Le 16 décembre 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne a condamné la Commission européenne pour « manquement à ses obligations » en matière de perturbateur endocrinien (PE). La Suède avait déposé une plainte le 4 juillet 2014 contre la Commission pour son inaction dans la fixation de critères de définition des PE. En effet, le règlement européen n°528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides imposait à ce que « au plus tard le 13 décembre 2013, la Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 83 en ce qui concerne la spécification des critères scientifiques pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien ».

Pourquoi une telle inertie ? Quelles conséquences pour la Commission ?

Tout d’abord, il convient de rappeler ce que sont les perturbateurs endocriniens. L’Organisation Mondiale de la Santé en 2002 en donne une définition : « Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, chez ses descendants ou au sein de (sous)- populations. Cette catégorie est divisée en deux sous- catégories : la catégorie 2a pour les perturbateurs endocriniens suspectés et la catégorie 2b pour les perturbateurs endocriniens pour les substances possédant des indications de propriétés de perturbation endocrinienne ».

Il s’agit donc de substances chimiques susceptibles d’inférer sur le système hormonal. Elles pourraient avoir des effets sur l’organisme : croissance, développement sexuel, reproduction, etc. Cependant cet effet ne serait pas direct, comme l’indique l’OMS, les perturbations seraient ressenties « chez les descendants ou au sein de (sous)-populations ».

Ces perturbateurs sont d’origine naturelle (hormones, phytoestrogènes) ou sont la conséquence d’activités humaines (Bisphénol A, pesticides, médicaments, etc.). Ainsi, ils peuvent être présents naturellement dans notre environnement ou être le résultat d’une contamination de notre environnement (eau, aliments, etc.).

La première affaire connue en matière de perturbateurs endocriniens a été révélée avec le distilbène. En effet, dans les années 1970, Arthur L Herbst, chercheur américain, fut interpelé par la recrudescence d’une forme rare de cancers gynécologiques chez des adolescentes et de jeunes adultes. Après étude, les chercheurs ont trouvé une similitude chez ces jeunes patientes : leurs mères avaient toutes pris du distilbène, un œstrogène de synthèse prescrit pour éviter les fausses couches. Un lien a donc été établit entre l’exposition du fœtus à la substance chimique et l’altération des organes reproducteurs (cancers).

Face à ce constat alertant, le règlement européen du 22 mai 2012 avait pour but d’encadrer la mise sur le marché et l’utilisation de ces substances. Il revenait à la Commission de fixer les critères de spécification des perturbateurs endocriniens avant le 13 décembre 2013, ce qu’elle n’a toujours pas fait à ce jour… On peut légitimement s’interroger sur les raisons de cette inertie de la Commission face à ce que certains qualifie de « menace mondiale ».

Officiellement, la Commission avait invoqué la nécessité de conduire une « étude d’impact » avant de définir les critères encadrants les perturbateurs afin d’évaluer les conséquences économiques d’une telle réglementation sur les entreprises. Argument jugé non-valable par la Cour de Justice indiquant qu’ « aucune disposition du règlement n’exige une telle analyse d’impact ».

Officieusement, le poids des lobbies industriels serait la raison de cette inertie. En effet, selon la journaliste indépendante Stéphanie Horel, la Commission n’aurait pris aucune mesure sous la pression des multinationales de l’agrochimie qui auraient été à l’origine de cette étude d’impact invoquée par la Commission. Deux intérêts s’opposent : la protection de l’environnement et de notre santé face aux intérêts économiques de l’industrie agrochimique.

L’arrêt de la Cour de Justice a cependant tranché : « La Commission européenne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides, en s’abstenant d’adopter des actes délégués en ce qui concerne la spécification des critères scientifiques pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien ».

Cette condamnation constitue un rappel à l’ordre pour la Commission qui est tenue d’agir « dans un délai raisonnable », sans sanction pécuniaire néanmoins. La Commission doit désormais agir pour la protection de la santé des êtres humains et des êtres vivants de manière générale sans quoi l’humanité tout entière pourrait être remise en cause…