C’est tout à fait flagrant dans la dernière réforme du droit de l’eau : la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 . Renonçant à une refonte de cet édifice pourtant critiqué pour son manque de cohérence, le législateur vient ainsi de réformer le droit de l’eau par petites touches pointillistes, corrigeant les dispositions les plus controversées ou comblant les manques les plus criants. Une partie de la doctrine a d’ailleurs sévèrement critiqué ce manque d’envergure de la loi. R. ROMI la qualifie ainsi de « patchwork impressionnant pour une ambition réduite » , Y. JEGOUZEAU la trouve « verbeuse… une addition de mesures disparates d'une importance très variable », d’autres moins sévères évoquent une loi placée « entre volontarisme et renoncements » ou « entre atermoiements et renoncements » ; pour d'autres plus optimistes il s'agit d'une loi à la croisée « d'impatients espoirs ou doutes résignés » . Le moins que l’on puisse dire est que cette loi, née dans la douleur après une genèse interminable –il aura fallu plus de huit années de débats parlementaires et l’abandon d’un précédent projet pour que l'on vienne à bout de cette réforme–, ne suscite pas l’enthousiasme.

Contrairement à ses prédécesseurs , ce texte balaie l’ensemble du droit de l’eau sans une grande orientation directrice. Sans dresser une liste exhaustive, on peut en rappeler quelques points essentiels : il touche à la fois aux institutions (création de l’ONEMA, réforme des comités de bassin), aux instruments de planification et instruments financiers (réforme des SDAGE et SAGE, réforme des redevances des agences de l’eau), à la police de l'eau (notamment la lutte contre les pollutions agricoles) ainsi qu’à la réglementation applicable à certains de ses usages, notamment les services d’eau et d’assainissement.

Parmi ces nouveautés, nous nous concentrerons sur celles relatives à un usage spécifique de la ressource en eau : l’approvisionnement en eau via les réseaux publics ; ce qu’on peut commodément nommer fourniture d’eau. Fournir de l’eau à une population est en effet un processus complexe qui part de la découverte d’une ressource exploitable, nécessite la mobilisation de celle-ci (captage), un stade de traitement si –comme c'est le cas le plus fréquent, la qualité naturelle de l'eau s'oppose à son utilisation à l'état brut–, son transport (adduction), sa distribution (réseau public, plomberie domestique), pour aboutir enfin à sa consommation.

Différentes dispositions de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques sont relatives à cet usage particulier. Souffrant du manque général de cohésion de cette réforme, on les retrouve éparpillées au fil du texte. Cet éclatement s’explique en outre par la complexité du process de fourniture qui au gré de ses différentes étapes –de la ressource brute captée dans la nature au service fourni au consommateur– mobilise des aspects variés du droit de l’eau. Nous avons décidé d’étudier ces nouvelles mesures en regroupant d’après leur nature et non leur objet, selon qu’elles nous semblent plutôt des mesures de principe ou plutôt d’ordre technique. En effet, à l’image de l’ensemble de ce travail législatif, les mesures relatives à l’approvisionnement sont si disparates, en concernent des aspects si divers, qu’il est difficile de les organiser selon une thématique plus notionnelle. Par ailleurs, évitant l’écueil de vouloir traiter toute disposition ayant un lien avec cette fourniture, nous nous limiterons à celles la concernant directement. Nous laisserons ainsi de coté les mesures relatives à la ressource, au produit brut (planification, police), bien que nous considérions qu’elles jouent un rôle essentiel dans cette activité car la qualité du produit brut conditionne celle du produit fourni ainsi que le coût de la fourniture.

I. Les mesures de principe

Celles-ci concernent deux aspects de la fourniture d’eau : l’eau/ressource et l’eau/objet de services. La loi pose en ce deux domaine de grands principes qui font preuve d’un réel volontarisme juridique, d’une vision particulière de la politique de l’eau. Deux avancées nous semblent particulièrement importantes : l’affirmation d’un droit à l’eau, la consécration de la nature de service public des services d’eau.
A) L’eau ressource
L’eau possède –outre son évidente valeur environnementale– une valeur à la fois économique, sociale, sanitaire. En effet, l’eau n’est pas seulement une ressource naturelle mais une ressource sociale et sanitaire, un élément fondamental de la vie et de l’activité de chaque individu. Elle est plus précisément une ressource essentielle à laquelle on doit garantir pour tous un accès à des conditions à la fois sanitaires et économiques acceptables. C’est à deux reprises que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques reconnaît et affirme comme prioritaire de fournir de l’eau à la population.

Cela se décline, sur un plan général, par l’affirmation d’un droit à l’eau et, sur un plan plus particulier, par une hiérarchisation des usages et la reconnaissance du caractère primordial de l’usage qui nous occupe ici : la fourniture.
1) L’affirmation d’un droit à l’eau
Selon H. SMETS, infatigable promoteur du droit à l’eau, il peut être défini comme « le droit pour toute personne, quel que soit son niveau économique, de disposer d’une quantité minimale d’eau de bonne qualité qui soit suffisante pour la vie et la santé » . Malgré une reconnaissance internationale déjà ancienne sa consécration en droit interne tardait. Le projet de loi présenté au parlement ne contenait d’ailleurs pas de référence à un droit à l’eau et c’est seulement lors de la deuxième lecture au Sénat qu’il a été intégré au texte. Sur proposition de Mme N. OLIN, alors Ministre de l'écologie et du développement durable, a été inscrit dans la loi, à l'unanimité moins une abstention, le droit à l'eau, tel que défini en mars à Mexico lors du IVe Forum mondial de l'eau. Le nouvel alinéa 2 de article L 210-1 du Code de l'environnement dispose ainsi désormais que « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Il s’agit d’un droit à visée sociale, d’un droit « de base ». Son champ d’application est très large quant aux personnes visées puisqu’il vise chaque personne physique et non pas seulement chaque abonné au service de l’eau. En revanche, il est relativement restreint quant aux usages concernés. Il ne donne en aucun cas un accès illimité et gratuit à l’eau. Il ne vise que l’accès à une quantité minimale d’eau potable destinée à la satisfaction des besoins essentiels : alimentation et hygiène. Si l’on examine les conditions de réalisation de ce droit, on peut déduire de ces dispositions que cette eau potable ne doit pas être inaccessible c'est-à-dire des points d’approvisionnement trop éloignés et son prix ne doit pas être déraisonnable. Le texte précise en effet que l’eau doit être accessible « dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Cet article constitue une étape majeure dans la reconnaissance d’un droit à l’eau. Toutefois, faute à ce jour de texte d’application, il s’agit d’une étape encore fortement symbolique.

Une partie de la doctrine critique d’ailleurs cette acception limitative du droit à l’eau ou encore s’interroge sur ses modalités d’application . La formulation même du texte comprend des réserves ce qui limite son effectivité. Le législateur a en effet pris soin de préciser que ce droit n’existe que « dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis » ; formulation prudente de nature à vider ce droit de toute véritable substance en le privant de ce qui le rend efficace : son opposabilité. Par conséquent, ce nouveau droit ne remet pas en causes les dispositions en vigueur dans le Code général des collectivités territoriales, le Code de l’urbanisme ou le Code de la santé publique ou le Code de l'environnement. Leurs dispositions relatives au raccordement, à l’alimentation en eau des constructions nouvelles, aux principes applicables à la facturation, même si elles semblent de nature à limiter notablement l’accès à cette ressource demeurent inchangées.

Mais surtout, ce texte ne fait pas du droit à l’eau un droit directement opposable car aucune autorité n’a été désignée pour le mettre en œuvre et il ne prévoit aucune mesure concrète destinée à son application Sa portée risque donc de demeurer limitée. A ce jour, faute de mesure d’application, son effectivité dépend totalement du bon vouloir des communes et des collectivités territoriales.

2) La hiérarchisation des usages et la reconnaissance du caractère primordial de l’approvisionnement

La loi du 3 janvier 1992 énonce dans son article premier « L'usage de l'eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements, ainsi que des droits antérieurement établis ». Cette déclaration signifie que les multiples usages de l'eau, sont tous légitimes dès lors que légalement exercés. Ce texte fondateur décline ensuite les modalités d’application de ce principe en imposant une gestion équilibrée de la ressource et évoquant les différents usages de l’eau : alimentation en eau de la population, industrie, agriculture, pêche, production d'énergie, transports, tourisme, loisirs et sports nautiques…La réforme intervenue en 2006 n’a pas altéré ce principe au contraire, elle l’a renforcé en ajoutant au critère équilibré de la gestion, sa durabilité. En revanche, elle a apporté une nouveauté intéressante : la hiérarchisation des usages.

En effet, les usages cités par la loi dans cette énumération non limitative étaient situés sur un même plan et c’est au juge saisi d’un éventuel conflit entre ces usages que revenait le devoir de décider, en fonction de l’intérêt général, lequel devait primer sur l’autre. La nouvelle loi sur l'eau et les milieux aquatiques lui offre désormais un fondement textuel pour faire prédominer l’approvisionnement de la population sur les autres usages.

Elle reconnaît et affirme en effet de façon tout à fait expresse et explicite en réformant l’article L 211-1 du Code de l'environnement le caractère prioritaire de la fourniture d’eau à la population. Son II dispose désormais que «La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population ». Ces dispositions nouvelles ne laissent aucun doute sur l’importance que le législateur accorde à l’alimentation en eau de la population. Dans des temps où une gestion de la rareté s’impose, cet usage est expressément reconnu comme primordial.

B) L’eau objet de services

Comme le remarque L. RICHER, « dans l'ensemble, les dispositions sur les services publics d'eau et d'assainissement (art. 50 à 67 de la loi) relèvent plus de la gestion du droit existant que de la réforme. Dans de très nombreux cas, le Parlement a été à la remorque du juge » . Certes, cette démarche laisse « peu de place à l'innovation » , néanmoins cette volonté de donner une assise solide au régime des service d’eau en inscrivant dans la loi des principes déjà consacrés par la jurisprudence s’explique bien sur par un désir de sécurité juridique mais surtout par une volonté d’affirmer une certaine vision de cette activité : un service public, un service public communal, un service public industriel et commercial.

En effet, au regard de l’importance déjà établie et toujours croissante de la gestion privée et de l’application des règles de droit privé dans le domaine de l’eau, se pose la question de savoir si cette activité correspond toujours à la notion même de service public. Le législateur, conscient de l’attachement très fort, presque affectif –de la doctrine autant que du public– à cette qualification et convaincu de la nature d’intérêt général que revêt cette activité, a décidé par une impérative manifestation de volonté de faire obstacle à toute velléité de remise en cause. La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 affirme ainsi clairement la nature de service public des services des eaux et, par ce choix express, met ainsi fin, en droit positif du moins, à toute discussion sur cette qualification. Ce texte apporte également des précisions importantes sur la nature de ce service : il s’agit d’un service public industriel et commercial, il s’agit d’un service public industriel et commercial communal.

1) Identification des services d’eau et affirmation de leur nature de service public

La nouvelle loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 met fin à toute ambiguïté en ce domaine. Est ainsi inséré dans le Code général des collectivités territoriales un nouvel article L 2224 7-I énonçant que « tout service assurant tout ou partie de la production par captage ou pompage, de la protection du point de prélèvement, du traitement, du transport, du stockage et de la distribution d'eau destinée à la consommation humaine est un service d'eau potable ».

Le choix de cette formulation est étonnant car, si les composantes du service sont parfaitement décrites, les termes de service public ne sont pas employés, le texte se contentant d’indiquer qu’il s’agit d’un « service d’eau potable » ce qui finalement n’apporte rien à la discussion sur la nature de service public de cette activité, si ce n’est la reconnaissance de la possibilité d’exercer de façon autonome les différentes étapes de la fourniture, chacune relevant de cette qualification assez neutre. Cette divisibilité, questionnée par une partie de la doctrine mais déjà reconnue par la jurisprudence est dorénavant confortée par la loi ce qui nous semble pertinent. En effet, si nous reconnaissons la qualité de service public à l’ensemble du processus de fourniture d’eau, nous estimons qu’il est possible d’isoler en son sein différentes étapes dont la compétence peut relever de services autonomes ; ce qui correspond d’ailleurs souvent à la pratique, les activités de captage et de production étant souvent distinctes, sur un même territoire, de celles de distribution.

Nous estimons en revanche surprenant et même regrettable que le législateur ait décidé dans une formulation pour le moins confuse de définir les services de l’eau en leur accolant le terme potable. Celui-ci ne renvoie pas à une qualification juridique précise. Etymologiquement ce terme signifie « qui peut être bu ». Or, l’approvisionnement en eau ne se limite pas aux eaux de boisson.

Il s’agit sans doute d’une confirmation de la nature de service public de ce service, mais c’est presque une confirmation à demi-mot. Et, il faut attendre le 9e alinea de ce même article pour trouver une affirmation expresse de cette nature ; ce texte indiquant que l’article L 2224-11 du Code général des collectivités territoriales est désormais ainsi rédigé : « les services publics d'eau et d'assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial ».

Ces dispositions règlent ainsi définitivement la question de la nature de ce service mais elles apportent également des précisions importantes sur sa nature de service public industriel et commercial communal.
2) Affirmation de la compétence communale
Ainsi que l’évoque J.-F. AUBY, « l'essentiel des services publics locaux se sont développés, en France, non sur le fondement de textes attribuant à telle ou telle collectivité territoriale la responsabilité de les organiser, mais sur des situations de fait » . C’est parfaitement le cas en ce qui concerne les services d’eau. Leur nature locale se justifie pour des raisons à la fois techniques et historiques et, en pratique, les services de distribution d'eau potable sont presque toujours communaux ou intercommunaux. Et, en l’absence de texte, cette activité a traditionnellement été reconnue, par la doctrine et la jurisprudence, comme une compétence communale à quelques exceptions près . La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 vient formaliser cet état de fait et consacre la compétence communale.

Son apport essentiel est d’en préciser l’étendue. Après avoir identifié les services d'eau potable, l’article 54 de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (nouvel article L. 2224-7-1 du Code général des collectivités territoriales) pose le principe de la compétence communale en ce domaine tout en distinguant les activités concernées. Il affirme ainsi : « Les communes sont compétentes en matière de distribution d'eau potable. Dans ce cadre, elles arrêtent un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution. Elles peuvent également assurer la production d'eau potable, ainsi que son transport et son stockage ».

Parmi les différentes composantes de l’activité de fourniture (captage, traitement…), l’une d’elles est isolée : la distribution. Il ressort de ces dispositions que les communes ont une compétence exclusive s’agissant de la distribution de l’eau. On peut en outre noter qu’en relation directe avec cette compétence exclusive, cette loi met à leur charge une obligation subséquente : arrêter un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau. Ce texte leur permet également d'assurer la production d'eau potable, ainsi que son transport et son stockage mais cela apparaît comme une simple possibilité, d’autres acteurs pouvant être compétents .

Malgré cette reconnaissance, on doit souligner que ce service demeure facultatif pour les communes. Ce texte donne en effet compétence exclusive aux communes pour la distribution sans toutefois leur imposer de mettre en place un tel service. On peut également s’appuyer sur le fait que les dépenses y afférentes ne figurent pas dans la liste des dépenses obligatoires pour les communes mentionnées dans l’article L 2321-2 du Code général des collectivités territoriales. De cette absence d’obligation légale découle la possibilité pour les communes de continuer à refuser le raccordement réclamé par un usager .
3) Reconnaissance du caractère de service public industriel et commercial des services d’eau

La spécificité essentielle du régime des services publics industriels et commerciaux tient à la place conséquente qu’y occupe le droit privé. Les rapports entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers sont reconnus comme des rapports de droit privés et les litiges s’y rattachant sont par conséquent soumis au juge judiciaire. La qualification de service public industriel et commercial emporte également l’application de règles de fond concernant la gestion du service . Si certains services publics industriels et commerciaux connexes étaient clairement identifiés comme tels par les textes (ainsi pour l’assainissement, l’article L 2224-11 du Code général des collectivités territoriales), longtemps, ce ne fut pas le cas pour la fourniture d’eau. Des éléments permettaient toutefois de se prononcer en ce sens et une jurisprudence quasi unanime validait cette qualification .

Cette affirmation de principe présente le double avantage d’asseoir indirectement, mais certainement, une qualification de service public déjà bien établie mais surtout de sécuriser la jurisprudence quant à la nature de ce service public.

II. Les mesures techniques

Là encore, ces mesures sont diverses et concernent à la fois les services d’eau, les collectivités, les usagers. Toutefois, on peut les regrouper selon leur finalité : favoriser la transparence, la concurrence ou encore la protection de l’environnement. Chacun de ces objectifs étant suivi avec plus ou moins d’intensité.

A) Plus de transparence

Comme le souligne J.-B. AUBY, « la transparence des activités des acteurs de l’eau est en train de se développer. Il y a une évolution de la conception de service public ou encore de l’idée de gouvernance » . Cette évolution s’est déjà traduite dans une mesure phare : l’obligation de publier un rapport annuel sur le prix et la qualité du service de l’eau imposé par l’article L 2224-5 du Code général des collectivités territoriales , obligation renforcée en cas de délégation de service public . La loi sur l'eau et les milieux aquatiques s’inscrit tout à fait dans cette démarche et vient simplement l’appuyer en imposant une plus grande transparence tant à l'égard des communes que des usagers.

1) Transparence dans les relations avec les abonnés

On peut dire que, pour ce qui concerne ce texte, l’obligation d’information de l’usager est relayée par celle de l’abonné. La loi sur l'eau et les milieux aquatiques améliore en effet le contenu et la diffusion du règlement de service. Les communes et groupements doivent établir, pour chaque service d'eau ou d'assainissement dont ils sont responsables, ce règlement définissant, « en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l'exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires ». Elle oblige en outre l'exploitant à le remettre à chaque abonné et rendre compte au maire ou au président du groupement des modalités et de l'effectivité de sa diffusion (art. L. 2224-12 Code général des collectivités territoriales).

2) Transparence dans les délégations de service public
S’agissant des délégations de service public, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques vient renforcer la transparence quant aux informations d’ordre patrimonial.

Ainsi, en cas de délégation du service public d'eau, le délégataire doit rendre compte chaque année de l'exécution de l'éventuel programme prévisionnel de renouvellements et de grosses réparations à caractère patrimonial (article L. 2224-11-3 du Code général des collectivités territoriales). Et le cas échéant, il doit verser au budget du délégant une somme correspondant au montant des travaux stipulés au programme prévisionnel et non exécutés.

La loi impose également au délégataire de fournir toute une série d’informations d’ordre patrimonial et technique avant l'échéance du contrat (article L. 2224-11-4 du Code général des collectivités territoriales). Mais ces dispositions, si elles relèvent indubitablement d’un souci de transparence, ont surtout pour but de favoriser la concurrence en fin de contrat.
B) Plus de concurrence
Le législateur a adopté un ensemble de mesures techniques concernant aussi bien les délégations de service public que la gestion directe ou les regroupements intercommunaux dont la ligne directrice est de stimuler la concurrence. Il nous semble que son but, s’il n’est pas formellement exprimé, est clairement de favoriser l’éventuel passage d’un mode de gestion à un autre. Le législateur a en effet adopté toute une série de mesures destinées à contrer l’hégémonie des distributeurs privés et à susciter un renouveau de l’offre de gestion, en gommant les inégalités entre les formes de gestion et en revitalisant la gestion publique.

Le nouvel article L 2224-11-4 du Code général des collectivités territoriales dispose ainsi que le contrat de délégation de service public impose au délégataire, en fin de contrat, l’établissement d’un inventaire du patrimoine de délégant. Et, dans le but de favoriser le libre choix de la collectivité, ce même texte impose au délégataire, dix-huit moins au moins avant l’échéance du contrat, la remise au délégant d’indispensables supports techniques tels que les fichiers informatiques des abonnés nécessaires à la facturation de l’eau ainsi que les plans des réseaux. Cette mesure a pour finalité de stimuler la concurrence à l’échéance des délégations en évitant toute rétention d’information de la part du titulaire du contrat (pratique qui renforçait tellement la « prime au sortant » qu’elle rendait quasi-inévitable un renouvellement de la délégation).

Toutefois, l’obstacle majeur au changement de mode de gestion a longtemps été à caractère financier. En effet, les règles budgétaires et de la comptabilité publique s’imposant aux services gérés directement par les collectivités ne leur permettaient que le financement des investissements déjà inscrits au budget, dans le strict respect du principe d’équilibre ; ces règles interdisaient aux collectivités locales de réaliser des revalorisations de leurs amortissements et des provisions pour le renouvellement de leurs infrastructures. De nombreuses régies se trouvaient ainsi dans l’incapacité de couvrir les coûts liés à l’extension voire au simple maintien de leur outil de production. La nouvelle loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 lève cette contrainte. Le nouvel article L 2224-11-1 du Code général des collectivités territoriales dispose ainsi que la section d'investissement du budget de la commune peut être votée en excédent afin de permettre les travaux d'extension ou d'amélioration des services prévus par le conseil municipal dans le cadre d'une programmation pluriannuelle. Ce texte supprime en effet l’inégalité entre secteur public et privé en permettant aux communes d’appliquer, en matière d’amortissement et de provision, les mêmes principes comptables que les entreprises privées ; ce qui pourrait avoir pour conséquence de relancer la gestion directe en ce domaine. Il est à rapprocher des dispositions de ce même texte, adoptées en réaction à une jurisprudence du Conseil d'état validant les pratiques d’un département subventionnant les communes optant pour un retour à la gestion publique , et destinées à imposer un libre choix du mode de gestion du service en interdisant toute forme d’incitation financière en ce domaine (L. 2224-11-5 du Code général des collectivités territoriales).

La loi sur l'eau a également adopté des dispositions visant à faciliter le regroupement de structures et concernant les syndicats mixtes . Cette prise de position du législateur, adoptée en réaction à la jurisprudence suscitée par l’hostilité des distributeurs privés aux velléités d’extension du puissant Syndicat des eaux du Nord , va permettre à ces structures de développer leur activité car celles-ci ont les plus grandes difficultés à sortir de leur compétence territoriale. L’avis du Conseil d'état du 8 novembre 2000 Jean-Louis Bernard consultants déclarant qu'il n'y a aucun obstacle juridique à ce qu'un établissement public participe à un appel d'offres n'a, à cet égard, apporté aucune solution. Dès lors, elles n’ont qu’une autre possibilité : susciter l'adhésion de nouvelles communes ou de nouveaux syndicats.

En adoptant cette série de mesures techniques, le législateur semble ainsi désireux de permettre le développement d’une offre alternative face à l’hégémonie du secteur privé dans la distribution d’eau.

C) Pas suffisamment d’écologie

L'expression « prix de l’eau » est inexacte. La facture rémunère en réalité un ensemble de prestations : tous les travaux nécessaires pour la capter, la pomper, la purifier, l'amener jusqu'aux habitations, et enfin la nettoyer de ses salissures domestiques et la rendre au milieu naturel. Le prix de l’alimentation en eau est même une composante minoritaire .

Si on décompose ce tarif on trouve deux grandes catégories de dépenses : le prix de l’alimentation en eau (qui intègre à la fois des éléments proportionnels au volume distribué et des charges fixes) ainsi que les redevances et taxes. La loi sur l'eau et les milieux aquatiques apporte des nouveautés dans chacun de ces domaines ; essentiellement pour respecter les exigences européennes imposées par la directive cadre du 23 octobre 2000 . On doit pourtant souligner que ces mesures restent bien en deçà des ambitieux objectifs affichés par ce texte . La réforme ne permet en effet qu’une mise en œuvre partielle de la tarification au coût réel et de leur répartition par secteurs, éléments essentiels de la politique de l’eau développée par l’Europe.

1) Le prix de l’alimentation en eau

Un principe a été posé par la loi du 3 janvier 1992, celui de la facturation de la consommation réelle. Ce régime a mis fin au régime du « tout forfait », parfois utilisé pour la facturation de l'eau (celui-ci favorisait une déresponsabilisation des consommateurs et des gaspillages de la ressource) et prône une tarification binôme . Le choix de cette tarification liée à la consommation manifeste une volonté de faire supporter par l’utilisateur les coûts liés au service qu’il reçoit et correspond à la notion d’instrument économique au service de l’environnement telle que les instances européennes la conçoivent. La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 reprend ce principe de la tarification binôme et l’intègre au Code général des collectivités territoriales dans l’article L. 2224-12-4. – I . Ce texte apporte toutefois quelques modifications au régime en vigueur jusqu’alors. Si l’encadrement de la partie fixe ou la tarification sociale nous semble des évolutions positives, les exceptions qu’il prévoit à la tarification binôme nous semblent aussi difficilement explicables que contestables.

Ce texte prévoit en effet un encadrement légal de la partie fixe . Jusqu’alors, sa fixation était libre et cela a mené à des abus, certaines collectivités imposant une partie fixe pouvant aller jusqu’à 90% du montant de la facture, réintroduisant ainsi indirectement le système du forfait. Seule la jurisprudence judicaire avait jusqu’à présent imposé un certain contrôle : le distributeur d'eau étant selon la Cour de cassation tenu de donner justification des charges fixes du service, par exemple la redevance d'abonnement . Cette évolution nous semble tout à fait opportune sur le plan économique comme environnemental.

En revanche, une autre mesure concernant la tarification nous semble tout à fait contestable. Ce texte introduit ainsi dans le Code général des collectivités territoriales un article L 2224-12-4 - I prévoyant qu’ « à titre exceptionnel, lorsque la ressource en eau est abondante et qu'un nombre limité d'usagers est raccordé au réseau, le représentant de l'Etat dans le département peut… autoriser une tarification ne comportant pas de terme proportionnel au volume d'eau consommé ». Il s’agit indéniablement d’une restauration inavouée du système du forfait et l’on peut s’interroger sur les motivations du législateur à entreprendre un tel retour à des pratiques contestables et qui plus est tout à fait contraires aux principes animant la directive cadre…

Ce texte prévoit une autre possibilité d’aménagement de la tarification reposant cette fois sur des motifs sociaux et proposant d’aménager le principe d’une tarification progressive au volume consommé . Cette atténuation nous semble opportune et correspond aux exceptions prévues par le texte européen, comme à ses exigences environnementales. L’instauration d’une facturation progressive manifeste en effet la prise en considération d’une réflexion sur le renforcement de la dimension sociale du service public de l'eau, sans compromettre la protection de la ressource . Cependant, cette intention louable est aussitôt compromise par l’adoption de dispositions complémentaires permettant l’adoption d’un tarif dégressif, favorisant cette fois les plus gros consommateurs .

C’est, selon nous, une politique contradictoire qui ne donne pas un signal clair aux utilisateurs de l’eau. En effet, la restauration du forfait et la possibilité d’adopter une tarification dégressive, encouragent les gaspillages et favorisent les gros consommateurs d’eau. Même s’ils sont strictement encadrés, ils constituent une régression certaine de la politique de tarification et une violation patente des principes européens sus-évoqués.

Ces mesures sont donc loin de suffire pour imposer une récupération intégrale des coûts comme l’impose le droit européen. La carence est encore plus flagrante s’agissant de leur répartition par secteur.
2) Les redevances
Selon la vision développée par les instances européennes, la tarification, pour refléter le coût réel de l’eau fournie doit remplir deux conditions : être intégrale et se faire par secteur d’activité (en distinguant au minimum industrie, ménages, agriculture).

En France, l’instauration d’une stricte répartition par secteur bouleverserait un système traditionnellement fondé sur des mécanismes de péréquation et de solidarité. Une péréquation s’exerce notamment, à l’échelle du bassin hydrographique, entre les ménages et l’industrie d’une part, les agriculteurs d’autre part. Ces derniers ne paient qu’une partie des coûts réels d’usage et d’assainissement de l’eau. La France pratique en effet une solidarité par bassin qui est notoirement « biaisée » au profit du monde agricole . Le rapport FLORY consacré à l’étude des redevances des Agences de l’eau souligne cette inégalité entre usagers de l’eau .
Sans prôner pour une application « aveugle » du principe de récupération des coûts par secteur, consciente des arbitrages délicats à pratiquer en ce domaine, nous estimons toutefois qu’un rééquilibrage, entre le « monde agricole » et le « monde des collectivités » doit s’opérer, essentiellement d’ailleurs dans le domaine de la lutte contre la pollution. Toutefois, bien que cet état de fait soit depuis longtemps décrié, il probable que les changements seront difficiles à mettre en place et le législateur n’intervenant ici que fort lentement et avec une grande circonspection.

La loi réformant la politique de l’eau fait ainsi preuve d’une grande prudence et ne prévoit pas de changement fondamental de cette organisation. Ce texte énumère sept sortes de redevances : redevances pour pollution de l'eau –pollutions d’origine domestique et non domestique–, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvements sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacles sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique. Certaines sont de type « pollueur-payeur », d’autres sont des redevances dites « bénéficiaire ».

Tous ces prélèvements sont loin d’être nouveaux. Tout d'abord, deux d'entre eux sont la reprise, moyennant diverses modifications des redevances antérieures : la redevance pollution (article L. 213-10-2 et 3 du Code de l'environnement) et la redevance prélèvement (article L. 213-10-9 du Code de l'environnement). Ensuite, trois redevances sont d’artificielles créations. La redevance pollutions diffuses (article L. 213-10-8 du Code de l’environnement) qui pèse sur les produits antiparasitaires à usage agricole, remplace l'ancienne TGAP phytosanitaire. La redevance protection du milieu aquatique (L. 213-10-12 du Code de l'environnement), est la reprise, avec un allégement de son montant global, de l'ancienne taxe piscicole. Quant à la redevance pour modernisation des réseaux de collecte (L. 213-10-5 du Code de l'environnement), elle était partiellement présente dans le système antérieur, avec la modulation de la redevance pollution domestique grâce au coefficient de collecte. En définitive deux redevances seulement sont de réelles innovations. Il s'agit d'une part de la redevance pour stockage de l'eau en période d'étiage (article L. 213-10-10 du Code de l'environnement), et d'autre part de la redevance pour obstacles sur les cours d'eau (article L. 213-10-11 du Code de l’environnement).

Cette réforme, malgré son manque d’ampleur, a cependant le mérite de simplifier notablement le dispositif existant, celui-ci ayant régulièrement été dénoncé pour sa complexité et son opacité. Si une simplification constitue un indéniable progrès, ce texte est loin de répondre aux exigences européennes précitées : application du principe pollueur-payeur et récupération des coûts par secteurs. Cela se traduit clairement si on examine en détail les principales redevances : celles applicables aux pollutions et prélèvements.

Ainsi, s’agissant des redevances pour pollution non domestiques, en particulier dans leurs aspects spécifiques au monde agricole, l’application du principe pollueur-payeur et de la récupération des coûts demeure insuffisante. Qu’il s’agisse des élevage (où une simplification fort judicieuse de la redevance a été instaurée) ou des autres activités agricoles, les modalités de calcul font échec à une véritable récupération des coûts .

S’agissant des redevances pour pollutions diffuses qui concernent également spécifiquement le monde agricole, l’objectif de cette réforme est de remplacer la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les produits phytosanitaires par une redevance au profit des Agences de l'eau. Ce texte prévoit que la redevance pour pollutions diffuses engendrées par les produits phytosanitaires sera assise sur les quantités de substances actives contenues dans les produits anti-parasitaires ou biocides et dont la liste est fixée par décret en conseil d'Etat. Le champ d’application de cette nouvelle redevance est identique à celui de la TGAP, s’agissant des produits phytosanitaires. En revanche, ses modalités de recouvrement diffèrent. Elles deviennent plus complexes ce qui est évidement de nature à limiter son efficacité .

La redevance pour prélèvement, prévoit une taxation en fonction du volume prélevé et des tarifs modulés selon la nature de l'usage de l'eau et de la rareté de la ressource, afin de favoriser un usage plus économe de l'eau . Ceci nous semble une avancée pour la protection de la ressource. Toutefois, cette amélioration est encore loin de satisfaire les exigences européennes. En effet, malgré un effort, sous l’impulsion du Sénat, contre l’avis du gouvernement, pour abaisser les taux plafond prévus dans le projet pour les prélèvements destinés à l’alimentation en eau et ce « afin d'inciter les Agences à un certain rééquilibrage entre les différents usages de l'eau » , on peut constater que cette tarification reflète toujours une grande disparité entre les usages, disparité nettement favorable au monde agricole qui bénéficie de larges exonérations.

Il apparaît clairement que la loi sur l'eau et les milieux aquatiques récemment adoptée ne suffira pas à rétablir, voire même dans une moindre mesure à rééquilibrer, cette disparité entre les usagers de l’eau nettement au bénéfice du monde agricole. S’il y a bien une répartition sectorielle des coûts entre les usagers, elle n’est que partielle et ne suffira sans doute pas à remplir les conditions prescrites par la directive-cadre, malgré la souplesse de ce dispositif ! Nous estimons qu’un renforcement de ces mesures est indispensable. Il pourrait toutefois s’accompagner d’un renforcement corrélatif des mesures d’aides à l’agriculture, aides conditionnées à l’adoption de bonnes pratiques, ce qui permettrait, sans stigmatiser cette profession déjà en difficulté, de protéger la ressource et d’aider les agriculteurs à aller vers une nécessaire vérité du prix de l’eau.