La responsabilité de l’employeur en matière de sécurité au travail n’est pas confinée au civil, il peut s’exposer à des sanctions pénales dans certains cas, notamment sur des sujets sensibles, comme celui de l’exposition de ses salariés aux poussières d’amiante.

Le 19 avril 2017, la chambre criminelle de la cour de Cassation a ainsi confirmé la condamnation d'une entreprise travaillant sur des terres amiantifères en Corse pour le délit de mise en danger de la vie d'autrui.

Ce délit, prévu par l’article 223-1 du Code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende (75 000 € pour une personne morale) le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation, ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.

Dans les faits, la société « Vinci construction et terrassement » obtient en 2012 un marché pour réaliser la construction de trois immeubles impliquant au préalable des travaux d'excavation et de terrassement, chantier susceptible d’exposer les salariés et les riverains à l’inhalation de poussières d’amiante. La présence d‘amiante sur le site est connue : une ordonnance du juge des référés a interdit au promoteur, quelques mois en amont, tout travaux avant autorisation de l’inspecteur du travail.

L’inspection du travail, qui a donné son autorisation entre temps, vient contrôler le chantier peu de temps après le début des travaux, et relève, par plusieurs procès-verbaux, des insuffisances en matière de prévention des risques liés à l'amiante, notamment l'absence de protection aux abords du chantier, et de nettoyage des engins.

Poursuivis devant le tribunal correctionnel, l’entreprise et son directeur d’exploitation sont relaxés en première instance, mais condamnés devant la cour d’appel, pour délit de mise en danger d’autrui. Cette condamnation va être confirmée par la cour de cassation.

La cour d’appel, rappelant l’obligation générale de sécurité (obligation de résultat mais aussi d’adaptation à l’évolution des connaissances scientifiques) d’une entreprise intervenant sur un chantier où le risque d’inhalation de fibres d’amiantes est identifié et connu, constate sa violation, et estime que l’exposition des salariés aux poussières d’amiante « en l’état des données de la science disponibles bien avant le temps de la prévention » leur a fait courir un risque certain et immédiat de mort du fait de la probabilité élevée de développer un cancer du poumon ou de la plèvre dans les 30 ou 40 ans après l'inhalation des poussières, « sans qu’il soit nécessaire que ce risque se soit réalisé de manière effective ».

Les prévenus vont contester le caractère d’immédiateté du risque, celui-ci étant différé dans le temps, ils opposent que, par ce fait, la cour d’appel a interprété manière extensive l’article 223-1 du Code pénal, en violation du principe d'interprétation stricte de la loi pénale. La cour de cassation leur rétorque que le risque peut être immédiat, mais ses conséquences différées, rejoignant ainsi la position de l'administration dans la circulaire DRT 7 du 2-6-1994.

Le critère de violation de l’obligation de sécurité soulève également l’intérêt : la qualification du délit de mise en danger d’autrui implique que soit violée une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, le seul manquement à l’obligation générale de sécurité de résultat découlant du code du travail n’est pas suffisant en l’espèce.

La cour devait donc préciser quelle règle particulière avait été violée en sus. Or elle ne pouvait invoquer ni l’arrêté du 14 août 2012, ni le décret 2012-639 du 4 mai 2012, durcissant les règles de protection des travailleurs contre les risques d'exposition à l'amiante, mais dont l’adoption et l’entrée en vigueur s’étaient faite juste après le fait générateur de cette affaire. C’était finalement un manquement aux obligations découlant du décret 2006-761 du 30 juin 2006 relatif à la protection contre les risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante, intégré au code du travail qui étaient invoqué. Or ce décret, s’il prévoit des obligations particulières en matière de protection contre les risques amiante, porte plutôt sur la formation du personnel et l’évaluation des risques, abordant du bout des lèvres les « mesures nécessaires pour réduire la durée et le niveau d'exposition autant qu'il est techniquement possible ».

C’est toutefois suffisant pour la cour de cassation : elle valide ce raisonnement et estime que la violation d'obligations particulières découlant des « dispositions du Code du travail » dans son ensemble est constituée.

Dans un contexte où la réglementation concernant les risques liés à l’amiante n’a de cesse de se durcir (en témoigne la récente parution du Décret n° 2017-899 du 9 mai 2017 relatif au repérage de l'amiante avant certaines opérations) cette décision de la cour va dans le sens de l’histoire.