Par un arrêt du 13 juillet 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé l’interprétation de la Directive 2004/35 relative à la responsabilité environnementale (DRE) dans une affaire de pollution de l’air, posant ainsi les conditions d’entrée de ce type de pollution dans le champ d’application du texte (I). L’arrêt met également en lumière les caractéristiques des sanctions administratives qui peuvent être adoptées par les Etats Membres s’agissant de la mise en œuvre du principe pollueur payeur, tel que mis en œuvre par les dispositions de la directive (II).

En l’espèce, l’inspection nationale de la protection de l’environnement et de la nature de Hongrie a infligé une amende administrative de 50 000 forints (1630 euros) au propriétaire d’un terrain sur lequel des déchets ont été incinérés illégalement. Le propriétaire avance pour sa défense qu’il a loué ledit terrain, alors que la procédure fait ensuite apparaître le décès du locataire allégué. Le fondement de cette amende réside selon l’inspection, dans l’application de la loi hongroise transposant la Directive relative à la responsabilité environnementale (2004/35). Saisi d’un recours contre cette amende administrative par la société propriétaire du terrain, le Tribunal administratif et du travail de Szolnok (Hongrie) pose une question préjudicielle à la CJUE sur le point de savoir si l’interprétation des dispositions de la directive 2004/35 fait obstacle à l’utilisation des mécanismes prévus par la législation hongroise transposant cette directive.

I. Les conditions d’entrée de la pollution de l’air dans le champ de la Directive 2004/35

La directive relative à la responsabilité environnementale prévoit la responsabilité financière d’un exploitant identifié, dans la mise en œuvre de mesures préventives ou de réparation en cas de dommages (ou de menace imminente de dommages) causés aux espèces et habitats naturels protégés, ou affectant les eaux ou les sols. Ce dommage doit être concret et quantifiable, en plus d’un lien de causalité qu’il convient d’établir entre le dommage et les pollueurs identifiés. Ainsi, la directive ne couvre pas les cas de pollutions diffuses dans laquelle le lien de causalité entre l’action ou l’inaction de l’exploitant et l’incidence environnementale fait défaut (sauf à pouvoir démontrer cette causalité).
Si l’atteinte à la qualité de l’air n’est pas directement couverte par le régime juridique de responsabilité de l’exploitant, prévu par la DRE, l’air est un « compartiment environnemental » selon la loi hongroise qui la transpose. Le dommage environnemental, en vertu de cette même loi, désigne la modification « négative significative et mesurable de l’environnement ou d’un compartiment environnement ».
Partant, l’atteinte à l’air semble être couverte par la loi hongroise de transposition de la DRE, ajoutant ainsi à la Directive transposée. C’est ce qui est allégué par la juridiction hongroise dans sa question préjudicielle.
La Cour rappelle qu’une interprétation stricte de la lettre de la DRE conduit à exclure la pollution de l’air du champ des dommages environnementaux définis par le texte. Néanmoins, à la lumière des objectifs de la directive contenus dans les considérants, la Cour relève que les dommages par des éléments dans l’air causés aux sols, aux eaux ou aux espèces et habitats protégés (lesquels sont couverts expressément par la DRE) peuvent être des dommages environnementaux au sens de la directive. La Cour renvoie par conséquent à la juridiction nationale le soin d’examiner au regard des circonstances de l’espèce, si la pollution de l’air en cause est de nature à entraîner de tels dommages ou la menace imminente de tels dommages. Le cas échéant, si une pollution de l’air revêt de telles caractéristiques, alors elle constitue un dommage environnemental au titre de la DRE.

Après avoir admis l’extension sous conditions du champ d’application de la directive à la pollution de l’air, les juges de Luxembourg se livrent ensuite à l’examen du régime juridique découlant de la transposition de la DRE en droit hongrois.

II. L’examen du régime de responsabilité environnementale en Hongrie

Les dispositions de la DRE prévoient que les exploitants sont soumis à des obligations de prévention et de réparation des dommages environnementaux. Un lien de causalité doit par ailleurs être établi entre l’exploitant de l’activité et le dommage environnemental. En outre, l’exploitant est exonéré de sa responsabilité s’il démontre que les dommages résultent du fait d’un tiers ou d’un ordre ou d’une instruction émanant d’une autorité publique.
Toutefois, l’inspection nationale hongroise a prononcé une amende administrative à l’encontre du propriétaire du terrain sur lequel avait eu lieu l’incinération illégale, et non à l’encontre de l’exploitant, faisant ainsi application des dispositions de la législation hongroise transposant la DRE.
Il appartenait alors à la Cour de se prononcer sur une règlementation nationale qui prévoit la responsabilité environnementale d’une autre personne que l’exploitant. Si d’emblée une lecture stricte de la DRE semblait exclure la responsabilité du propriétaire, la Cour relève que la DRE prévoit la possibilité pour les Etats Membres de prévoir des dispositions plus strictes s’agissant de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux et notamment quant à l’identification d’autres parties responsables.
Statuant sur la responsabilité conjointe et solidaire des exploitants et des propriétaires prévue par la loi hongroise, la Cour relève que celle-ci a pour but de renforcer la surveillance par les propriétaires de terrain du comportement des exploitants de leur bien en entérinant une obligation de vigilance. Le propriétaire peut toujours s’exonérer de sa responsabilité environnementale, en vertu de la loi hongroise en désignant l’utilisateur effectif de l’immeuble ainsi qu’en démontrant qu’il n’a pas lui-même causé le dommage.
La Cour de Justice de l’UE admet ainsi, sous réserve de l’application à la pollution de l’air du cas d’espèce de la DRE, que le dispositif mis en place par la Hongrie s’inscrit bel et bien dans le champ d’application de cette directive en tant qu’il concourt à la réalisation des objectifs qu’elle fixe de prévention et de réparation des dommages environnementaux.

L’arrêt conclut que le prononcé d’une amende administrative prévue par la loi hongroise en sus de la responsabilité conjointe et solidaire de l’exploitant et du propriétaire ne s’oppose pas aux dispositions de la DRE dès lors que les mesures plus strictes que la directive (qu’il est loisible aux Etats Membres de prévoir) respectent les principes généraux du droit de l’Union Européenne (primaire ou dérivé). En d’autres termes, la Cour rappelle classiquement en vertu du principe de proportionnalité, que les mesures prévues par les Etats Membres doivent être aptes à satisfaire aux objectifs fixés par la Directive et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.