Dès 1964, avec la loi sur l’eau, la France organise une gestion décentralisée de l’eau. Cette loi a été très novatrice en la matière car elle a posé les bases du système toujours applicable aujourd’hui. Par la suite, c’est la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 qui va consacrer l’eau comme « patrimoine commun de la nation », elle met également en place de nouveaux outils de gestion de l’eau que sont le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Mais, le droit français va être rattrapé par le droit de l’Union européenne, à travers la directive cadre sur l’eau de 2000, transposé en 2004. Cela va conduire à faire évoluer le droit interne et à une loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006. Cette dernière va mener à des modifications substantielles sur le plan organisationnel, financier et va permettre une nouvelle approche de la ressource en eau.
Diverses problématiques, comme l’explosion des besoins en eau, vont petit à petit conduire les politiques publiques à appréhender l’eau d’une manière nouvelle. Il va apparaître que l’eau ne doit pas être uniquement vue sous le prisme de sa fonction environnementale, de sa fonction sociale ou encore de sa fonction économique ; mais l’eau doit faire l’objet d’une approche globale. C’est ainsi que s’est développée l’idée de gouvernance de l’eau dans de nombreux textes, notamment dans la Charte européenne des ressources en eau de 2001 ; le projet de la LEMA dont le titre III s’intitulait « planification et gouvernance ». Aujourd’hui encore la gouvernance est au cœur des problématiques de l’eau, en effet, le projet de loi pour la biodiversité, adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 17 mars 2016, comporte un titre III bis intitulé « Gouvernance de la politique de l’eau ».
L’OCDE, dans son programme sur la gouvernance de l’eau, la définit comme englobant « les règles, les pratiques et les processus par lesquels les décisions concernant la gestion des ressources et des services d’eau sont prises et mises en œuvre. » Il est alors possible de dire que la gouvernance de l’eau est un nouveau mode de mise en œuvre des politiques publiques de l’eau reposant sur la coopération de divers acteurs afin d’aboutir à un consensus sur les règles et les processus de gestion de l’eau

La gouvernance de l’eau résulte de l’interaction et de la coopération entre les divers acteurs. Les politiques traditionnelles « top-down » ne sont pas adaptées au secteur spécifique de l’eau car il nécessite une coordination et une cohésion entre les acteurs. Cependant, il a été constaté de nombreux dysfonctionnements propres à la gouvernance de l’eau.
Tout d’abord, des difficultés apparaissent en ce qui concerne la représentativité des instances. Au niveau des comités de bassin il existe trois collèges. Néanmoins, au sein du collège représentant les usagers, il a une très forte proportion d’usagers professionnels. Les usagers non-professionnels sont donc sous-représentés au sein de ce collège. A ce titre, le projet de loi pour la biodiversité prévoit de diviser le collège des usagers en deux avec d’une part, pour 20%, un collège composé des usagers non-économiques ; d’autre part, pour 20%, un collège composé des usagers économiques et des organisations socio-professionnelles. Au niveau du conseil d’administration des agences de l’eau, ses membres sont nommés par arrêté ministériel parmi les trois collèges actuels du comité de bassin. Néanmoins, le mode de désignation diffère selon le collège, notamment les représentants des collectivités sont élus alors que les représentants des usagers sont « choisis » de manière souple. Au niveau des commissions des aides des agences de l’eau, cette commission est celle qui se prononce sur l’attribution des aides les plus importantes. Cependant, la composition de la commission varie d’une agence à l’autre, selon des règles définies par chaque conseil. Cela ne permet pas de garantir une représentativité juste. Cela pose d’autant plus de problèmes que cette instance dispose de prérogatives importantes.
Ensuite, il existe un manque de transparence concernant l’attribution des aides, en effet, la liste des bénéficiaires des aides et de leurs montants ne sont pas toujours rendus publics. De plus, une partie des membres du conseil d’administration siège à la commission qui attribue les aides et représente des entreprises ou des collectivités. Il apparaît donc un conflit d’intérêt. L’article 213-38 du Code de l’environnement prend en compte ce conflit et considère qu’un membre du conseil d’administration ne peut pas participer aux délibérations portant sur un dossier le concernant, mais il n’appartient qu’aux seuls intéressés de se déporter et il ne les empêche pas de participer aux débats. A ce titre, la projet de loi pour la biodiversité souhaite créer un article L213-8-4 qui créerait une incompatibilité entre la fonction de membre du conseil d’administration et d’autres fonctions qui seraient déterminées par décret en Conseil d’Etat.
De plus, un manque de cohérence apparaît concernant la place de l’Etat. En effet, ce dernier, bien qu’exerçant une tutelle sur les agences, est minoritaire dans leur conseil d’administration (représentation à hauteur de 20%). Les programmes d’intervention des agences déterminent le montant ainsi que les modalités d’attribution des aides et des redevances. Ces programmes doivent être approuvés par le conseil d’administration après un avis conforme des comités de bassins. Mais, le faible poids de l’Etat au sein de ces instances conduit à une inadéquation entre les programmes d’interventions des agences avec les objectifs de la politique nationale. Il en est de même avec les contrats d’objectif passés entre l’Etat et les agences.
Enfin, l’un des dysfonctionnements majeurs de la gouvernance de l’eau ayant conduit à sa remise en cause est le recul du principe pollueur-payeur. En effet, la LEMA a posé ce principe à travers le fait que les agences de l’eau perçoivent des redevances pour pollution de l’eau ou en cas de modifications de la qualité ou de la quantité d’eau. Cependant, il a été constatée que ces redevances sont essentiellement acquittées par les usagers domestiques et non par les pollueurs. La LEMA a modifié l’assiette et le taux de certaines redevances ce qui a conduit à un recul du principe. De surcroit, la Cour des comptes relève que les redevances acquittées par l’agriculture sont peu incitatives et que celles acquittées par l’industrie sont en diminution. Il en résulte donc une quasi-disparition du principe pollueur-payeur car les contribuables les plus importants sont ceux qui payent le moins.
Nonobstant, il semble que les problématiques relatives au divers niveaux de compétence qu’impose la gestion de l’eau commence à être prise en compte par les pouvoirs publics. A ce titre, la loi MAPAM attribue aux communes une nouvelle compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), cette compétence est obligatoirement transférée, lorsqu’il existe, à un EPCI à fiscalité propre. Cette attribution laisse présager une amélioration de la fragmentation importante qu’il peut exister dans certains bassin. De plus, la loi Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015 prévoit le transfert de la compétence eau et assainissement aux intercommunalité à compter du 1er janvier 2020. Cette compétence est actuellement assurée par environ 35 000 services communaux ou intercommunaux et cela ne coïncide pas avec les bassins hydrographiques. Ce transfert apparaît cohérent avec le transfert de la compétence GEMAPI.
Le projet de loi biodiversité, transmis au Sénat en deuxième lecture le 18 mars 2016, semble également agir dans le sens d’une meilleure gouvernance de l’eau.