A travers la publication de son rapport annuel 2017, la Cour des comptes consacre un chapitre sur l’écotaxe poids lourds (L’écotaxe poids lourds : un échec stratégique, un abandon coûteux). Ce projet était issu du Grenelle de l’environnement en 2008 et a été voté par le Parlement en 2009 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

L’écotaxe poids lourds avait pour finalité de « couvrir les coûts d’usage du réseau routier national, hors autoroutes concédées à péage, et d’une partie du réseau routier local ». Elle constituait une application concrète du principe pollueur-payeur par l’instauration d’une taxe kilométrique pour les camions de plus de 3.5 tonnes qui circulent sur les routes française non soumises à des péages (notamment les routes nationales et départementales).

Sur le plan opérationnel, l’application de l’écotaxe avait été confié fin 2011 au consortium Ecomouv’ pour un démarrage en juillet 2013. Selon la Cour des comptes, cette taxe devait rapporter près de 890 M€ par an de recettes nettes aux administrations publiques, dont 684 M€ en faveur du financement des infrastructures nationales de transport.
Néanmoins, les manifestations menées entre autre par le mouvement des « Bonnets rouges », mouvement contestataire breton, avait incité à un report de l’application de la mesure au 1er janvier 2014. Ces derniers dénonçaient une hausse du coût du transport alors que le secteur agroalimentaire breton étaient en grande difficulté. Suspendu à nouveau pour apaiser les manifestations locales, le Gouvernement entendait aménager cette mesure. Il n’en sera rien car en octobre 2014, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, annonça la suppression de la mesure et mis fin au contrat partenariat public-privée passé avec Ecomouv’ en indemnisant cette dernière à hauteur de «958 millions d’euros, précisément 180,79 M€ au titre de la « suspension » et 776,79 M€ au titre de l’indemnité de résiliation.

Par ailleurs, le manque à gagner pour l’Etat de 2014 à 2024 (durée du contrat de partenariat) est estimé à 9,83 milliards d’euros nets, c’est à dire 8,07 milliards de recettes étatiques, dont 7,56 milliards destiné à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), 510 millions d’euros de TVA versés au budget général et 1,77 milliard d’euros au profit des collectivités départementales.
Enfin, peuvent être ajouter à ce coût d’abandon, la perte de 53 millions d’euros de recettes par an caractérisée par la baisse du tarif de la taxe à l’essieu décidée en 2009 (initialement décidé pour obtenir l’acceptation de l’écotaxe par les transporteurs) ainsi que les risques de contentieux venant des sociétés de télépéage estimés à hauteur de 270 millions d’euros.

Pour compenser ces pertes importantes de recettes, il a été décidé d’opérer une majoration du tarif de taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) sur le gazole, pour un rendement total de 1 139 M€ par an à partir de 2015. Une partie de la recette est affectée à l’AFITF en compensation de l’abandon de l’écotaxe poids lourds. La compensation par la TICPE dégagerait un excédent de rendement de 1,5 Md€ par rapport à la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds.
Cette compensation reste néanmoins très mal répartie selon la Cour des comptes. En effet, elle est « très déficitaire pour les collectivités territoriales qui ne perçoivent pas la recette prévue de l’écotaxe poids lourds, très excédentaire pour le budget général de l’État qui bénéficie d’un surplus net de recettes cumulées de 3,35 Md€ entre 2015 et 2024, par rapport à la répartition prévue du produit de l’écotaxe ». Enfin, cette compensation bénéficierait aux poids lourds étrangers du fait notamment que ces derniers se ravitaillent peu en France.

En conséquence, les magistrats notent dans ce rapport le retard pris par la France dans la mise en application de la politique européenne de la tarification routière caractérisé par les directives « Eurovignette » (Directive 1999/62/CE) et « Intéropérabilité » (directive 2004/50/CE) par rapport à plusieurs pays européens. L’Autriche, l’Allemagne, la Pologne ou encore récemment la Belgique ont instauré une tarification kilométrique de l’usage de leur réseau routier.
A l’image de l’écotaxe poids lourds en France, toutes ces mesures des pays européens repose sur l’équipement des poids lourds en dispositifs embarqués et sur l’existence de portiques de contrôle fixes et de bornes de contrôle mobile sur le réseau routier taxé. Par ailleurs, exception faite de l’Allemagne, la taxe kilométrique de ces pays concerne tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes.

Mais là où le rapport pointe un véritable « gâchis » en matière de politique européenne des transports, c’est au travers des particularités et spécificités qu’offraient l’écotaxe poids lourds. Outre la mise en place d’un dispositif juridique de répercussion de la taxe sur les chargeurs, l’écotaxe poids lourds française était conçu pour assurer le développement de l’interopérabilité des systèmes de tarification routière à l’échelle européenne. Les équipements embarqués français pouvaient fonctionner avec les systèmes de télépéage d’un certain nombre de pays européen. Pour cette raison, les magistrats notent que « le système technologique développé en France pouvait être considéré comme un modèle et était observé comme tel par la Commission européenne ».


Cet échec de l’instauration de l’écotaxe poids lourds relève selon les mots de la Cour des comptes d’un véritable "gâchis" financier, politique et écologique qui freine la France tant sur sa politique des transports que sur sa politique écologique.