Rappel des faits et de la procédure :

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un préfet a délivré à un opérateur éolien un permis de construire pour l’implantation d’éoliennes et d’un poste de livraison, consécutive à un avis favorable rendu par l’autorité militaire en application de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile. L’opérateur éolien a alors déposé une demande de permis de construire modificatif dans l’intention d’augmenter la longueur des pales des éoliennes autorisées. Cependant, à la suite d’un avis négatif de l’autorité militaire, sa demande a été refusée. L’opérateur éolien a également déposé une demande de prorogation du permis de construire, elle aussi rejetée.

Dès lors, l’opérateur est venu contestés ces deux refus devant le Tribunal Administratif de Rennes. La juridiction administrative de première instance, confirmé ensuite par la Cour Administrative d’Appel de Nantes, dans un arrêt du 12 juillet 2013 (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n° 12NT03252), a rejeté la requête du requérant.

En revanche, le Tribunal a fait droit à la demande d’annulation du refus de permis de construire modificatif au motif que le préfet avait porté son appréciation sur l’ensemble du projet et non uniquement sur les modifications faisant l’objet du permis de construire modificatif. La Cour administrative d’appel de Nantes a néanmoins censuré le raisonnement de la juridiction de première instance, estimant que la décision par laquelle le préfet s’était prononcé n’avait pas pour objet de retirer le permis de construire initial qui demeurait, en l’espèce (CAA Nantes, 12 juillet 2013, n° 12NT03253).
L’opérateur éolien a alors formé deux pourvois devant le Conseil d’Etat qui s’est prononcé dans sa décision du 11 décembre 2015.

Sur le refus de prorogation du permis de construire :

En vertu de l’article R. 424-21 alinéa 1er du code de l’urbanisme alors applicable en l’espèce, il convenait de déterminer si les servitudes administratives avaient évolué sur le terrain d’assiette du site.

En outre, la haute juridiction est venue s’appuyer, pour élaborer son raisonnement, sur de nombreuses dispositions :

En premier lieu, en vertu de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme, qui prévoit que lorsqu’un projet de construction est susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou d’aménagement tient lieu de l’autorisation prévue par l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile, et ce, du moment où la décision a fait l’objet d’un accord du Ministre chargé de l’Aviation Civile et du Ministre de la Défense.

De plus, aux termes de l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme alors en vigueur et qui, désormais est codifié à l’article L. 151-43 du code de l’urbanisme, prévoit que les PLU et les cartes communales devaient comporter en annexe les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol, devant figurer sur une liste dressée par décret en Conseil d’État. Au sein de cette annexe figure notamment, les « Servitudes établies à l’extérieur des zones de dégagement en application des articles R. 244-1 et D.244-1 à D. 244-4 du code de l’aviation civile ».

Ainsi, les servitudes aéronautiques issues de l’article 244-1 du Code de l‘aviation civile, qui sont au demeurant des servitudes administratives au sens de l’article L. 424-21 du code de l’urbanisme, ne peuvent être contestés. Cependant, ce même article complété par un arrêté du 25 juillet 1990 soumet la construction d’éoliennes à autorisation du Ministre chargé de l’Aviation Civile et du Ministre chargé de la Défense.

En l’espèce, les servitudes aéronautiques n’avaient pas changé. Cependant la difficulté ici, résidait dans l’appréciation plus stricte des servitudes issues de l’arrêté du 25 juillet 1990 par l’autorité militaire en raison d’une circulaire de mars 2008 et d’études de la Défense, créant des lignes directrices rigoureuses . Celle-ci a donc émis, du fait de cette modification, un avis défavorable sur le projet litigieux.

La question présentée au Conseil d’État était de savoir si la modification de l’appréciation des conditions dans lesquelles une servitude s’appliquait au terrain d’assiette devait être considérée comme une modification de la servitude en tant que telle,au sens de l’article R.424-21 du code de l’urbanisme. Dans une solution à deux temps, le Conseil d’Etat répond à cette problématique.

D’une part, le Conseil d’État reprend le principe déjà érigé quelques années auparavant, par une décision du 5 novembre 2003 ( CE, Section 5, 5novembre 2003, n° 23.05.35). Il vient préciser que si l’autorité administrative saisie d’une demande de prorogation d’un permis de construire, ne peut refuser d’y faire droit, uniquement si les règles d’urbanisme et de servitudes s’imposant au projet ont été modifiées, postérieurement à la délivrance du permis de construire, dans un sens qui lui est défavorable. Il vient ajouter qu’ « elle ne peut fonder un refus de prorogation sur une évolution des autres éléments de droit ou circonstances de fait, postérieure à la délivrance de l’autorisation ».

Il complète ensuite son raisonnement en ajoutant que : « la modification, dans un sens plus restrictif, de l’appréciation portée par l’autorité administrative compétente sur les conditions d’application des textes régissant une servitude, ne peut, dès lors que ceux-ci n’ont pas été modifiés, être regardée comme constituant une modification de cette servitude dans un sens défavorable pour l’application des dispositions de l’article R. 424-21 du code de l’urbanisme ».

Il en déduit alors que « la circonstance que l’administration compétente a, postérieurement à la délivrance d’une autorisation de construire, adopté des lignes directrices pour l’instruction des demandes qui lui sont adressées est à cet égard sans incidence ; que, par suite, en jugeant que le changement d’appréciation de l’autorité militaire, (…) d’une demande d’autorisation,(…) pouvait être regardé comme une évolution dans un sens défavorable à la société requérante de la servitude prévue par l’article R. 244-1, de nature à justifier légalement le refus de prorogation litigieux, (…) ». Le Conseil d’État censure donc la décision de la CAA de Nantes.

Ainsi, cette décision attendue était particulièrement nécessaire. En effet, la doctrine de l’armée en matière de servitudes aéronautiques et d’éoliennes est particulièrement incertaine, pouvant être qualifiée de purement opportune.

Sur le refus de permis de construire modificatif :

Sur ce point, plusieurs moyens étaient invoqués devant le Conseil d’Etat pour contester le rejet de la demande de permis de construire modificatif.

Dans un premier temps, le Conseil d’État a écarté le moyen selon lequel la CAA aurait commis une erreur de droit en jugeant qu’une décision de refus de permis de construire modificatif n’avait pas pour effet de retirer le permis de construire initial et, qu’elle aurait inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ou aurait insuffisamment motivé.

Cette solution est importune dans la mesure où l’efficacité des radars n’entre pas dans le champ d’application de l’article R.244-1 du code de l’aviation civile, qui vise strictement les obstacles à la navigation aérienne du fait de la hauteur des installations mais non celles relatives à l’efficacité des radars. De surcroît, l’efficacité des radars militaire n’entre pas dans le cadre des servitudes aéronautiques possibles, celles-ci regroupant uniquement les servitudes de dégagement et les servitudes de balisage.

Dans un deuxième temps, le Conseil d’État s’est dérobé face à l’invitation de se positionner, qui lui était offerte, sur le débat relatif à la valeur de la circulaire interministérielle du 3 mars 2008. Il a ainsi considéré, que la CAA a « jugé que l’avis défavorable du Ministre de la Défense était fondé sur l’arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations (…) ; qu’elle a ainsi regardé le moyen tiré de l’illégalité de la circulaire comme inopérant ». Il estime qu’il s’agit de « lignes directrices pour l’instruction des demandes ».

Enfin, le Conseil d’État écarte le moyen tiré de ce que la servitude aérienne serait dépourvue de base légale au motif qu’il était invoqué pour la première fois en cassation.

Dès lors, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel sur le refus du permis de construire modificatif.

Pour conclure, le Conseil d’État, par cette décision, ne met pas un point d’honneur quant à l’indécision de la doctrine mais instaure une limite indispensable aux incertitudes. De nombreuses questions restent toutefois en suspens …