Un nouveau volet de la tristement célèbre affaire Chevron-Texaco s’est écrit lundi 19 juin dernier devant la Cour Suprême des Etats-Unis. La juridiction avait à connaître de l’appel formé contre un jugement de la Cour d’Appel de New York par les victimes équatoriennes. De nouveau, il n’a pas été accordé à ces dernières le droit de recouvrir aux Etats-Unis les sommes prononcées à l’encontre de la compagnie pétrolière par la Cour du District de Sucumbios, s’élevant à près de 9 milliards de dollars.

Les faits de l’affaire

Dans les années 1960 et pendant près de trente ans, la société pétrolière Texaco, rachetée ensuite par le géant américain Chevron, exploite des gisements d’hydrocarbures dans la région de Lago Agrio, en Equateur. Il résulte de cette exploitation une véritable catastrophe environnementale puisque les rejets d’effluents d’extraction sont réalisés en pleine forêt Amazonienne, ayant pour effet de créer des réservoirs d’eau stagnante contaminés aux hydrocarbures.
L’importance de cette pollution peut s’analyser sous l’angle de la qualification « d’écocide », à la lumière des travaux de juristes internationaux dont le Professeur Laurent Neyret, ayant mené à trente-cinq propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement. Contrairement aux « écocrimes » qui désignent une atteinte environnementale de moindre ampleur, relevant plus généralement d’une négligence, « l’écocide » désigne une atteinte environnementale grave et systématique, portant atteinte à la sûreté de la planète.
Les travaux du groupe de travail susmentionné visent par conséquent à faire reconnaître un tel crime environnemental dans le prolongement du crime de génocide et aux côtés du crime contre l’humanité. Une telle création nécessiterait par ailleurs la création d’une Cour Pénale Internationale de l’Environnement qui aurait une compétence plus adaptée aux caractéristiques des acteurs de la criminalité environnementale.
Rappelons qu’en plus de polluer le sol au droit du site, les « piscines » de déchets dangereux émettant des métaux lourds ont également porté atteinte à la santé des populations aux alentours en raison d’une pollution de l’eau et de l’air en Equateur et au Pérou, sans parler des atteintes aux éléments naturels de l’environnement tropical (faune et flore).

Les actions en justice et la dernière décision en date

Au début des années 1990, 30 000 citoyens victimes de ces pollutions, regroupés au sein d’une association ont engagé une action collective contre la société Texaco, aux Etats-Unis. Leur action n’a pas été accueillie par la justice étasunienne qui estimait alors que ces poursuites seraient plus à même d’être traitées devant des juges péruviens ou équatoriens. Texaco admet les conclusions de ce jugement.
Saisie de cette affaire, la justice équatorienne a infligé à la société depuis rachetée par Chevron une amende de 9 milliards de dollars, doublée si la multinationale ne présentait pas publiquement des excuses. Cette amende record n’a aujourd’hui toujours pas été payée car l’association de victimes doit rechercher l’exécution du jugement sur le territoire américain (les avoirs de la société sur le territoire équatorien n’étant pas suffisants). Pour ne pas s’acquitter de sa peine, Chevron allègue que la justice équatorienne est corrompue et que toute l’affaire devant les Tribunaux a été entachée de malversations. Paradoxalement, la société Texaco rachetée par Chevron avait tout fait pour que son procès ait lieu en Equateur, vantant à l’époque les mérites d’indépendance et d’impartialité la justice équatorienne.
En revanche, Chevron a saisi la Cour Permanente d’Arbitrage au motif de la violation par l’Equateur d’un traité bilatéral d’investissement Etats-Unis/Equateur. L’arbitrage est donné en faveur de Chevron, censé obtenir 96 millions de dollars de la part de l’Equateur. Après plusieurs tentatives d’appel, l’Equateur s’acquitte de la somme en juillet 2016, s’élevant à 112 millions de dollars (avec les intérêts).
Devant les juridictions étasuniennes Chevron conteste l’exécution du jugement rendu par les juridictions équatoriennes et dans le même temps les poursuites engagées par la communauté de victimes en vue de collecter la somme prononcée à l’encontre de Chevron en Equateur. Une première Cour donne raison à Chevron ce qui est confirmé par la Cour d’Appel Fédérale des Etats-Unis, qui admet que les plaignants ne peuvent demander l’exécution de leur jugement en raison de la fraude et de la corruption qui pèsent sur la décision équatorienne. Les plaignants se pourvoient devant la Cour Suprême au motif d’empêcher Chevron de se prévaloir de l’US Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act pour échapper à la justice de l’Equateur. La Cour Suprême rejette la demande des plaignants par un arrêt du 19 juin 2017.

Les suites possibles

Malgré son apparente longévité, l’affaire Chevron-Texaco n’est pas encore terminée puisque les victimes ont également lancé des poursuites dans d’autres pays où les avoirs de la multinationale sont suffisants pour s’acquitter de l’amende. Ainsi, des procédures sont actuellement pendantes devant les juridictions du Canada et du Brésil.
La saga judiciaire de l’affaire Chevron-Texaco démontre bien les difficultés qui demeurent en matière de responsabilité des multinationales pour les dommages environnementaux causés dans les pays où elles ont des activités polluantes. Ces entreprises disposent par ailleurs de moyens colossaux pour faire durer les procédures et ensevelir les victimes et opposants sous les frais de procédure.