Historiquement le seul contrôle de constitutionalité des lois était réalisé a priori par le Conseil Constitutionnel, les juges français ayant toujours refusé d’opérer un contrôle de constitutionalité a posteriori des lois, préférant, depuis 1974 pour la Cour de cassation et 1989 pour le Conseil d’Etat, lui exercer un contrôle de conventionalité.

Or suite aux travaux de la commission Vedel, repris par la récente commission Balladur, la Constitution française s’est enrichie d’un article 61-1 instaurant un mécanisme de question préjudicielle portant sure la constitutionnalité des lois (article 29 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008).
Mais ce mécanisme restait inapplicable en l’absence de loi organique précisant les dispositions d’application du texte, comme l’avait rappelé le Conseil d’Etat par trois arrêts de section du 11 décembre 2008 (Association de défense des droits des militaires, n° 307405, 307403 et 306962).
Une loi organique, qui complète l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, vient mettre un terme à cette attente en définissant les modalités d’application de cet article (loi 2009-1523 du 10 décembre 2009). Cette loi a été validée par le Conseil Constitutionnel avec quelques réserves (DC. 2009-595 du 3 décembre 2009).
Si cette loi, qui entrera en vigueur le 1ermars 2010, rend pleinement applicable ce mécanisme de contrôle a posteriori de la constitutionalité des lois, elle ne permet pas pour autant au justiciable de poser directement une question préjudicielle au Conseil Constitutionnel : plusieurs filtres ont été mis en place pour limiter les abus mais également pour permettre pratiquement au Conseil de traiter les nombreuses questions qui ne manqueront pas d’être posées.

Mais au-delà de l’étude des mécanismes mis en place par la loi organique (I), et des limites envisageable de cette réforme constitutionnelle (II) la question, pour les juristes en droit de l’environnement, sera immanquablement les conséquences de ce nouvel article 61-1 sur l’applicabilité de la charte de l’environnement (III).

I. Mécanismes à l’œuvre : du juge du fond au Conseil Constitutionnel

La question prioritaire de constitutionalité pourra être soulevée par tout requérant contre tous les textes législatifs à la condition que l’une de leurs dispositions porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution. En pratique les requérants désireux d’avoir recours à ce mécanisme devront passer par plusieurs filtres : celui des juges du fond, celui des juges de cassation et enfin celui du Conseil constitutionnel.

a. devant les juges du fond :

Devant les juges du fond, aussi bien de l’ordre administratif que judiciaire, à l’exception de la Cour d’assise, les requérants pourront soulever le moyen tiré de la violation par une disposition législative d’un droit ou d’une liberté constitutionnellement garantie.
Formellement, ce moyen devra être présenté dans un écrit distinct et motivé, à peine d’irrecevabilité. Il est à noter que ce moyen pourra être soulevé pour la première fois en nouvelle cause d’appel. Par contre il ne pourra être soulevé d’office.
Si ces conditions sont remplies, le juge du fond devra statuer sans délai, par une décision motivé, sur la transmission de la question prioritaire au juge de cassation. Le juge devra transmettre si trois conditions de fond sont remplies :il faudra que le texte dont l’inconstitutionnalité est soulevée ait un lien avec le litige, que cette possible inconstitutionnalité n’ait pas été déjà tranchée par le Conseil Constitutionnel à l’occasion d’un précédent litige (règle du non bis in idem) et que le caractère sérieux de la question soit avéré.
La décision de transmettre est alors adressée au Conseil d’Etat ou à la Cour de Cassation dans les huit jours. Cette décision est insusceptible de recours (de manière directe tout du moins).
Si le juge du fond décide de transmettre la question au juge de cassation, il devra impérativement sursoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision du juge de cassation et le cas échant du Conseil Constitutionnel.
Néanmoins le juge du fond conserve la possibilité de prononcer des mesures provisoires ou compensatoires dans l’attente de la décision. De même cette règle connaît quelques aménagements en matière pénale ou en cas d’urgence : un jugement au fond peut être rendu mais le pourvoi en cassation reste gelé dans l’attente de la décision de transmettre ou non de la Haute juridiction.

b. Devant les juges de cassation :

Une fois la transmission au juge de cassation opérée par le juge du fond, Le conseil d’Etat ou la Cour de la cassation doivent se prononcer sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil Constitutionnel dans un délai de trois mois. Si à l’expiration de ce délai le juge de cassation n’a pas rendu de décision motivée sur ce renvoi, la question prioritaire est transmise d’office au Conseil Constitutionnel.
Pour décider de ce renvoi, la Haute juridiction doit réexaminer les trois conditions précitées, à savoir : que le texte dont l’inconstitutionnalité est soulevée ait un lien avec le litige, que cette possible inconstitutionnalité n’ait pas été déjà tranchée par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’un précédent litige et que le caractère sérieux de la question soit avéré.
Enfin si le juge de cassation décide de la nécessité d’un renvoi, il devra sursoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil Constitutionnel ait rendu sa décision. Ce principe connaît les mêmes aménagements que devant les juges du fond.

c. Devant le Conseil Constitutionnel :

Une fois saisit le Conseil constitutionnel informe de sa saisine le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui auront alors la possibilité de présenter au Conseil leurs observations sur la question prioritaire de constitutionalité.
Le Conseil constitutionnel devra alors statuer sur la question dans un délai de trois mois et présenter une décision motivée. Il est à noter que la loi organique ne prévoit pas de mécanisme de sanction si ce délai est dépassé. Se poserait alors la question de la validité de la décision du Conseil constitutionnel si elle intervient au-delà de ce délai de trois mois.
La décision motivée est ensuite transmise aux Hautes juridictions et, le cas échéant, aux juridictions du fond qui auraient soulevé la question prioritaire de constitutionnalité.
De même il est à noter qu’une fois le Conseil Constitutionnel saisit, l’extinction de l’instance à l’occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionalité a été soulevée, n’aura aucune conséquence sur l’examen de celle-ci par le Conseil.
Si le Conseil déclare inconstitutionnelle la mesure législative en cause, cette décision aura une portée générale (et non seulement inter partes) mais n’aura pas d’effet rétroactif : cette inconstitutionnalité ne sera applicable que pour le futur et les instances en cours.

II. Les limites de la question prioritaires de constitutionnalité : sitôt adoptée déjà dépassée ?

Avant même que le mécanisme de ce contrôle de constitutionnalité a posteriori soit mis en œuvre (entrée en vigueur de la loi organique au 1er mars 2010), certaines limites de ce mécanisme apparaissent :
En effet si ce contrôle de constitutionnalité permet un gain en sécurité juridique, la procédure qui y conduit est longue et coûteuse pour le requérant. Mais la principale limite de ce contrôle reste l’obstacle du droit communautaire : en effet la Cour de cassation et le Conseil d’état opèrent déjà un contrôle de conventionalité. Or au vu de la proximité du contenu de la constitution française et du droit communautaire en matière de droit et liberté fondamentales on peut légitimement se demander si cette nouvelle procédure ne fera pas doublon avec le contrôle de conventionalité opérée par les juges français.
De plus on peut se poser la question de la compatibilité de ce contrôle avec le principe de primauté du droit communautaire : nul doute que la Cour de justice des communautés européennes aura son mot à dire sur cette question.
Enfin, la dernière réserve que l’on pourrait exprimer face à ce mécanisme réside dans la présence de nombreux filtres entre la demande du requérant et le contrôle final opéré par le Conseil Constitutionnel : la décision de transmettre ou non la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil appartient entièrement au juge de cassation qui aura la possibilité de bloquer totalement le mécanisme.

III. Les conséquences de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : vers une meilleure applicabilité de la charte de l’environnement ?

Mais au delà ce ces réserves, ce mécanisme pourrait aboutir à une meilleure application de la charte de l’environnement, et ainsi permettre aux juristes environnementalistes de soulever des moyens directement tirés des principes contenus dans celle-ci.
En effet si on retrouve dans la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005, des principes tels que le droit pour chacun de vivre dans un environnement sain, celui du devoir de préserve l’environnement, du pollueur payeur, ou encore le principe de précaution.
Or si les juridictions civiles et administrative (CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy) ont reconnue la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement et l’applicabilité de certain de ces principes tels que le droit à vivre dans un environnement sain ou le principe de précaution (antennes relais, OGM…) ces applications sont excessivement rares et restrictives.
Ainsi par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité, la Constitution et plus particulièrement la Charte de l’environnement pourrait se voir reconnaître une réelle valeur contentieuse, que ce soit devant le juge civil ou administratif et offrir des moyens nouveaux aux pratiquants des contentieux environnementaux.