Le 26 mars 2014, Monsieur Jean-Marc Ayrault a déposé à l’Assemblée Nationale le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Puis, après une première lecture au sein des deux chambres, ce projet revient aujourd’hui en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Par l’intermédiaire de ce projet, le Gouvernement souhaite « renouveler et simplifier la gouvernance des politiques en faveur de la biodiversité au niveau national et régional ».
Le Comité Français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) contribue à la construction de ce projet de loi en proposant de nombreux amendements qui ont été intégrés lors du passage du texte en première lecture devant l’Assemblée Nationale.

Concernant la notion de préjudice écologique & l’amendement gouvernementale du 1er mars 2016

La notion de « préjudice écologique » fut consacrée dans notre droit par la Cour de Cassation le 25 septembre 2012 lors de l’affaire de l’Erika, un pétrolier affrété par Total qui, le 12 décembre 1999, s’était brisé au large du Finistère, relâchant 20 000 tonnes de fioul lourd et souillant de mazout 400 km de côtes bretonnes et vendéennes.
Une notion jurisprudentielle avérée et reconnue par près de deux cents décisions, mais dont le projet de loi a pour but de faire entrer dans notre code civil. Une entrée officielle et symbolique au sein du plus célèbre des codes Napoléoniens.
Selon le projet, le préjudice écologique, intégré dans un futur article 1386-19 du code civil, se définira comme « toute atteinte anormale causée aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’Homme de l’environnement ».

Mais, le 1er mars 2016, et seulement près de quatre mois après la COP 21, le Gouvernement a décidé de déposer un amendement qui avait pour vocation de compléter l’article 1386-19 par l’alinéa suivant :
« n’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application ».
Cela signifiait concrètement, qu’une pollution causée par une activité ayant bénéficié d’une autorisation administrative ne pourrait plus être juridiquement qualifiée de « préjudice écologique ». Et surtout, le dommage causé ne pourrait faire engager la responsabilité de l’acteur de la pollution. La responsabilité se serait reportée sur la personne morale qui aurait décerné l’autorisation administrative, c’est à dire l’Etat.
Pour cela, la preuve aurait consisté à prouver que l’activité polluante avait bien été autorisée administrativement. Les industriels auraient disposé d’une « sorte d’immunité pour cause d’autorisation administrative ».
Toutefois, si l’Etat était responsable et était donc débiteur des réparations financières à engager, cela aurait été, concrètement, aux contribuables de payer. Et par conséquent, nous serions arrivé à la situation totalement paradoxale du « pollués-payeurs » ou « contribuables-payeurs » comme l’énonce Maitre Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement.


A peine cet amendement fut-il déposé, que de nombreuses personnalités juridiques ont fait entendre leurs opinions, dont Monsieur Laurent Neyret, juriste spécialisé en droit de l’Environnement, qui qualifie l’amendement de « régression incompréhensible » .
De nombreuses ONG, dont WWF, ont également exprimé leur opinion et surtout leur vive opposition à cet amendement gouvernemental.
Plus largement face à cet amendement, Madame Corinne Lepage s’interrogeait sur le processus d’élaboration des lois et sur le poids des lobbies, qui ne sont pas favorables à l’inscription du préjudice écologique au sein de notre code civil.

Par conséquent, face à l’ensemble de ces réactions, le Gouvernement a retiré mardi 1er mars au soir, en Commission à l’Assemblée Nationale, son amendement relatif aux conditions de réparation du préjudice écologique. Un amendement express qui n’a pas du tout fait l’unanimité.

Puis, le 15 mars 2016, à 54 voix contre 11, le préjudice écologique a été officiellement voté et intégré au sein de notre code civil par l’Assemblée Nationale en deuxième lecture. Une avancé majeure pour l’ensemble des défenseurs de l’environnement ainsi que pour les juristes qui se sont fortement mobilisés pour que ce texte voit le jour.

Le nouvel amendement voté par l’Assemblée Nationale dispose notamment que « toute personne qui cause un préjudice écologique est tenue de le réparer », puis définit ce dernier comme « toute atteinte aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’Homme de l’environnement ».
La référence aux « dommages graves et durables » prévue par le texte en première lecture a été supprimé. Une suppression due à la notion de « gravité » jugée trop floue et difficile d’évaluation.

De plus, le réparation de ce préjudice sera largement ouverte. Les demandeurs pourront être l’Etat, le Ministère Public, l’Agence Française pour la Biodiversité, les Collectivités Territoriales et leurs groupements, ainsi que toute personne ayant qualité à agir.
En outre, l’ensemble de ces demandeurs n’auront pas à prouver la faute du pollueur pour le contraindre à réparer le dommage causé, étant donné que l’amendement voté par l’Assemblée Nationale prévoit un régime de responsabilité sans faute.

Puis, concernant les modalités de réparation, et comme l’avait préconisé nombre de juristes spécialisés, la réparation s’effectuera « par priorité en nature ». Le versement de dommages et intérêts est néanmoins prévu, mais ils seront déclaré par le juge si la réparation en nature est impossible ou insuffisante. De plus, la destination de ces dommages et intérêts est également encadrée par la loi car ils devront servir en priorité à la réparation de l’environnement et subsidiairement à la protection de l’environnement. Enfin, sur ce terrain de la réparation, la loi prévoit également le remboursement de dépenses qui auraient été engagées « pour prévenir la réalisation imminente d’un préjudice, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences ».


Le projet a également envisagé les possibles problèmes d’articulations entre ce nouveau régime de responsabilité civile et le régime administratif de responsabilité environnementale institué par la loi du 1er août 2008 et codifié aux articles L160 et suivant du code de l’environnement.
Une articulation qui avait été proposée par certains professionnels et qui a donc trouvé dorénavant sa place dans le futur article 1386-25 du code civil.
L’articulation se fonde sur la procédure du « sursis à statuer » que le juge civil devra mettre en œuvre en cas de procédure administrative déjà ouverte, et également en cas d’ouverture de procédure administrative alors que la procédure civile aura déjà débuté.

Enfin, concernant la prescription de l’action en responsabilité environnementale, le nouvel article 2226-1 I du code civil disposera que « l’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique (…) se prescrit par trente ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage ».
Toutefois, en plus d’instaurer un nouveau délai de prescription, le projet de loi institue également un délai de forclusion qui s’inscrira à la suite de l’article 2232 du code civil et qui disposera que « ils ne peuvent avoir pour effet de porter le délai de la prescription mentionné à l’article 2226-1 au-delà de cinquante ans à compter du fait générateur ».
Deux articles favorables aux victimes comme aux industriels. Car par l’allongement du délai de prescription, les victimes auront plus de temps pour pouvoir agir. Une avancée étant donné que les dommages écologiques peuvent ne pas apparaître directement après le dommage, mais se déclarer des années plus tard. Et par l’instauration d’un délai de forclusion, cinquante ans à compter du fait générateur, les industriels ne pourront plus être attrait en responsabilité.

Aux côtés de l’ensemble de ces notions se rapportant directement au préjudice écologique, le projet de loi est également porteur de nombreuses autres avancées.

Concernant le principe de solidarité écologique

Le projet de loi souhaite préciser le concept de « solidarité écologique », une mesure adoptée par la Commission Développement Durable de l’Assemblée Nationale.
Le concept de solidarité écologique, apparut pour la première fois au sein de la loi sur les Parcs Nationaux du 6 juin 2004, peut se définir comme un concept reposant sur la prise de conscience de l’interdépendance des êtres vivants entre eux et avec leurs milieux.
Un principe important car complémentaire aux autres principes environnementaux que sont le principe de précaution, le principe de prévention, le principe pollueur-payeur, le principe d’accès aux données environnementales ainsi que le principe de participation du public.


Concernant la création de l’Agence Française pour la Biodiversité, l’AFB

Parrainée par Hubert Reeves, astrophysicien et président de l’Association Humanité et Biodiversité, le projet de loi va mettre en place l’Agence Française pour la Biodiversité, l’unique référent désormais pour la biodiversité.
Elle regroupera l’Office National de l’eau et des milieux aquatiques, l’Agence des aires marines protégées, Parcs Nationaux de France et l’ATEN.
Toutefois, l’Office national de la chasse est l’absent de ce regroupement, un regret étant donné qu’il est l’un des acteurs majeurs des projets environnementaux.
Une convergence des deux organisations qui s’effectuera tout de même sur le terrain selon Madame Royale.

D’un point de vue plus global, le projet de loi va instituer un article L110-3 du code de l’Environnement, qui consacrera juridiquement la stratégie nationale et les stratégies régionales pour la biodiversité. Des stratégies élaborées conjointement par les collectivités, les acteurs socio-économiques, la communauté scientifique ainsi que les associations de défense de l’Environnement.
Des stratégies conjointes car la cohérence entre les niveaux est primordiale. La société civile ne doit pas se retrouver perdue face à des discours divergents, mais une seule et même ligne de pensé et surtout d’action doit être mise en œuvre.
De plus, aux côtés de l’AFB, le projet de loi pose la création de deux autres instances, elles consultatives. Une instance sociétale, le Comité National pour la Biodiversité (CNB), et une instance scientifique, le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), avec pour chacune d’entre elles, la capacité de s’autosaisir.

Concernant la transposition du Protocole de Nagoya

Le projet de loi vise également à introduire au sein du droit français, le Protocole International de Nagoya, sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, plus communément appelé Protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages (APA), adopté le 29 octobre 2010 à Nagoya, au Japon, et entré en vigueur le 12 octobre 2014.
Un accord international sur la biodiversité qui vise notamment à lutter contre la biopiraterie, c’est à dire l'appropriation illégitime des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles autochtones.

Concernant le triptyque Eviter – Réduire – Compenser

La loi du 10 juillet 1976 pour la protection de la Nature avait introduit dans notre droit le triptyque environnemental ERC : Eviter – Réduire – Compenser. Des notions qui ont connu d’importants développements ces dernières années, notamment à travers leurs élargissements à tous les impacts environnementaux.
Toutefois, selon le Comité Français de l’UICN, il est également important de préciser l’objectif de la compensation écologique, qui se définit comme l’absence de perte nette, voire l’apport d’un gain pour la biodiversité.
De plus, l’intégration de cet objectif d’absence de perte nette au sein de notre droit, permettrait de conformer notre législation à la stratégie européenne de biodiversité adoptée par le Conseil de l’Union Européenne qui pose le principe « no net loss ».
L’Objectif de compensation nous amène également à nous questionner sur sa mise en œuvre, notamment par l’intermédiaire des « mesures compensatoires ».
Actuellement, le maitre de l’ouvrage a trois possibilités pour mettre en œuvre ces mesures compensatoires : les réaliser lui-même, les confier à un opérateur externe, ou bien acquérir des unités de compensation.
Face à cela, le Comité Français de l’UICN se dit favorable au deux premières possibilités mais pas à la troisième. Cette troisième option, encore en cours d’évaluation, instaurerait à long terme un « marché d’unité de pollution ». Les « unité de compensation » ne sont pas encore bien définis sur le plan scientifique et technique, ce qui n’assurerait pas la sécurité juridique attendue par le projet de loi.



En conclusion, c’est donc une loi très riche qui permettra la clarification du cadre juridique entourant le préjudice écologique, un cadre juridique plus stable qui profitera également aux entreprises. Ces dernières devront alors être plus vigilantes vis à vis de leurs activités existantes, et surtout vis à vis des activités futures qu’elles voudraient développer.
Selon Jean-Pierre Beurrier, professeur de droit public à l’Université de Nantes, « le préjudice écologique reconnaît à la Nature une valeur à elle toute seule ». Autrement dit, la réparation d’une atteinte à l’environnement ne dépendra plus des préjudices causés à autrui, la nature pourra dorénavant être considérée comme une victime à part entière.
Autant d’avancées saluées par Pascal Canfin, directeur général du WWF-France qui décrit le projet de loi comme un « progrès important qui donne à la France un rôle de leader ». Et il ajoute que l’ensemble des « dispositions adoptées permettent une meilleure prise en compte du préjudice écologique et donnent un cadre juridique aux entreprises, ce qui est toujours plus sécurisant pour elles »

Désormais, il ne reste plus qu’à espérer que le Sénat suive la voie choisie par l’Assemblée Nationale et ne remette pas en cause l’ensemble de ces édifices. A suivre …