
Débat public sur la Politique Agricole Commune (PAC) post-2013
Par Helene-Oriane JEANDOT
heleneoriane.jeandot@gmail.com
Posté le: 19/04/2010 15:25
La Commission Européenne a lancé le 12 avril 2010 un débat public sur la Politique Agricole Commune (PAC) post-2013. L’avenir de la PAC est un sujet extrêmement sensible entre les Etats membres de l’Union Européenne. Alors que certains Etats y sont très favorables comme la France en raison de sa place première dans l’agriculture européenne, d’autres sont très critiques. Cette politique perd en légitimité auprès des consommateurs et fait l’objet de vives contestations hors Union Européenne (UE).
Ce débat a dépassé le monde agricole et fait l’objet d’un véritable débat de société.
La PAC a-t-elle toujours une raison d’exister ?
I. Une politique productiviste justifiée par l’histoire
La PAC est la politique la plus intégrée de l'UE, ce qui explique qu'elle absorbe une large part du budget communautaire. Il s’agit de la 2ème dépense d’intervention de l’Europe en 2010, après la cohésion sociale. La France devait rester le 1er Etat bénéficiaire de ces dépenses sur la période 2007-2013.
La PAC a été créée dans les années 1950 dans une Europe dévastée par la 2nd guerre mondiale, afin de la doter d’un secteur agricole viable.
La PAC devait aboutir à la réalisation de quatre objectifs. Augmenter la productivité de l’agriculture en assurant au consommateur un approvisionnement régulier en denrées à prix abordables et en garantissant un niveau de vie équitable aux agriculteurs.
Afin d’inciter les agriculteurs à produire plus, l’UE leurs a versé aides et subventions en conséquences (aides financières en cas d’agrandissement d’exploitation agricole, assistance pour des retraites anticipée, aides aux régions moins favorisées…). Cette politique européenne de productivisme a atteint son objectif d’auto-approvisionnement dans les années 1980.
La production de produits agricoles est alors devenue excédentaire et pourtant les aides ont continué à être distribuées.
Il fallait nécessairement faire évoluer la PAC.
Des réformes ont été entreprises dès les années 1990 afin de réduire ces excédents (par exemple par l’instauration de systèmes de quotas : quotas de lait 1984, ou de jachères).
Trois grandes réformes se sont succédées.
Les deux premières réformes de 1992 et 1999 l’« Agenda 2000 », ont consisté à consolider le modèle agricole européen dans le cadre d'une politique de plus en plus orientée vers le marché, accès sur la demande. Simultanément trois fonctions fondamentales de l'agriculture ont été mises en avant : la fonction économique, d'aménagement du territoire et environnementale.
L’accord de Luxembourg passé entre les ministres de l’agriculture des Etats membres de l’UE en 2003, 3ème réforme, a tracé les perspectives de la PAC jusqu’en 2013. Dans le prolongement des deux 1ère réformes, celle-ci a conduit à axer d’avantage la PAC sur les demandes des consommateurs, dans le but de se rapprocher toujours plus du marché.
D’autre part le système de distribution des aides a évolué. Jusque là plus un agriculteur produisait plus il recevait d’aides. Désormais le niveau des aides est indépendant du volume de production. Les agriculteurs reçoivent des paiements directs au revenu par exploitation. Il s’agit de verser des subventions en fonction du nombre d’hectare que possède l’agriculteur indépendamment des cultures pratiquées ou par tête animale ou encore par Litre de lait. Ces versements sont subordonnés au respect de normes en matière d’environnement, sécurité alimentaire, phytosanitaires, la santé et le bien-être animal sous peine d’une réduction des paiements directs.
Le Conseil de l’Europe a crée « l'éco-conditionnalité » des aides : les Etats peuvent faire dépendre le versement des aides directes de la réalisation de projets environnementaux.
A titre d’exemple un céréalier qui exploite plusieurs milliers d’hectares touchera en général plus d’aides qu’un éleveur de 50 bovins.
Quid de la prise en compte de la difficulté et de la dureté du métier ainsi que du revenu perçu par les différents métiers de l’agriculture ? Aucun de ces critères n’est actuellement pris en compte dans la perception des aides. Or l’agriculteur participe à des fonctions diverses : de la production de produits agricoles alimentaires à non alimentaires, jusqu’à la gestion du paysage rural, à la prévention de la nature et au tourisme. Les aides ne sont pas différenciées selon ces métiers.
Le budget se décompose en trois parties : les aides/paiements directs aux agriculteurs (le plus gros du budget), les mesures de marché (dont les aides au stockage public qui ont permis de limiter la crise du lait) et le développement rural. Les aides versées aux agriculteurs doivent les aider à faire face à trois types de risque : climatiques (aléas climatiques…), sanitaires (maladies animales…) et économiques (volatilité du cours des matières premières).
A ce stade la mission de la PAC est accomplie, à savoir garantir l’autosuffisance alimentaire de la Communauté Européenne. Elle a encore mis en place des outils afin de garantir les revenus des agriculteurs, accompagner l’exode rural, favoriser la modernisation des exploitations, faire respecter l’environnement et la qualité de vie des animaux.
Toutefois la PAC victime de son succès a conduit à un excès de productivité et par conséquent a du stockage de denrées coutant cher à l’Europe, voir la destruction des denrées, ou encore l’exportation de denrées. L’Europe contribue à faciliter les exportations de produits européens, ce qui fait l’objet de critiques notamment dans le cadre de l’OMC. D’autre part le modèle de productivité promu par la PAC a conduit à un coût environnemental croissant : pollution des eaux, épuisements des sols…
II. Regard critique sur la PAC
La PAC a été l’objet de vives critiques des consommateurs et contribuables, des agriculteurs exploitants de petites exploitations, des Etats membres de l’UE et hors UE.
Ce n’est pas tant l’idée d’une politique agricole commune qui dérange mais son fonctionnement qui n’est plus adapté aux données économiques actuelles.
La PAC a été critiquée en raison de la difficulté à stabiliser son budget, des problèmes de fonctionnement posés par l’élargissement à 27 et de l’inégalité des aides qui profitaient aux pays producteurs et aux propriétaires d’importantes exploitations .
Les réformes de 1992 et 1999, 2003 ont permis de résorber en partie ces phénomènes notamment en privilégiant un paiement unique par exploitation et à la condition de respecter des normes européennes en matière d’environnement et de sécurité alimentaire.
La dernière réforme du 26 juin 2003 a également tenté de résoudre le problème des difficultés de financement lié à l’élargissement de l’Europe.
Toutefois la PAC continue d’être critiquée pour son système d’aides inéquitables. Lequel profite plus aux gros industriels/exploitants, voir aux banques qui financent les agriculteurs.
En France, le groupe industriel Doux (producteur de volailles) a reçu en 2008 plusieurs dizaines de millions d’aides de la PAC, tout comme le groupe Tereos (Béghin-Say), de même Nestlé au Royaume-Uni ou Cargill (fournisseur de la chaine Mc Donald qui participe à la déforestation de la forêt amazonienne pour planter des cultures de soja OGM pour nourrir le bétail européen). Quelques banques reçoivent également des aides de la PAC afin qu’elles proposent des prêts bonifiés censés permettre aux agriculteurs d’emprunter à des taux inférieurs à ceux du marché. Le mécanisme de la PAC profite grassement à quelques multinationales. Les aides versées ne tiennent pas compte des revenus des agriculteurs, elles sont accordées aux plus « gros », d’où le mécontentement de ceux qui exploitent de petites exploitations. Faut-il encore défendre une PAC qui conduit à un tel système ?
Certains Etats membres de l’UE sont septiques quant à eux à la place qu’occupe cette politique en termes de budget dans les dépenses totales de l’UE. Plus particulièrement les pays qui ne représentent pas de grandes puissances agricoles. En effet tous ces Etats participent au financement de la PAC en vertu d’un principe de solidarité. Chaque Etat membre verse au budget communautaire une contribution. In fine ce sont les contribuables qui paient. L’UE une fois le budget de la PAC déterminé, alloue des sommes aux Etats membres que ces derniers redistribuent aux agriculteurs. Plus l’Etat a un secteur primaire développé, plus il produit, plus il reçoit. Le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas ou encore Malte voudraient voir le budget de la PAC diminuer considérablement, voire même que l’agriculture redevienne une prérogative nationale et que les subventions ne soient plus mutualisées.
Les Etats hors UE contestent le mécanisme de la PAC qui participe à des distorsions de concurrence en raison des aides directes et subventions à l’exportation. La PAC n’est pas adaptée aux règles du commerce international définies par l’organisation Mondiale du Commerce (OMC).
III. Un débat public pour une réforme de la PAC post-2013
Le président actuel de la Commission Européenne chargé de l’agriculture et du développement durable, Dacian Ciolos, convaincu de l’importance de l’agriculture européenne, tentera de maintenir une PAC forte et de la moderniser. Il s’est fixé mi 2011 pour se prononcer sur la PAC post-2013.
Les orientations et le budget de la PAC doivent être redéfinis. Plusieurs objectifs ne seront toutefois pas renégociables « Le maintien d’une certaine stabilité du revenu des agriculteurs, stimuler les agriculteurs à diversifier leur production, à mieux prendre en compte les questions de changement climatique, à maintenir l’emploi dans certaines zones rurales difficiles », a rappelé Dacian Ciolos. La nouvelle formule de la PAC qui entrera en vigueur le 1er janvier 2014 devrait établir un nouveau régime de répartition des aides en tenant compte de ces objectifs.
Pour l’heure l’impériale nécessitée est que la PAC retrouve sa légitimité. Elle ne concerne plus aujourd’hui que les agriculteurs de l’UE mais le secteur agricole et la société civile,
au-delà des frontières de l’UE.
Considérant que la PAC est l’affaire de tous, le président de la Commission Européenne chargé de l’agriculture et du développement durable a impulsé la mise en œuvre d’un débat-public.
Ce débat-public doit faire prendre conscience aux européens qu’ils sont tous « parties prenantes » de la PAC, en sont tous bénéficiaires. Car c’est la PAC qui définit les politiques alimentaires, de gestion du territoire et environnementales, lesquelles concernent l’ensemble des européens.
Le débat public devrait permettre de recueillir les avis de l’ensemble des acteurs européens : agriculteurs, associations de protection de l’environnement, de consommateurs et du bien-être animal, contribuables, consommateurs.
Un portail internet a été crée le 12 avril 2010 http://ec.europa.eu/agriculture/cap-debate . Il sera ouvert jusqu’au mois de juin 2010.
Il est possible de contribuer au débat en répondant à 4 questions :
1. Pourquoi avons-nous besoin d’une politique agricole commune ?
2. Qu’est ce que les citoyens attendent de l’agriculture ?
3. Pourquoi réformer la PAC ?
4. De quoi avons-nous besoin pour la PAC de demain ?
De nombreux français ont déjà répondu au questionnaire. Les contributions sont en accès libre.
Les réponses sont sensiblement identiques. Globalement les français sont favorable au maintien de la PAC mais révisée au regard d’un nouveau modèle agricole. De nombreuses contributions insistent sur le fait que la PAC doit permettre aux jeunes agriculteurs de s’implanter et d’investir dans ce secteur, de nourrir les populations européennes, d’assurer la sécurité alimentaire, de garantir des revenus aux agriculteurs européens, de limiter les distorsions de concurrence.
Mais la PAC doit réformer son système d’attribution des aides accordées inégalement entre gros industriels, souvent pollueurs, et petits agriculteurs.
La PAC est devenue un objet de société plus que d’agriculture. De nouveaux enjeux sont apparus. Tout d’abord un enjeu économique, la PAC déstabilise les prix mondiaux et concurrence les producteurs de pays en développement. Les excédants européens sont vendus dans ces pays à des prix inférieurs aux coûts de production locaux. Il va falloir réguler le marché européen. Ensuite un enjeu environnemental et sociétal, à savoir préserver la nature et les emplois. La politique des paiements directs ne semble pas efficace. Elle ne prend pas en compte les revenus réels des agriculteurs et est donc inefficace lorsque les prix sont bas et injustifiée lorsque ceux-ci sont élevés. En 2008 le prix des matières premières (blé, etc…) a baissé tandis que le budget de la PAC est resté le même.
Certains contributeurs au débat en ligne proposent que les aides ne soient plus versées par exploitation/hectare mais en fonction des particularismes : des activités non polluantes, de la qualité des produits, des agricultures qui préservent la biodiversité, qui préviennent la pollution des eaux, de l’agriculture qui soutient l’emploi.
Enfin le dernier défi sera de proposer une PAC pour 27 Etats membres dont les systèmes agricoles sont très diverses et plus ou moins modernisés.
Grâce à ces contributions, la Commission Européenne devrait après les avoir synthétisé (en juillet 2010) en tenir compte pour déterminer les nouvelles orientations de la PAC.