La reconnaissance et l'indemnisation des victimes
des essais nucléaires français

A titre liminaire : Historique et cadre juridique antérieur

Les 210 essais nucléaires français, réalisés sur les sites d’expérimentation du Sahara (Reggane et In Eker) et de Polynésie française, entre 1960 et 1996, ont impliqué près de 150 000 militaires et civils. Aujourd'hui encore, plus de dix années plus tard, nombreux sont ceux et celles qui font état de graves problèmes de santé de nature cancéreuse ophtalmologique ou cardio-vasculaire.

Des problèmes de santé identiques touchent le personnel des entreprises métropolitaines sous traitantes mais aussi celui du Commissariat à l’énergie atomique et plus alarmant encore les populations de Polynésie française et d’Algérie vivant à proximité des sites d’essais.

Pour autant, il n’existait pas, à l’instar de ce qui est prévu en France pour les victimes de l’amiante, de système de présomption fondé sur une liste répertoriant les maladies réputées être induites par l’exposition à tel ou tel agent pathogène.

Les militaires n'étaient pas mieux lotis. Certes, l’ouverture du droit à indemnisation des vétérans français ayant développé des maladies suite à leur participation à des essais nucléaires est prévu aux articles L2 et L3 Code des pensions militaires.
Il s'agit d'un régime de présomption permettant l’ouverture d’un droit à pension pour les maladies contractées par le fait ou à l’occasion du service.
Néanmoins, la maladie doit avoir été constatée dans les 90 jours suivant le début du service effectif et moins de soixante jours avant le retour du militaire à son domicile. Ce dispositif s’avère évidement être incompatible avec le temps nécessaire au développement d’une pathologie radio-induite.

Une telle impasse ne pouvait décemment perdurer. Comme tout employeur, l'État est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés sur leurs lieux de travail, et par conséquent du développement de cancers chez son personnel ayant été exposé à la radioactivité.

La jurisprudence puis le législateur sont intervenus afin de mettre fin à cette zone de non droit.


I. Une réaction jurisprudentielle : moteur à la création d’un cadre légal adéquat


Face à cette situation, la jurisprudence française a admis en matière de maladies radio-induites la démonstration du lien de causalité entre la participation aux essais nucléaires et la pathologie, par faisceau de présomptions.

En effet, plusieurs vétérans ou leurs familles ont saisis les tribunaux des pensions militaires en afin d’obtenir droit à pension ou à indemnisation en réparation des préjudices qu’ils attribuent aux essais nucléaires. La jurisprudence leur à donner raisons à de multiples occasions.

Par un jugement en date du 4 mai 2007, la Cour régionale des pensions militaires de Rennes a confirmé celui rendu par le tribunal de première instance des pensions de Brest qui avait octroyé le 13 juin 2005 une pension d’invalidité à un ancien militaire victime d’un cancer de la thyroïde qu’il liait à sa participation en tant qu’officier à six campagne d’essais nucléaire à Mururoa de 1966 à 1972.
A l’époque, les militaires effectuant de telles missions étaient dépourvus de tenues de protection, de matériel adéquats et de consignes de sécurité adaptées. Le tribunal avait constaté que sa contamination « imputable au service », avait crée « un risque de développement du cancer », sans que la preuve du lien de causalité entre l'exposition aux radiations et son cancer soit rapportée.

Il est rappelé dans cet arrêt que l’Etat est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés sur le lieu de travail, au même titre que tout autre employeur. Par conséquent, l’Etat doit assumer la charge du préjudice, causé par le développement de cancers chez son personnel ayant été exposé la radioactivité.

Cette tendance est confortée par le jugement rendu le 26 novembre 2007 par la Cour d’appel de Douai qui condamne l'État à indemniser la veuve d’un militaire français. Ce dernier est mort en 1997 d’un cancer broncho-pulmonaire, à l’âge de 49 ans et avait participé à des essais nucléaires souterrains en 1979 et 1980. La cour a reconnu que la maladie de ce militaire était liée à son service dans le Pacifique, et a établi un lien direct entre l’exposition aux tirs et le décès. Par ailleurs cet arrêt est remarquable puisqu’il s’agit de la première affaire mettant en cause des essais souterrains.

Il est important de soulever que dans les deux espèces exposées ci-dessus, le ministère de la défense avant fait appel des jugements de première instance favorables aux vétérans.

A ce mouvement, vient s'ajouter un rapport émis, en février 2006, par la commission d'enquête sur les conséquences des essais aériens français en Polynésie, mise en place en juillet 2005 par l'assemblée de la Polynésie française. Ce rapport infirme ce que les autorités françaises ont toujours soutenu, à savoir, que les essais aériens réalisés par la France entre 1966 et 1974 ont en tout état de cause effectivement provoqué des retombées radioactives sur l'ensemble de la Polynésie.

Face à ce terrible constat, L'État ne pouvait qu’accepter de reconnaître sa responsabilité vis-à-vis des victimes des essais nucléaires français, et de leur indemnisation.


II. Un encadrement juridique adéquat : reconnaissance et indemnisation des victimes par le législateur


La loi n° 2010-2 en date du 5 janvier 2010 consacre le principe de la responsabilité de l’Etat à l’égard des victimes des essais nucléaires français. Le texte vise à reconnaître le statut de victime des personnes souffrant ou ayant souffert de maladie radio-induites résultant d’une exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français.

Cette reconnaissance est couplée avec un dispositif d’indemnisation dont les conditions d’allocations sont déterminées par la présente loi. Dans cet objectif, il est notamment prévu qu’une première enveloppe de 10 millions d'euros soit consacrée à la réparation du préjudice subit tant par les victimes civiles que militaires, liés aux essais nucléaires pratiqués en Polynésie française et au Sahara entre 1960 et 1996.

L’indemnisation des victimes est strictement encadrée par la loi. Ses conditions d’attribution sont les suivantes.

Les conditions tenant à la personne:

L'article 1er de la présente loi dispose que, peut prétendre à réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la loi, toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale.

Dans l'hypothèse ou la victime d'une telle maladie serait décédée, la demande en indemnisation peut être réalisée par ses ayants droits. Il est à noter que l'article 4 de la loi, les ayants droit des personnes visées à l'article 1er décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le comité d'indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation.

Les éléments de preuve à apporter:

D'une part, en vertu de l'article 3 de la présente loi, le demandeur devra justifier que la personne visée à l'article 1er est atteinte de l'une des pathologies radio-induites figurant sur la liste établie par décret.

D'autre part, en vertu des articles 2 et 3, le demandeur devra justifier, en cas de besoin avec le concours du Ministère de la défense et des autres administrations concernées, que cette même personne a résidé ou séjourné dans les zones et durant les périodes suivantes :

1. soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;

2. Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ;

3. Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ;

4. Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti.

Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2, ainsi que les zones mentionnées aux 3 et 4.

Si l'ensemble des conditions d'indemnisations sont réunies alors l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable.
De cette façon, le doute profite à la victime et non à l’État, qui supportera la charge d'apporter la preuve contraire. Si l’ensemble des conditions sont réunies alors la charge de la preuve est renversée et la présomption joue.

Les modalités juridiques tenant à l’examen de la demande en réparation

Les règles de compétence :

L'article 4 de la présente loi dispose que les demandes en réparation seront soumises à un comité d'indemnisation présidé par un conseiller d'État ou un conseiller près la Cour de cassation et composé notamment d'experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique.

Les membres du comité et les agents désignés pour les assister doivent être habilités, dans les conditions définies pour l'application de l'article 413-9 du code pénal, à connaître des informations visées aux alinéas précédents.
Il appartiendra à ce comité d'examiner si les conditions d'indemnisation sont réunies.

Les prérogatives du Comité d’indemnisation

Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.
Il peut requérir de tout service de l'État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande.
Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d'autres fins que cette dernière.

Les délais et règles procédurales

Dans le cadre de l'examen des demandes, le comité respecte le principe du contradictoire.

Le demandeur peut être assisté par une personne de son choix, dans le respect des droits de la défense.
Dans les quatre mois suivant l'enregistrement de la demande, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de lui donner.
Ce délai peut être porté à six mois lorsque le comité recourt à des expertises médicales. Dans un délai de deux mois, le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. Il joint la recommandation du comité à la notification.
Dans l'année suivant la promulgation de la présente loi, les délais d'instruction par le comité d'indemnisation sont portés à huit mois à compter de l'enregistrement de la demande. Cette disposition prévient l'encombrement du Comité qui sera sans doute surchargé de demande durant la première année.

La composition du comité d'indemnisation, son organisation, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur, ainsi que les modalités d'instruction des demandes et notamment les modalités permettant le respect du contradictoire et des droits de la défense sont fixés par décret en Conseil d'État.

Les modalités tenant au versement de l'indemnisation

L'article 5 de la présente loi prévoit que le versement de l'indemnisation soit réalisé sous forme de capital. Cette indemnisation sera exonérée ne sera pas imposée. Elle bénéficiera d'une exonération fiscale en vertu de l’article 8 de la présente loi qui insère l'article 33ter à l'article 81 du code général des impôts.

Qui plus est, toute réparation déjà perçue par le demandeur pour des motifs identiques, et notamment le montant actualisé des pensions éventuellement allouées, est déduite des sommes versées au titre de l'indemnisation prévues par la présente loi.

Par ailleurs, tel qu'il est prévu à l'article 6 de la loi, l'acceptation de l'offre d'indemnisation vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil et désistement de toute action juridictionnelle en cours. Par conséquent, elle rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices.


Sources:
- La Loi n°2010-2 du 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ( L. n° 2010-2, 5 janv. 2010 : JO 6 janv. 2010, p. 327)
- Proposition de loi relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, n°643, déposée le 29 janvier 2008
- www.assemblee-nationale.fr
- lexisnexis
- http://www.legifrance.gouv.fr/
- www.net-iris.fr/