
Télémédecine : de nouvelles responsabilités en jeux
Par Iris SERGENT
rédactrice d'articles pour le blog du Figaro "green business"
Cabinet d'avocats Ichay et Mullenex associés
Posté le: 23/12/2009 16:21
Télémédecine : nouvelles responsabilités en jeux
La médecine, tout comme l'ensemble des champs de la société, n'a pas coupé aux profondes mutations engendrées par le développement des technologies de l'information et de la communication. Ainsi est apparue la télémédecine, qui n'est que l'adaptation de la médecine à ces nouveaux moyens
Elle apparaît de plus en plus comme un outil permettant de faire face aux besoins de notre société en termes d'amélioration des soins et d'économie de nos dépenses de santé. L'évolution démographique, l'allongement de la durée de la vie et à la spécialisation toujours grandissante de la médecine, sont autant de défis à relever.
La télémédecine permet de répondre à d'autre besoins, plus spécifiques mais prioritaires, comme la prise en charge des patients au seins des établissements pénitentiaires, celle des patients se trouvant dans des territoires isolés ou atteints de maladies rares ou encore, la prise en charge pré-hospitalière des urgences.
Si les principes déontologiques essentiels à respecter demeurent (la relation entre un patient et un médecin doit être personnalisée ; le consentement du patient à ce type d’exercice de la médecine doit être obtenu ; le secret professionnel doit être garanti ; la télémédecine doit répondre aux problématiques d’égalité d’accès, d’amélioration de la qualité et de sécurité des soins ; elle ne peut être pratiquée qu’avec un dispositif technologique fiable…), le fait est que la télémédecine introduit de nouvelles figures de responsabilité.
D’une part, elle suppose que dans certains cas l’art de la médecine soit exercé de manière collective avec des praticiens au statut juridique différent et, d’autre part, elle introduit un nouvel acteur : le tiers technologique.
I. Les Nouvelles figures de responsabilité médicale
Consciente de problèmes de responsabilité que la télémédecine ne manquera pas de soulever, la Commission Nationale de l'Ordre des Médecins (CNOM) a entrepris de lui assigner un champ d'application limité en en donnant la définition suivante :
« La télémédecine est une des formes de coopération dans l'exercice médical, mettant en rapport à distance, grâce aux technologies de l'information et de la communication, un patient (et/ou les données médicales nécessaires) et un ou plusieurs médecins et professionnels de santé, à des fins médicales de diagnostic, de décision, de prise en charge et de traitement dans le respect des règles de la déontologies médicale »
La CNOM dresse également une typologie des actes considérés qui sont au nombre de quatre.
Le premier est la Téléconsultation. Elle s’effectue à distance et en présence du patient qui est ou non en présence d’un autre médecin.
Le second est la Télé assistance médicale. C'est l’acte au cours duquel un médecin assiste techniquement un confrère à distance (ex: télé chirurgie)
Le troisième est la Télé expertise qui consiste en un échange professionnel entre deux ou plusieurs médecins, soit par la concertation entre médecins, soit par la réponse d’un médecin distant sollicité par le médecin en charge directe du patient. Elle se distingue de la téléconsultation car elle s’effectue sur la base de la transmission électronique de Données Médicales Professionnelles.
Le dernier est la télésurveillance. Elle concerne un patient déjà connu du médecin ou de l’équipe médicale (maladies chroniques, grossesses à risques…) et consiste dans la transmission d’indicateurs physiologiques recueillis sur le patient à ces derniers. Ces données interprétées à distance permettent de modifier la prise en charge sans que le patient ait à se déplacer.
Cette clarification semblait nécessaire car si l’acte de télémédecine est un acte médical à part entière (article 32 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie ), il n'en demeure pas moins qu'il peut mettre en concurrence des responsabilités médicales qui peuvent ressortir de régimes juridiques différents (médecins de deux nationalités différentes; médecins à statut différent selon qu'il soit indépendant, salarié d'un établissement de santé privé ou agent du service public de la santé).
Selon une jurisprudence constante, les médecins sont tenus, en principe, à une obligation de moyen ( CE 1939 Mercier) .
En effet, le résultat médical étant aléatoire, le médecin n’est pas tenu de guérir un patient. Il doit cependant fournir tous les moyens nécessaires, au regard des données acquises de la science, pour tenter de guérir ou de soulager la douleur du patient.
Il en résulte qu'un médecin qui refuserait d'avoir recours à la télé médecine pourrait voir sa responsabilité engagée pour perte d'une chance du patient d'être soigné.
Si le médecin décide, au contraire, d'utiliser la télémédecine, sa responsabilité pourra également être recherchée. Les principes généraux de la responsabilité médicale s'appliqueront purement et simplement, sans que cela appelle à commentaire, dans les cas où un seul praticien intervient. C’est le cas généralement dans les actes de téléconsultation ou de télésurveillance.
La question du partage de responsabilité se pose avec plus d'acuité dans les cas d’actes de télé assistance (télé chirurgie ; télé radiologie) ou de télé expertise ( le médecin référent obtient un avis complémentaire auprès d’un ou de plusieurs médecins requis, considéré(s) comme le ou les référents au sein de la spécialité concernée par la transmission du dossier médical électronique, au niveau régional, nationale voire international, en vue d’élaborer un diagnostic ou une démarche thérapeutique) qui sont la plupart du temps un exercice collectif de la médecine.
Selon le rapport du Conseil d'Etat « réflexion sur le droit de la santé », seul le médecin requérant devrait être tenu responsable de la décision diagnostique vis-à -vis du patient. Il garderait toutefois la possibilité d’engager une action contre le médecin requis dans le cadre de la responsabilité contractuelle partagée. L’éventuelle faute du médecin requis pourra être de nature à dégager totalement ou partiellement le médecin interrogateur.
L’article 60 du code de déontologie, vient apporter un éclairage supplémentaire à la question, notamment lorsque les médecins coopérant exercent des spécialités différentes.
Il dispose que « le médecin doit proposer la consultation d’un confrère dès que les circonstances l’exigent ou accepter celle qui est demandée par le malade ou son entourage. Il doit respecter le choix du malade et, sauf objection sérieuse, l’adresser ou faire appel à tout consultant en situation régulière d’exercice…A l’issue de la consultation, le consultant informe par écrit le médecin traitant de ses constatations, conclusions et éventuelles prescriptions en en avisant le patient ».
Le fait que plusieurs médecins soient amenés à intervenir auprès d’un même patient confère à chacun d’eux « une obligation de prudence et de diligence quant au domaine de compétence du praticien avec lequel il a concouru à une intervention » (Civ. 1ère , 27 mai 1998) ainsi qu’un « droit de contrôle quant à la prescription de son confrère » (Civ 1ère , 29 mai 1984).
En conséquence et dans ce cas, les responsabilités doivent être différenciées selon les compétences de chacun.
La situation est encore différente dans le cas où un médecin généraliste demande un avis à un spécialiste.
Le médecin requis est ici sollicité pour sa compétence dans le domaine de spécialité qu’il exerce exclusivement et le médecin requérant suit les avis donnés dans sa décision diagnostique ou thérapeutique. C’est en prenant le risque de ne pas suivre les avis donnés que le médecin requérant peut voir engagé sa responsabilité. Si le diagnostic ou la démarche thérapeutique du médecin requis conduit à un dommage, c’est sa responsabilité qui devra être recherchée.
Si un spécialiste demande un avis à un confrère exerçant la même spécialité, seule la responsabilité du médecin requérant pourra être engagée puisque c’est lui qui au final prend la décision thérapeutique.
C’est la raison pour laquelle il à la faculté de se dédier en cas de désaccord profond et qu’il a l’obligation d’informer le patient des différentes options envisagée.
En effet, chaque médecin est débiteur d’une obligation d’information relative aux risques encourus afin que le patient puisse donner son consentement libre et éclairé.
Selon l’article 64 du code de déontologie, lorsque l’exercice de la médecine est collectif « tous les médecins qui collaborent à l’examen ou au traitement du patient doivent se tenir mutuellement informés, chacun des praticiens assumant ses responsabilités personnelles et veillant à l’information du patient »
Dans le cas de la télé médecine, seul le médecin requérant est, en principe, débiteur de cette information car c’est lui seul qui a en charge le patient.
Néanmoins les actions en responsabilité pour défaut d’information ne lui sont pas exclusivement réservées.
Si l’action est exercée contre ce dernier le médecin requérant doit apporter la preuve qu’il a bien informé le patient sur les risques encourus. Le juge peut aussi engager sa responsabilité du fait de son mauvais choix quant au médecin requis. Le fondement de la responsabilité est en principe contractuelle (contrat de soin).
Une action contre le médecin requis est également possible mais cette c’est au patient de rapporter la preuve que le médecin requis a commis une faute en ne l’informant pas des risque encourus. Responsabilité est délictuelle en l’absence de tout contrat de soins. Actionnée sur le fondement de l’article 1382, elle a peu de chance d’aboutir en l’absence de présomption de faute.
La CNOM recommande donc que l’exercice de la télémédecine intervienne dans le cadre d’une organisation approuvée par les instances des établissements en cause (privé ou publics), ce qui suppose un accord entre les établissements de santé pratiquant la télémédecine. Elle recommande également que l’exercice de la télémédecine fasse plus généralement l’objet d’un contrat entre les médecins requérants et requis qui devra être communiqué aux autorités ordinales territorialement compétentes et préciser les moyens permettant le respect des obligations déontologiques (clauses du contrat type élaborées par le CNOM).
Cela simplifierait la question du partage de responsabilité en instaurant un régime uniforme.
Il convint ici de rappeler que la question du fondement de responsabilité médicale variera selon statut juridique du praticien mis en cause. Ce fait n’est, en effet, pas de nature à encourager la coopération médicale entre des praticiens qui risquent plus ou moins gros selon que les liens qui les unissent au patient sont contractuels ou délictuel.
Si l’acte est réalisé entre deux établissements publics de santé, le cadre juridique est celui de l’exercice public de la médecine : la patient est usager du SP hospitalier tandis que le médecin est un agent de ce SP. Il en résulte que les EPS sont responsables des actes de télémédecine réalisés par leurs médecins sauf faute personnelle de ces derniers. Le juge administratif a conclus à la possibilité de condamnation collective solidaire des deux EPS en considérant qu’il y a dualité de faute (Ex CAA Bordeaux 12 octobre 1998).
Si l’acte de télémédecines est réalisé par deux praticiens d’un établissement de santé privé, le patient dispose, en cas de préjudice, d’une action contractuelle contre l’établissement de santé privée. Le médecin requis, étant tiers au contrat de soin, ne pourra se voir opposer qu’une action délictuelle.
Lorsque l’acte de télémédecine met en collaboration des praticiens d’un établissement public de santé avec des praticiens d’un établissement de santé privé ou des praticiens libéraux, le régime juridique à suivre est plus complexe et totalement inédit.
Il convient ici de déterminer quand s’applique le droit public ou le droit privé en fonction du statut du médecin requérant, des compétences de chacun et des actes matériels finalement pratiqués.
Lorsqu’à l’occasion de la collaboration entre médecin en exercice libéral et un médecin faisant partie d’un établissement de santé, il dommage est causé au patient, il est probable que la jurisprudence choisira de condamner l’établissement de santé pour des raisons indemnitaires, l’action récursoire n’étant pas exclue en cas de faute détachable du service.
II. La responsabilité due à l’utilisation d’outils technologiques dans la réalisation des actes de télémédecine et l’introduction d’un tiers technologique dans l’exercice de l’art médical.
La question de la responsabilité du tiers technologique (fabriquant d’outils, sous-traitants et opérateurs de télécommunication), qui participe désormais à l'acte médical, doit également être posée. Cependant, elle n’intervient que dans un temps second.
La proximité du médecin requérant du patient rend celui-ci responsable des faits du matériel.
Il existe une obligation de sécurité résultat en matière d’utilisation de matériel médical et à la connaissance des technologies utilisées (1° Civ. 1 avril 1995, Centre de transfusion sanguine de Toulouse Purpan) qui s’impose aux médecins et aux établissements de santé (ES).
Cette obligation a été renforcée à l’égard des ES privés et des médecins de statut privée.
Ainsi « le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité résultat en ce qui concerne les matériels qu’il utilise pour l’exécution d’un acte médical d’investigation ou de soin ».
Selon l’article L.5211-1 CSP le dispositif médical, c’est-à -dire le matériel utilisé, comprend le matériel utilisé dans les actes de télémédecine. Comme tout dispositif médical, il est donc soumis à l’obligation de conformité (art. L. 5211-3 CSP) et de déclaration des incidents ou risques d’incidents (art. L.5212-2 CSP).
Les dispositifs médicaux étant considérés comme des outils de diagnostic (art. L5211-1), il en résulte que le médecin requérant peut être rendu responsable en cas de défaillance du matériel si celui-ci cause un dommage au patient. Il s’agit ici d’un cas de responsabilité sans faute.
Le médecin requis
Il peut voire sa responsabilité engagée, au même titre que le médecin requérant, qu’en cas d’insuffisance de qualité dans leur prestation. Il s’agit ici d’une obligation de moyen.
L’introduction de la responsabilité des tiers technologiques.
La télémédecine implique directement les tiers technologiques dans l’accomplissement l’acte médical, ce qui créait une figure juridique nouvelle.
Les tiers technologiques sont tenus d’une obligation de sécurité résultat quant à l’utilisation de leur matériel et à la sécurité que l’on est endroit d’attendre de celui-ci.
Si l’action des patients est fondée en priorité sur le terrain contractuel à l’encontre du médecin, car il est leur interlocuteur le plus proche, ils sont en droit d’exercer une action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux à l’encontre du fabriquant da l’outil source de leur préjudice.
Dans la plupart des cas, ils exerceront une action contre le médecin. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence accorde aux praticiens une action récursoire fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux (Civ. 1 novembre 1999 : le médecin dispose d’un recours contre le fabriquant du produit ou du matériel dommageable).
En conclusion, il peut être noté que l’incertitude juridique qui accompagne l’exercice actuel de la télémédecine appelle le besoin de clarification des responsabilités engagées.
Le cadre règlementaire qui n’a pas été pensé pour la télémédecine, malgré la loi de 2004, est inadapté ;
les régimes différents de responsabilité entre le médecin requérant (contractuelle) et le médecin requis (délictuelle) empêchent la reconnaissance de la mutualisation des savoirs et de l’exercice pluridisciplinaire de la médecine.