La criminalité environnementale, quatrième criminalité la plus rentable après le trafic de stupéfiants, la contrefaçon et le trafic d’êtres humains, est aujourd’hui en pleine expansion selon un rapport publié le 4 juin 2016 par le Programme des Nations Unis pour l’Environnement (PNUE) et Interpol.
Ce rapport énonce notamment que ces crimes ont connu une augmentation de 26% par rapport aux années précédentes, atteignant un montant estimé entre 91 et 258 milliards de dollars.

La criminalité environnementale englobe de nombreux crimes dont le trafic de bois, de déchets, de minerais, de substances chimiques, d’étain ou encore de pesticides contrefaits. Mais cette criminalité environnementale inclue également toute la criminalité visant de manière plus spécifique les espèces sauvages menacées, comme les éléphants ou les rhinocéros.

Concernant les massacres d’éléphants, il y a eu une véritable prise de conscience en 2012. Cette année là, le parc de Boubanjida (Nord-Cameroun) a subit une attaque d’une ampleur exceptionnelle.
En deux mois et demi, plus de la moitié des éléphants ont été tués pour leurs défenses d’ivoire. Une tuerie organisée de manière militaire, avec des braconniers munis de fusils d’assaut, organisant de réels guets-apens. Plus de 600 éléphants ont été massacrés, adultes comme enfants.

Pourtant, malgré cet épisode tragique et l’entrée en vigueur d’une interdiction internationale du commerce de l’ivoire depuis 1989, les saisies d’ivoire ne cessent d’augmenter : 38 tonnes saisies en 2012, 41 tonnes en 2013, 55 tonnes en 2014, et enfin une baisse en 2015 avec une saisie totale de 32 tonnes (données de l’ONG IFAW).

Le 1er juin 2016, IFAW prenait en exemple la réserve Tanzanienne de Sélous, la plus importante du pays, en énonçant que si le braconnage continuait à ce rythme, la réserve verrait l’ensemble de ces éléphants tués d‘ici à 2022. Dans les années soixante-dix, le nombre d’éléphants de cette réserve s’élevait à près de 110 000. Aujourd’hui, seuls 15 000 éléphants y vivent encore, menacés par un « braconnage industriel » organisé par des réseaux criminels lourdement armés.
Cette réserve, classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco en 1982, est depuis 2014 classée parmi les patrimoines mondiaux en péril.

Fin avril 2016, la France, afin de lutter contre cette criminalité et développer notre devoir de conscience, a énoncé, par l’intermédiaire de Madame Ségolène Royal, l’interdiction de tout « commerce d’ivoire sur le territoire sauf dérogation exceptionnelle ». Un arrêté ministériel prévu pour début juillet 2016 interdira strictement tout commerce d’objets contenant de l’ivoire d’éléphants ou de la corne de rhinocéros, sauf s’ils sont antérieurs à 1975.

Suivant cette initiative, les Etats-Unis ont également annoncé, le 2 juin 2016, une interdiction quasi totale du commerce d’ivoire sur leur territoire affirmant leur volonté de s’attaquer au trafic des défenses d’éléphants africains menacés d’extinction à cause du braconnage. Cette interdiction est une mise en œuvre d’un décret de 2013 du Président Obama qui visait à combattre le trafic d’espèces sauvages. L’interdiction proclamée entrera en vigueur le 6 juillet 2016.
Toutefois, le régime comporte des exceptions : les instruments de musique, les meubles et les armes contenant moins de 200 g d’ivoire, ainsi que les pièces anciennes datant d’au moins un siècle, seront autorisés.
De plus, cette réglementation limite également l’importation de trophées de chasse à seulement deux par an et par chasseur. Cette limitation, qui a l’air souple à première vue, est néanmoins un premier pas car auparavant aucune limitation n’existait.

Sally Jewell, ministre américaine des Affaires intérieures et des Ressources Naturelles, énonce que le Gouvernement Américain espère également « que les autres nations vont agir rapidement de manière décisive pour arrêter le flot d’ivoire en mettant en œuvre des réglementations similaires ».





Puis, dans ce même esprit, Patrick Bergin, président de l’ONG américaine Africain Wildlife Foundation (AWF) très engagée dans la protection des éléphants, énonce que « tous les pays et surtout ceux qui sont à la source, le transit ou la destination des produits illégaux de la faune sauvage ont un rôle à jouer en mettant de l’ordre dans leur propre maison ».

Ces déclarations visent, en plus des pays africains exportateurs, les pays asiatiques importateurs, et surtout la Chine qui se voit livrer près de 70% des exportations d’ivoire. Toutefois, la législation chinoise n’est pas muette concernant ce trafic. Elle pose certaines restrictions quant à l’importation d’ivoire. Et si le crime environnemental a un impact sur la santé, la peine de mort peut être prononcée.

L’interdiction totale et définitive du commerce d’ivoire sera d’ailleurs à l’ordre du jour lors de la prochaine convention sur le trafic d’espèces sauvages menacées qui se tiendra à Johannesburg du 24 septembre au 5 octobre 2016.


Malgré ces déclarations, qui sont un premier pas vers une législation solide de lutte contre le trafic d’espèces sauvages menacées, de grandes saisies ont eu lieu très récemment. Autant de preuves que le trafic d’ivoire continue.

En France, les 25 mai et 8 juin 2016, des saisies exceptionnelles ont été réalisées respectivement à Poitiers et à l’aéroport de Roissy. En moins d’une semaine, près de 350 kg d’« or blanc », représentant près de 2,5 millions d’euros, ont été saisis par les autorités françaises. Les deux saisies représentent la plus grosse prise depuis 10 ans.
Le trafiquant de Poitier est actuellement en détention provisoire, le temps de son jugement. Et l’homme intercepté à Roissy a été jugé en comparution immédiate. Sa condamnation s’élève à 18 mois d’emprisonnement et 140 000 € d’amende.

Puis, le 10 juin 2016, la Côte d’Ivoire annonçait également avoir effectuée une saisie exceptionnelle, la plus grosse depuis 10 ans. Les douanes ont intercepté près de 150 kg de défenses d’éléphants en provenance du Nigéria.

Ces saisies spectaculaires sont une preuve concrète de la vitesse galopante de cette criminalité environnementale qui se professionnalise. Les braconniers ne sont plus les paysans tuant des éléphants de manière occasionnelle contre une rémunération. Mais ils sont bien des professionnels qui parfois traversent des pays entiers pour aller trouver des éléphants.


Et le droit dans tout cela ?

Il faut savoir que sur ce terrain de la criminalité environnementale, le vide juridique n’existe pas. L’arsenal juridique existant est simplement très insuffisant et les quantum des peines sont toujours trop faibles. De plus, il y a également un problème d’applicabilité de ce droit de l’environnement car la réglementation applicable se retrouve dans pas moins de quinze codes Français différents, chacun applicable en fonction de la nature de l’élément matériel de l’infraction.
Une dispersion car il n’existe pas, en France, de chapitre dédié aux atteintes à l’environnement dans le code civil, comme dans le code pénal.

En matière civile, le projet de loi biodiversité propose d’inscrire la notion de préjudice écologique et son régime de responsabilité en cas d’atteinte à l’environnement, au sein du code civil. Une entrée dans notre législation qui pourra très certainement ouvrir le débat sur une entrée identique d’un régime de responsabilité en cas d’atteinte à l’environnement au sein du code pénal.
Toutefois, le droit pénal est une branche du droit très attachée à la souveraineté des Etats, à la culture des pays. Or, en matière de trafic d’espèces sauvages, le crime est international, global. Par conséquent, en plus d’une législation française stricte sur ce sujet, le développement d’une justice européenne, voire internationale en matière environnementale serait fortement souhaitable, voire indispensable.
Comme l’a énoncé Monsieur Laurent Neyret lors de la conférence des Jeco à Lyon en 2015, en matière environnementale, « il est nécessaire de passer d’un droit solitaire à un droit solidaire ».

Des évolutions législatives au niveau international sont donc attendues sur ce terrain.