Qu’il s’agisse de recommandations émanant de l’Union-Européenne ou d’une logique croissante d’indemnisation des victimes, l’essor de l’action de groupe en France ces dernières années n’est pas étonnant. Toutefois, la volonté de protéger les entreprises et l’économie explique l’efficacité généralement relative de ces class actions à la Française.

Son extension au domaine de la santé est donc cohérente au regard de ce constat, et sera d’une grande utilité pour les victimes notamment de produits de santé défectueux. La liste des affaires en la matière s’allonge au fil du temps. L’affaire du Médiator, du Distilbène, ou encore du sang contaminé sont le reflet de cette triste réalité. L’année 2016 poursuit malheureusement l’allongement de cette liste, et c’est probablement en matière du fait des produits défectueux que la première action de groupe dans le domaine de la santé verra le jour.

Rendue effective par le décret d’application du 26 septembre 2016, l’action de groupe en matière de produits de santé fait en effet déjà parler d’elle en ce mois de décembre. L’Association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant (APESAC) a en effet enclenché ce mardi 13 décembre 2016, à l’encontre de la société SANOFI, la première phase amiable de l’action de groupe. En cas de refus du groupe SANOFI-Aventis d’accepter sa responsabilité et d’indemniser les victimes ou à défaut de réponse de leur part d’ici quatre mois, l’action pourra être introduite définitivement en justice.

Cette affaire est donc l’occasion de faire état des obstacles juridiques à l’effectivité d’une telle action dans le domaine de la santé, notamment en matière de produits défectueux. Or, il est regrettable de constater que l’accès facilité à la réparation du préjudice subi dans le domaine de la santé (I) est en réalité limité (II).


I. Un accès facilité à la réparation du préjudice subi dans le domaine de la santé


Les dispositions encadrant cette action de groupe dans le domaine de la santé sont présentes dans le Code de santé publique au sein des articles L.1143-1 à L.1143-13.

Former ou rejoindre une action de groupe au regard de ces articles suppose deux choses : D’une part, il est nécessaire qu’au moins deux usagers du système de santé soient placés « dans une situation similaire ou identique ». D’autre part, les victimes devront pouvoir justifier d’une cause commune à cette situation. En d’autres termes, d’un préjudice individuel résultant de dommages corporels ayant pour cause un manquement d’un producteur, d’un fournisseur de produits mentionnés à l’article L.5311-1, ou d’un prestataire utilisant l’un de ces produits, à ses obligations légales ou contractuelles.

Force est de constater que le champ d’application de l’action de groupe dans le domaine de la santé est large. Premièrement parce que la liste dressée à l’article L.5311-1 rassemble une multitude de produits utilisés dans différents corps de métier (médicaments, cosmétiques, optique, etc). Deuxièmement parce que le fondement juridique pour introduire une action de groupe n’est pas restreint. En effet, les obligations légales étant aussi diverses que variées il sera possible de se fonder au choix sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle. Dans cette dernière hypothèse, l’action de groupe ne fait d’ailleurs pas obstacle à la responsabilité civile délictuelle pour faute et sans faute. L’intérêt étant de ne pas réserver l’action de groupe à un type de responsabilité, comme par exemple la responsabilité pour faute. Cette dernière excluant de facto la possibilité de recourir à la responsabilité du fait des produits défectueux nettement plus avantageuse pour les victimes. L’extension de l’action de groupe au domaine de la santé aurait alors perdu de son utilité.

En conséquence, de prime abord à la lecture de ces articles, l’extension de l’action de groupe au domaine de la santé semble faciliter l’accès à la réparation en cas de préjudice. Cependant, cet accès facilité est en réalité relatif.


II. Un accès à l’indemnisation en réalité limité


L’accent mis par la loi sur la médiation, l’existence d’une pluralité de juridiction compétente, et la multitude d’associations pouvant former une action de groupe sont de nature à compromettre l’efficacité de cette action dans le domaine de la santé. L’accès à la réparation en est en effet rendu difficile.

L’obstacle majeur à une réparation du préjudice est relatif à la procédure elle-même. Celle-ci va prendre du temps à se mettre en place et à aboutir. La constitution d’un groupe nécessitera en effet quelques années pour rassembler les victimes. Ensuite, plusieurs années pour obtenir un jugement établissant la responsabilité du professionnel seront également nécessaires. Enfin, si le professionnel refuse d’indemniser, des procédures individuelles devront être enclenchées par les victimes. Là encore, il faudra attendre plusieurs années avant d’aboutir à un jugement. Une procédure aussi longue peut décourager et incitera les victimes à privilégier le choix de la médiation. Médiation détaillée par de nombreux articles de la loi du 26 janvier 2016. A tel point que l’on peut s’interroger sur la réelle volonté du législateur : favoriser la réparation ou bien la médiation ? Cette dernière présentant par ailleurs l’avantage d’éviter une publicité médiatique défavorable à l’entreprise, ce qu’à l’inverse la procédure de l’action de groupe privilégie.

Ensuite, il est regrettable de constater qu’une pluralité de juridiction judiciaire et administrative aura compétence pour traiter de ces litiges spécifiques. Le risque étant l’existence d’actions simultanées auprès de tribunaux différents, ce qui n’est pas sans remettre en question l’intérêt même de l’extension de l’action de groupe au domaine de la santé. C’est-à-dire une action censée regrouper l’ensemble des victimes d’un produit de santé afin d’aboutir à une réparation qui est normalement facilitée par ce type d’action. Le regroupement des victimes facilitant notamment l’apport de preuves. En outre, une multitude de juridiction compétente aboutira nécessairement à des solutions distinctes et à un manque de lisibilité dans les décisions rendues. Là encore, c’est la réparation efficace des préjudices subis par les victimes qui pose difficulté, alors même que l’intérêt de l’action de groupe est de faciliter l’accès à la réparation.

Enfin, il est à noter que l’association doit nécessairement être agréée peu important qu’elle le soit au niveau national ou régional, ce qui élargit donc le nombre d’association pouvant introduire ce type d’action en justice. Toutefois, une telle extension présente le défaut d’ouvrir l’action de groupe à des associations ne disposant pas des moyens nécessaires pour mener l’action à son terme. A titre d’exemple, à la différence du juge pénal, les frais d’expertises sont à la charge du demandeur devant le juge civil. Il est donc vital que les associations sollicitées par les victimes disposent des fonds nécessaires pour mener à bien l’action. Les victimes de produits de santé défectueux devront donc choisir avec attention l’association qui saisira le juge pour faire valoir leurs droits. La capacité, l’expérience et les moyens à dispositions de l’association seront donc des éléments déterminants dans le choix de celle-ci.