Alors même que la récente proposition d’Agnès Buzin, ministre de la santé, de rendre obligatoire 11 vaccinations, contre trois aujourd’hui‘hui fait débat, et alors que la vaccination contre l’hépatite B figure dans cette liste, la décision de la CJUE, du 21 juin 2017, est fortement susceptible de faire des vagues, en matière de confiance en la sécurité vaccinale.

Si cette décision constitue un nouvel épisode de l’affaire médico-judiciaire du vaccin contre l’hépatite B, dans laquelle, postérieurement à la campagne massive de vaccination contre cette pathologie au milieu des années 90, plusieurs patients contractèrent la sclérose en plaque, et engagèrent recours contre les laboratoires pharmaceutiques producteurs, elle ne vient néanmoins pas reconnaitre officiellement le lien entre le vaccin et la contraction de la dite-maladie, contrairement à ce que certains titres de presse ont pu laisser entendre.

La CJUE avait plutôt la charge de confirmer, ou d’infirmer l’interprétation, novatrice, qu’a forgé au cours des 10 dernières années de la Cour de Cassation dans les jugements liés à ce dossier, sur l’épineuse question de la charge de la preuve en matière de produits défectueux, plus particulièrement, en ce qui concerne la preuve de la causalité entre le dommage et la défectuosité du produit.
Le régime de la responsabilité des produits défectueux, responsabilité de plein droit (C. civ., art. 1245-10), couvrant les dommages aux personnes causés du fait du défaut de sécurité d’un produit est, en effet, applicable aux vaccins, tout bien meuble étant considéré comme un produit (C. civ., art. 1245-2). Toutefois la victime est tenue d’apporter la preuve de la défectuosité du produit, du dommage qu’elle a subi et du lien de causalité entre les deux (C. civ. art. 1245-8 C.civ).

Or, rapporter une preuve peut se révéler complexe pour la victime, qui plus est en matière médicale et en l’absence, comme c’est le cas ici, de consensus scientifique. De ce fait, dans le contentieux du vaccin contre l’hépatite B, la Cour de Cassation, qui, après avoir dans un premier temps exigé cette preuve scientifique (Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.063) a, à l’instar du conseil d’État, graduellement assoupli sa solution (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-11.947) jusqu’à admettre le principe de présomption en matière de caractère défectueux et de causalité.

Ce revirement a eu lieu à l’occasion d’un arrêt de la Cour de Cassation, 1er chambre civile du 22 mai 2008, où, pour la première fois la Cour de Cassation admettait que la preuve d’un lien causal puisse résulter de « présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ».
Des précisions étaient ensuite apportées quant aux faits dont pouvaient découler ces présomptions (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-21.314) : breveté du délai écoulé entre l’administration du produit et l’apparition de la maladie, absence d’antécédents familiaux, etc…

Dans une décision plus récente, (Cass. 1re, 26 sept. 2012,) la cour facilitait encore la tache probatoire des demandeurs en réparation, en invitant les juges à désormais déduire le défaut du vaccin à partir du constat de son lien causal avec le dommage : sa seule implication dans la réalisation du dommage suffisait à mettre en jeu la responsabilité du producteur.

Mais ces avancées risquaient une remise en question : en effet, dans un arrêt du 12 novembre 2015, la Première Chambre civile de la Cour de Cassation, saisi d’un pourvoi par les ayants droit d’une victime décédée des suites de la sclérose en plaque, déboutés par la cour d’appel de Paris, le 7 mars 2014 (après, pourtant, un premier renvoi en cassation) décidait, avant entériner sa solution une nouvelle fois, d’interroger le juge communautaire sur sa validité, au moyen de trois questions préjudicielles.
Objets probables du doute : le fait que d’autres juges continuent régulièrement de rejeter des recours faute de preuve scientifique, mais aussi une décision de la CJUE, intervenue entretemps (CJUE 20 nov. 2014, Sté Novo Nordisk Pharma GmbH, n° C-310/13) insistant sur le fait que les réglementations des états membres ne devaient pas constituer des « atteintes à la répartition de la charge de la preuve telle que prévue à (l’)article(4, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 en matière de produits défectueux) » lequel, transposé par l’article 1245-8 du code civil (ancien article 1386-9) énonçait que « La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage».

Or, mercredi 21 juin 2017, la CJUE a tranché , et estimé que l'existence de "la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux de la personne vaccinée ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations", pouvaient constituer des indices suffisant pour établir une telle preuve, sans que l’article 4 de la directive s’en trouve dénaturé, « si ces indices amènent le juge à considérer, d’une part, que l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part, que le vaccin n’offre dès lors pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ».

Le raisonnement, façonné au gré des années par la Cour de Cassation se trouve donc validé.

La CJUE précise toutefois que l’appréciation de cette règle doit se faire au cas par cas, selon les dossiers, l’existence du lien de causalité ne pouvant être établi systématiquement lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis.

Si cette solution semble concerner tous les produits visés par la directive 85/374/CEE sur les produits défectueux, il faut rappeler que, selon la nature du produit, le juge peut avoir des opinions diverses en matière de charge de preuve (à titre d’exemple Civ. 1re, 4 fév. 2015, n° 13-27.505) .

Ce jugement, qui renforce la situation jurisprudentielle, constitue une étape majeure pour les personnes se déclarant victimes d’un accident vaccinal, et qui cherchent à obtenir une indemnisation de la part des fabricants du produit.

On peut toutefois s’interroger sur ses conséquences en matière de couverture vaccinale nationale.