une législation ne peut en principe pas se voir opposer une règle issue d’une autre législation, et l’on ne peut invoquer l’illégalité d’une décision d’urbanisme pour contester un titre ICPE (CE 1er juillet 1959, Sieur Piard) et inversement (CE 27 juillet 1979, n° 00649, Société Confiserie azuréenne).

Toutefois, une installation est nécessairement implantée sur un terrain, qui fait l’objet d’une réglementation d’urbanisme : il ne peut donc pas être envisagé un droit de l’urbanisme et un droit des ICPE qui s’ignoreraient mutuellement. Le législateur et le Juge administratif n’ont eu de cesse d’apporter des inflexions et des atténuations au principe d’indépendance des législations.

L’on peut alors se demander dans quelle mesure droit de l’urbanisme et droit des ICPE s’articulent-ils, lors de l’ouverture d’une installation classée, et si le principe d’indépendance des législations trouve toujours sa place dans l’appréhension de ces deux domaines.

Il s’agit de s’intéresser à la coordination des procédures de demande de titre ICPE et d’autorisation d’urbanisme, ainsi qu’à l’opposabilité des règles d’urbanisme local lors de l‘ouverture d’une installation classée.


Coordination des procédures d’autorisation ICPE et d’urbanisme


L’autorisation de mettre en service une installation classée ne vaut pas permis de construire et réciproquement. Les procédures sont cependant liées.

D’une part, le pétitionnaire doit justifier du dépôt de la demande de titre ICPE lors de sa demande d’autorisation d’urbanisme.

L’article R. 431-20 du code de l’urbanisme dans sa version du 1er mars 2017 issue du décret n° 2017-81 du 26 janvier 2017 dispose ainsi que, pour les travaux portant sur une installation classée soumise à enregistrement ou déclaration, la demande d’autorisation d’urbanisme doit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande au titre de la législation ICPE.
Dans sa rédaction précédente, cet article concernait également les demandes d’autorisation d'exploiter.


En vertu de l’article L425-14 du Code de l’urbanisme, lorsque le projet est soumis à déclaration ou à autorisation, l’autorisation d’urbanisme peut être délivrée avant la délivrance du titre ICPE, mais ne peut être exécutée qu’après celle-ci.

D’autre part, il est nécessaire de justifier du dépôt de la demande de permis de construire dans le dossier ICPE.

Concernant les demandes d’enregistrement, l’article R. 512-46-6 du code de l’environnement dispose que lorsque l'implantation d'une installation nécessite l'obtention d'un permis de construire, la demande d'enregistrement doit être accompagnée ou complétée dans les dix jours suivant sa présentation par la justification du dépôt de la demande de permis de construire.

Concernant les demandes d’autorisation environnementale, l’article L181-9 du code de l’environnement précise que la demande d’autorisation peut être rejetée à l’issue de la phase d’examen par l’autorité administrative compétente si l'autorisation d'urbanisme nécessaire à la réalisation du projet, apparaît manifestement insusceptible d'être délivrée eu égard à l'affectation des sols définie par le plan local d'urbanisme ou le document en tenant lieu ou la carte communale en vigueur au moment de l'instruction, à moins qu'une procédure de révision, de modification ou de mise en compatibilité.


Opposabilité des règles d’urbanisme locales lors de l’ouverture d’une ICPE


L’article L 152-1 du code de l’urbanisme dispos que l’ouverture d’installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le PLU doit être conforme au règlement et à ses documents graphiques. (Il y a un rapport de conformité entre titre ICPE et PLU. (Cet article remplace l’article L. 123-5 du même code qui évoquait seulement l’opposabilité du règlement et de ses documents graphiques à l’ouverture d’une ICPE). Ainsi, le document d’urbanisme doit viser les catégories d’installations qui sont concernées. Ces dispositions ne valent que pour les autorisations et enregistrements.

Il en découle que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du PLU peut être invoqué à l'appui d'un recours contre l'autorisation d'exploitation d'une installation classée (CE, 6 mars 1987, n° 50475, Sainte-Rose ; CE, 30 juin 2003, n° 228538, SARL Protime).

Le préfet est ainsi lié par la réglementation issue du règlement d’urbanisme : dès lors qu’un projet n’est pas compatible avec le plan, il n’a d’autre choix que de rejeter la demande de titre ICPE.


Combinaison des règles du contentieux de pleine juridiction et d’opposabilité du document d’urbanisme au titre d’exploitation ICPE


Le contentieux des installations classées est un contentieux de pleine juridiction : en cas de contentieux, la légalité du titre ICPE est appréciée par le juge au regard du droit applicable au jour où il statue.

Jusque récemment, l’on pouvait donc avoir le cas de figure suivant : un exploitant se voit délivrer un titre d’exploiter conforme au document d’urbanisme local au jour de la délivrance ; par la suite, le document d’urbanisme est modifié, entrainant la non-conformité du titre ICPE au document d’urbanisme nouveau : le juge administratif saisi d’une demande d’annulation du titre ICPE se prononçant en vertu du droit en vigueur à la date de sa décision, il doit alors annuler le titre d’exploiter car non conforme au nouveau PLU, alors même qu’il était conforme au précédent. (Par exemple : CAA, Bordeaux, 19 février 2013, n° 11BX02721, Société entreprise routière du grand sud). Régnait ainsi une grande insécurité juridique.

Une évolution longtemps attendue a été opérée par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTE). L’article L. 514-6 du code de l’environnement prévoit désormais que la compatibilité d’une ICPE avec les dispositions d’un SCOT, PLU, POS ou carte communale est appréciée à la date du titre d’exploiter (autorisation, enregistrement, déclaration). Cette évolution vise à sécuriser les projets, en évitant que les autorités compétentes en matière d'urbanisme n'empêchent l'implantation d'une ICPE en modifiant les documents d'urbanisme applicables.

Le Conseil d’Etat a fait évoluer sa jurisprudence dans le même temps (CE, 22 févr. 2016, nº 367901, Société Entreprise routière du grand sud). Il s’est toutefois basé sur l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme, en retenant une interprétation stricte fondée sur l’intention du législateur : le document d’urbanisme n’est opposable qu’aux autorisations délivrées après son adoption. En outre, lorsque les dispositions du PLU évoluent dans un sens défavorable à l’exploitation, elles ne sont pas opposables au titre ICPE.

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 16 décembre 2016 apporte aussi des précisions sur ce sujet (CE, 16 décembre 2016, nº 391452, SA Ligérienne Granulats nº 391688, MEEDE) : le document d’urbanisme local en vigueur au jour de la délivrance de l’autorisation est opposable à ladite autorisation. En cas de méconnaissance de la règle d’urbanisme en vigueur à la date de l’autorisation, le juge du plein contentieux des ICPE peut prendre en compte que, au jour où il statue, le PLU a été modifié et ne fait plus obstacle à l’implantation d’installations relevant de la catégorie de celle en cause. En outre, l’on peut exciper de l’illégalité du PLU pour demander l’annulation de l’autorisation ICPE, mais, comme l’illégalité de PLU a pour effet de remettre en vigueur les règles qui s’appliquait auparavant, pour que l’autorisation soit annulée sur ce fondement, encore faut-il qu’elle ne respecte pas les règles d’urbanisme remise en vigueur.

Droit de l’urbanisme et droit des installations classées entretiennent donc une relation poreuse ; une approche pragmatique du principe d’indépendance des législations semble judicieuse : sans le renier totalement, sa nécessité étant reconnue au plan juridique, le législateur et la jurisprudence y apportent des palliatifs afin de permettre une appréhension réaliste de l’articulation entre droit de l’urbanisme et droit des installations classées.