Extension de l’obligation de notification des articles contenant une substance extrêmement préoccupante par la CJUE
Par Ashley Morais
Assistant de gestion QHSE
ANFAS Normandie
Posté le: 26/09/2015 10:56
Le règlement REACH (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) dispose que, lorsqu’une substance chimique dite « extrêmement préoccupante » pour la santé ou pour l’environnement en raison, notamment, de ses propriétés cancérogènes, mutagènes ou toxiques (CMR), est présente en une concentration supérieure à 0,1 % de la masse de cet article, le producteur ou l’importateur de l’article doit, en principe, notifier cette circonstance à ECHA. De même, tout fournisseur est tenu d’en informer le destinataire et, sur demande, le consommateur du produit. Au regard de l’obligation de notification et d’information que fait peser le règlement sur le producteur ou l’importateur, la Commission aux États membres ainsi que l’ECHA sont venus préciser le champ d’application de ces obligations. En 2011, une note adressée par la Commission aux États membres ainsi qu’un guide publié par l’ECHA ont apporté des précisions sur l’application du règlement en ce qui concerne les SVHC contenues dans des articles. Ils ont déterminé que s’agissant des articles incorporés dans des produits, les obligations de notification et d’information mentionnées par le règlement ne s’appliquent que si la concentration d’une substance extrêmement préoccupante dépasse 0,1 % dans le produit tout entier.
La France ainsi que 5 autres Etats c’est-à-dire l’Allemagne, la Suède, la Belgique, le Danemark et la Norvège ont estimé que le seuil de 0,1% s’applique à chaque composant d’un produit complexe contrairement à l’ECHA et la Commission aux États membres. En effet, selon la France, les instructions incluses dans les documents de l’ECHA et la Commission n’assurent pas un niveau assez élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, les autorités françaises ont donc émis un avis qui considère que la notion d’article s’étend à chaque objet répondant à la définition d’article aux sens du règlement.
La fédération des entreprises du commerce et de la distribution et la fédération des magasins de bricolage et de l'aménagement de la maison ont saisi le Conseil d’État d’un recours à l’encontre de cet avis en soutenant que celui-ci n’était pas conforme au règlement tel qu’interprété par la note de la Commission et par le guide de l’ECHA. Cette saisine des fédérations professionnelles étant logique dans la mesure ou la France fait peser sur les importateurs ou producteurs de ces articles des obligations de notification et d’information plus lourde que dans les autres pays de l’Union Européenne.
Le Conseil d’État, au regard de la complexité de la question, est venue poser une question préjudicielle à la CJUE afin de savoir si, pour un produit complexe c’est à dire composé lui-même de plusieurs articles, le seuil de concentration de 0,1 % masse/masse doit être établi par rapport à la masse totale de ce produit, ou par rapport à la masse de chaque composant.
La CJUE dans son arrêt du 10 septembre 2015 (affaire C-106/14) donne des précisions sur le champ d'application de la notification des substances contenues dans des articles (article 7, paragraphe 2), sur les obligations d’informations (article 33) et sur la façon dont il convient d'interpréter la limite de concentration (0,1 % m/m). Conformément à cet arrêt, ces obligations s'appliquent également aux articles contenus dans des produits complexes, aussi longtemps que ces articles conservent une forme, une surface ou un dessin particulier ou qu'ils ne deviennent pas des déchets. La Cour de justice consacre donc la position de la France et des 5 autres Etats.
La Cour revient tout d’abord sur la notion d’article du règlement REACH qui est « un objet auquel sont donnés, au cours du processus de fabrication, une forme, une surface ou un dessin particuliers qui sont plus déterminants pour sa fonction que sa composition chimique ». Selon ce même règlement aucune disposition régis de manière spécifique la situation d’un produit complexe contenant plusieurs articles. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre la situation des articles incorporés en tant que composant d’un produit complexe et celle des articles qui se présentent de manière isolée. De ce constat, la Cour estime que chacun des articles incorporés en tant que composant d’un produit complexe relèvent des obligations de notification et d’information en cause, lorsqu’ils contiennent une substance extrêmement préoccupante dans une concentration supérieure à 0,1 % de leur masse. Il convient de revenir sur ces deux obligations qui incombent aux producteurs et importateurs.
La notification de substances contenues dans des articles est exigée des producteurs et importateurs lorsque toutes les conditions de l’article 7, paragraphe 2 sont remplies:
- La substance est inscrite sur liste des substances candidates à l'autorisation ;
- La substance est présente dans des articles produits et/ou importés dans une concentration supérieure à 0,1 % (m/m) ;
- La quantité totale de substance présente dans tous les articles produits et/ou importés, qui contiennent plus de 0,1 % (m/m) de la substance, est supérieure à 1 tonne par acteur par an.
La CJUE précise que l’obligation de notification qui incombe au producteur ne concerne que les articles dont il assure lui-même la fabrication ou l’assemblage. En ce qui concerne l’importateur d’un produit complexe est considéré comme l’importateur de chaque article qui le compose. Il doit donc déterminer pour chaque article si une SVHC est présente dans une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse de cet article.
L’objectif de l’article 33 est d’assurer qu’une quantité suffisante d’informations soit transmise en aval de la chaîne d’approvisionnement pour permettre l'utilisation sans risque des articles. Un fournisseur d'articles contenant une substance SVHC inscrite sur la liste des substances candidates à l'autorisation dans une concentration supérieure à 0,1 % (m/m) doit fournir aux destinataires de ces articles les informations dont ils disposent concernant l'utilisation en toute sécurité de cette substance. Si aucune information particulière n'est requise pour permettre l'utilisation en toute sécurité de cet article contenant une substance de la liste des substances candidates, il y a lieu de communiquer au moins le nom de la substance en question aux destinataires. L'information doit être fournie automatiquement aux destinataires, c'est-à-dire dès que la substance a été inscrite sur la liste des substances candidates. On notera que le terme «destinataires» recouvre les utilisateurs industriels/professionnels et les distributeurs, mais pas les consommateurs.
Sur demande d'un consommateur, le même fournisseur d'articles doit fournir également à ce consommateur les informations de sécurité pertinentes dont il dispose (article 33, paragraphe 2). Si aucune information particulière n'est requise pour permettre l'utilisation en toute sécurité de cet article, il y a lieu de communiquer au moins le nom de la substance en question au consommateur. Le consommateur doit recevoir les informations gratuitement, dans un délai de 45 jours de calendrier à compter de la réception de la demande. Il convient également de noter qu'un détaillant qui fournit des articles, par exemple, ne se conforme pas à cette obligation simplement en renvoyant le consommateur à son propre fournisseur, ou au producteur des articles.
La Cour constate que l’obligation d’information à l’égard des destinataires et des consommateurs du produit ne se limite pas aux producteurs et aux importateurs mais incombe à toute personne appartenant à la chaîne d’approvisionnement dès lors que cette personne met un article à la disposition d’un tiers. Il appartient donc à cette personne, en qualité de fournisseur d’un produit, dont l’un ou plusieurs des articles qui le composent contiennent une substance extrêmement préoccupante dans une concentration supérieure à 0,1 %, de s’acquitter de l’obligation d’information et de communiquer au destinataire ou au consommateur du produit au moins le nom de la substance en cause.
La CJUE dans cet arrêt, alourdie l’obligation de notification qui pèse sur le producteur et l’importateur ainsi que l’obligation d’information qui s’étend à toute personne appartenant à la chaîne d’approvisionnement dès lors que cette personne met un article à la disposition d’un tiers. De plus ces obligations s’appliquent à chacun des composants d’un produit complexe. La position de la France et des 5 autres Etats est donc consacrée afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.
Sources :
- Arrêt de la de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 septembre 2015, affaire C-106/14 ; (http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=167286&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1072601)
- Communiqué de presse n°100/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 septembre 2015 suite à l’arrêt dans l'affaire C-106/14. (http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-09/cp150100fr.pdf)
- Le guide publié par l’ECHA sur les « exigences applicables aux substances contenues dans des articles » du 1er avril 2011, prochainement mis à jour suite à l’affaire C-106/14. (http://echa.europa.eu/documents/10162/13632/articles_fr.pdf)