L’entrée en vigueur, le 14 juillet 2010, de la loi Grenelle 2 marque la naissance d’un droit français des nanotechnologies. Description et analyse critique du nouveau régime.

SYMBOLE ? C’est le jour de notre fête nationale qu’est entrée en vigueur la loi portant engagement national pour l’environnement (dite Grenelle II). Impactant potentiellement tous les domaines économiques, fruit de presque trois années de débats passionnés et modelée au flux et au reflux des vagues de l’actualité, la loi Grenelle II contient des dispositions pour certaines révolutionnaires. Telles sont celles de son article 185, qui viennent régir pour la première fois en droit français ces objets, aussi fascinants qu’inquiétants, que sont les nanoparticules. On rappellera le manque antérieur de règles adaptées (I), avant d’étudier le nouveau régime des nanoparticules (II) et de proposer une lecture critique de celui-ci (III).

1. L’inexistence juridique des nanoparticules avant la loi Grenelle 2

1.1. « Nanomonde et maxitrouille » (1)
Les nanotechnologies désignent un ensemble de techniques et de recherches portant sur les propriétés des objets très petits : leur taille est de l’ordre d’un milliardième de mètre. Tout ce qui est « nano » relève de cet ordre de grandeur ; pour schématiser, rappelons qu’une nanoparticule est à un ballon de football ce que le diamètre d’un ballon de football est à celui de la Terre.
Ces objets ont des comportements très particuliers dus précisément à leur petite taille : un matériau isolant à l’état normal devient conducteur à l’échelle nano, un matériau opaque devient transparent… etc. Les industriels exploitent depuis déjà plusieurs années ces nouvelles propriétés pour améliorer leurs produits. Les nanoparticules permettent d’améliorer la pénétration dans la peau des crèmes solaires, les propriétés de conservation des emballages alimentaires ou encore la longévité des peintures et de différents revêtements. A tel point qu’il existe un nano-enthousiasme et que nombreux sont ceux qui associent nanotechnologies et progrès.
Pourtant, des inquiétudes apparaissent. D’une part, on sait très peu sur les conséquences des nanoparticules en termes d’exposition humaine, d’effets sur les organismes vivants et de persistance dans l’environnement. D’autre part, certaines études sur des cobayes font état de risques de lésions très importantes rappelant celles causées par l’amiante. Risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, absence de certitudes… On l’aura compris, les nanotechnologies entrent sans conteste dans le champ d’application du principe constitutionnel de précaution (2). Et pourtant les applications nano voient le jour, les nanoproduits sont commercialisés et imprègnent peu à peu, de manière totalement invisible, notre environnement (3).

1.2. Le manque de règles de droit
Le règlement communautaire REACH, norme de référence en matière de substances chimiques, ignore tout à fait les nanoparticules et leurs propriétés particulières (4).
En cas de dommage causé par des nanoparticules, on pourrait envisager la mise en œuvre du droit de la responsabilité. Non pas sans doute sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, car le producteur prouverait aisément que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation, n’aurait pas permis de déceler l'existence du défaut de sécurité (5). Peut-être alors sur le fondement de la responsabilité pour faute, pour défaut de réalisation des études nécessaires à la connaissance des risques au titre du principe de précaution, ainsi que le suggère, à titre prospectif, Corinne LEPAGE (6). Mais de telles perspectives restent bien hypothétiques faute de moyens matériels adéquats pour rapporter la preuve d’un lien de causalité entre des nanoparticules et un dommage. Peut-être encore pourrait-on envisager la recevabilité de présomptions graves, précises et concordantes, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de vaccins (7) ?... Rien enfin de vraiment assuré en l’état de notre droit.
Etant données, concernant les nanoparticules, l’existence d’un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement et l’absence de certitudes, la Charte de l’environnement, de valeur constitutionnelle, tend à imposer aux autorités publiques l’application du principe de précaution, c'est-à-dire la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires visant à parer la réalisation des dommages envisagés. Jusqu’à présent, rien n’avait été fait. Mais le législateur prend aujourd'hui ses responsabilités en proposant un régime applicable aux nanoparticules.

2. Le nouveau régime des nanoparticules

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II, insère dans le code de l’environnement un nouveau chapitre intitulé « Prévention des risques pour la santé et l'environnement résultant de l'exposition aux substances à l'état nanoparticulaire ». Celui-ci, qui comprend sept articles numérotés L. 523-1 à L. 523-7, est intégré au livre consacré à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances.

2.1. Personnes visées (rationae personae)
Le nouveau régime comporte essentiellement une obligation déclarative. Celle-ci pèse sur les fabricants, importateurs et distributeurs de substances à l'état nanoparticulaire ou de matériaux destinés à rejeter de telles substances.

2.2. Produits visés (rationae materiae)
La définition des substances à l’état nanoparticulaire ne devrait pas soulever trop de problèmes. Une définition scientifique souvent retenue des nanoparticules est celle d’objets dont au moins une des dimensions est inférieure à 100 nanomètres.
Les substances à l’état nanoparticulaire visées peuvent être en l'état, ou contenues dans des mélanges sans y être liées. Sont visés également les matériaux destinés à rejeter des substances à l’état nanoparticulaire dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d'utilisation.
Il est à noter que le caractère lié de la nanoparticule, et la capacité d’un matériau à rejeter des nanoparticules, dépendent en partie de l’état des connaissances sur le comportement à long terme des nanoparticules.
La loi précise que le régime des nanoparticules est applicable aux produits de santé, aux produits biocides et phytosanitaires et aux médicaments vétérinaires.

2.3. Obligation déclarative
Les personnes visées auront l’obligation de déclarer à l'autorité administrative un certain nombre d’informations :
- l'identité de la substance
- la quantité de substance
- les usages de la substance
- l'identité des utilisateurs professionnels à qui elles ont été cédées à titre onéreux ou gratuit.
Cette déclaration devra être faite périodiquement, selon une périodicité à préciser par décret en Conseil d’Etat.
A défaut de précisions dans la loi, il semble que le fait générateur de l’obligation déclarative se déduise de la qualité de la personne visée :
- pour le fabricant, le fait générateur est le fait de fabriquer la substance ou le matériau ;
- pour l’importateur, le fait de l’importer (la date à retenir sera-t-elle celle du transfert de propriété, ou de l’entrée en France ou encore de la mise à la consommation ?) ;
- pour le distributeur, le fait de vendre dans un circuit commercial.

2.4. Obligation de communication des informations relatives aux risques
Le nouvel article L. 523-2 dispose que les personnes visées doivent transmettre, à la demande de l’autorité administrative, toutes les informations disponibles relatives :
- aux dangers des substances ;
- aux expositions auxquelles elles sont susceptibles de conduire ;
- ou utiles à l'évaluation des risques sur la santé et l'environnement.

2.5. Publication des informations déclarées
Sont mises à disposition du public :
- les informations déclarées relatives à l'identité et aux usages des substances ;
- les informations transmises relatives aux risques.
En revanche, l’identité des utilisateurs professionnels ne sera pas publiée, la loi précisant qu’elle relève de plein droit du secret industriel et commercial.
Deux exceptions sont toutefois prévues. La première autorise le déclarant à demander à l’autorité administrative de ne pas publier des informations pour lesquelles il revendique le secret industriel et commercial (8). La seconde permet à l'autorité administrative de prévoir des dérogations à la publication « lorsque cela est nécessaire à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale ».

2.6. Entrée en application
Des décrets d’application sont attendus pour préciser, au minimum :
- la périodicité des déclarations obligatoires ;
- les modalités de publication des informations déclarées ;
- les modalités de transmission des informations relatives aux risques ;
- la désignation des organismes spécifiques à la disposition desquels seront mises les informations à des fins d’évaluation des risques.
Le régime des nanoparticules ne sera applicable qu’à compter de l’entrée en vigueur de ces décrets non encore publiés.

3. Analyse critique

3.1. POINTS POSITIFS
3.1.1. La traçabilité des nanoparticules
On va enfin connaître les produits comportant des nanoparticules. Cette exigence est fondamentale pour progresser dans la connaissance du niveau d’imprégnation de notre société en nanoparticules. Les premières informations seront attendues de pied ferme par l’ensemble des acteurs intéressés par les nanotechnologies afin d’évaluer l’étendue des applications aujourd'hui disponibles.

3.1.2. L’information du public
L’information des citoyens sur la présence de nanoparticules dans les produits constitue une avancée démocratique incontestable.

3.1.3. L’information sur les risques
L’obligation pour les industriels de communiquer les informations qu’ils détiennent concernant les risques des nanoparticules qu’ils produisent et distribuent devrait aider à mettre un terme à la suspicion qui peut naître à leur égard.

3.2. POINTS A AMELIORER
3.2.1. Informer le consommateur
Il n’est pas prévu dans la loi de mécanisme d’information du consommateur. Certes, le lecteur attentif des textes officiels pourra constater que telle entreprise utilise des nanoparticules pour tel produit mis sur le marché. En revanche, le consommateur ne trouvera « dans les rayons » aucune information sur les nanoparticules présentes dans les produits proposés. On aurait pu imaginer une mention lisible obligatoire de la présence de nanoparticules, qui eût permis aux citoyens d’effectuer, ainsi qu’en matière d’OGM, un choix éclairé avec ou sans nanoparticules.

3.2.2. Rendre automatique la communication des informations détenues par les industriels
La communication des informations relatives aux risques détenues par les industriels est conditionnée par la demande formulée par l’administration. Sous réserve du décret d’application qui précisera les conditions de cette demande, il est permis de s’interroger sur la motivation de ce qu’il faut bien considérer comme une certaine limitation de l’obligation de communiquer les données détenues relatives aux risques.

3.2.3. Mobiliser la recherche sur les risques
Malgré les avancées apportées par la loi Grenelle II concernant les applications des nanotechnologies, force est de constater que la branche recherche reste négligée. En particulier, l’occasion est manquée de lancer un mouvement fort de recherche sur les risques associés aux nanotechnologies. Pour l’instant, la société est confrontée à son ignorance en matière de nanoparticules. Si le code de l’environnement fait obligation aux industriels de se tenir informés de l'évolution des connaissances sur les impacts sanitaires et environnementaux de leurs produits (9), encore faut-il que ces connaissances progressent. Or, 3% seulement des budgets publics de recherche sur les nanotechnologies sont aujourd'hui consacrés aux études sur les risques, l'essentiel des financements allant au développement des produits (10). Le législateur aurait pu prévoir des dispositions visant un effort plus important de recherche publique ou mixte sur ces risques. Peut-être ici la séparation entre ministères de l’écologie et de la recherche joue-t-elle un rôle inhibiteur.


NOTES
(1) Expression tirée du documentaire audiovisuel « Bienvenue dans le nanomonde » de Charles-Antoine de ROUVRE et Jérôme SCEMLA, Production : La Compagnie des Taxi-brousse, Diffusé le 9 mars 2010 sur France 5.
(2) Loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement, art. 5 : JORF n°51, 2 mars 2005, p. 3697, texte n° 2.
(3) Pour un inventaire naturellement non exhaustif des produits de consommation contenant des nanoparticules, cf. http://www.nanotechproject.org/inventories/consumer/
(4) C. civ., art. 1386-11, 4°.
(5) Règl. n° 1907/2006, 18 déc. 2006 : JOUE, n° L 396, 30 déc. 2006, p. 1.
(6) C. LEPAGE, « L’urgence d’un droit des nanotechnologies », Gaz. Pal., n°184-185, 3-4 juil. 2009, p. 6.
(7) Par ex., Civ. 1e, 9 juillet 2009, n° 08-11.073.
(8) C. env., art. L. 523-1, 2e al. renvoyant à l’art. L. 521-7.
(9) C. env., art. L. 521-5, I.
(10) Bilan du débat public sur le développement et la régulation des nanotechnologies, Com. nationale du débat public, 9 avril 2010 : http://www.debatpublic-nano.org/_script/ntsp-document-file_download.php?document_id=503&document_file_id=761