La Coupe du monde 2022 sera-t-elle entachée de violation des droits des travailleurs ? Amnesty International a paru un rapport choc. Pendant un an, l’ONG a suivi des migrants embauchés pour la rénovation d’un stade à Doha et l’aménagement d’espaces verts alentour. Tous sont victimes d’abus, et de travail forcé. Le gouvernement qatari, les entreprises présentes sur place, mais aussi la FIFA sont pointés du doigt.
Ils représentent 68% de la population qatarie. Et même 90% de la population active du royaume. 1,7 million de travailleurs migrants, pour la plupart originaires du Sud de l’Asie, sont venus tenter leur chance dans ce pays à l’ascension économique fulgurante. Un appel d’air renforcé par la tenue de la Coupe du monde de football en 2022. D’ici deux ans, le nombre de personnes travaillant sur les sites de la Coupe du monde va quasiment être multiplié par 10, pour atteindre le chiffre de 36 000 environ. De quoi inquiéter Amnesty International.
L’ON publiée en mars un rapport d’une cinquantaine de pages, extrêmement fournies, qui dénonce des abus pouvant s’apparenter, dans certains cas, à du travail forcé. Amnesty a interrogé 234 ouvriers et jardiniers entre février 2015 et février 2016, travaillant sur la remise à neuf du stade de Khalifa à Doha, qui accueillera la demi-finale, et dans les espaces verts du complexe sportif Aspire Zone Foundation. Les faits relatés ne laissent pas de place au doute : frais de recrutement dans leurs pays d’origine, rétention des passeports, non délivrance de permis de résidence, retards de paiements, salaires plus bas que prévu, logements insalubres et surpeuplés, menaces ou encore interdiction de quitter le territoire.
"Je n’en peux plus de vivre ici, raconte Pawan*, un ressortissant népalais, interrogé en avril 2015. Tout ce que je veux, c’est être payé à temps et être traité avec respect. Quand je suis arrivé au Qatar, mon employeur ne m’a pas payé pendant quatre mois et le salaire s’est avéré beaucoup moins élevé que celui qu’on m’avait promis." Tous les ouvriers, à l'exception de six d'entre eux, ont perçu à leur arrivée un salaire inférieur à celui qu'on leur avait promis. Parfois de moitié. Et les retards de paiement peuvent aller jusqu’à dix mois, mettant les travailleurs dans des situations de grande détresse, commente l’ONG.
Beaucoup ont en effet dû prendre des crédits pour payer les frais de recrutement dans leur pays d’origine pour obtenir un travail au Qatar. Des sommes allant de 500 à 4 300 dollars. Une pratique illégale, mais largement répandue. "Je suis pauvre. Je n'ai pas d'argent, pas de travail, pas de terre. J’ai dû prendre un prêt pour obtenir cet emploi parce que je devais trouver du travail. Je dois toujours rembourser ce prêt, ce qui me laisse très peu d’argent à envoyer à ma famille – mais qu'est-ce que je peux faire ?", explique Rahman*, un jardinier.
Un autre ouvrier métallurgiste, venu d'Inde, s'est plaint de ne pas avoir été payé pendant plusieurs mois, son employeur a réagi en le menaçant. "Il m'a insulté et m'a dit que si je me plaignais de nouveau je ne pourrais jamais quitter le pays. Depuis, je fais attention à ne pas me plaindre au sujet de mon salaire ou de quoi que ce soit d'autre. Bien sûr, si c'était possible je changerais de travail et je partirais du Qatar."
Au cœur du problème, le système de parrainage instauré en 2009 au Qatar, appelé "kafala". Cette loi oblige les travailleurs étrangers à être "sponsorisés" par une entreprise locale, qui peut leur interdire de quitter le territoire ou de changer d’employeur. Ainsi, aucune des personnes interrogées par Amnesty ne déclarait être en possession de son passeport en 2015. De même, certaines n’avaient pas reçu de permis de résidence, au risque d’être arrêtées et de payer une lourde amende.
Fin 2015, le gouvernement qatari annonçait une réforme de ce système de parrainage, à compter de décembre prochain. Les travailleurs pourront faire appel de la décision de leur employeur, mais ils devront toujours se soumettre à leur approbation…
Avec ce rapport, Amnesty International entend interpeller les principaux sponsors de la Coupe du monde, tels qu'Adidas, Coca-Cola et McDonald’s, pour qu’ils fassent pression sur la Fifa. L’objectif ? Qu'elle mette en place un plan de prévention des abus sur les chantiers de la Coupe du monde et qu’elle mène des enquêtes régulières sur les conditions de travail sur place. Dans un communiqué, la Fifa a réagi en se disant "complètement consciente des risques auxquels font face les ouvriers du bâtiment au Qatar et de l’opportunité qu’a la Fifa, avec d’autres responsables, d’améliorer les conditions de travail dans ce pays ». L'organisation assure travailler "à la mise en place le plus tôt possible de conditions de travail justes".