
L’article 83 sur l’actionnariat des éco-organismes déchets déclaré contraire à la Constitution
Par Aliou NDIAYE
Juriste stagiaire
Tribunal administratif de Versailles
Posté le: 16/08/2015 18:53
Dans cette décision du Conseil constitutionnel du 13 août 2015, le Conseil était saisi par les parlementaires sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance énergétique. Hormis l’article 83 soumis à notre étude, le Conseil était aussi soumis sur la constitutionnalité des articles dont les suivants ont été déclarés conformes à la Constitution :
• Article 1er, relatif aux politiques de la politique énergétique de l’Etat, dont il a relevé la nature programmatique ;
• Article 73, relatif à l’interdiction de la mise à disposition d’ustensiles jetables de cuisines plastique ;
• Articles 91 : certaines dispositions de cet article à l’extension de la contribution due au titre de la responsabilité élargie des producteurs de papiers aux publications de presse, qui ne portent pas atteinte au principe d’égalité et ne sont pas entachées d’incompétence négative ;
• Article 139, relatif aux autorisations d’exploiter des éoliennes, qui ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ;
• Le paragraphe VI de l’article 173, relatif aux rapports annuels de certaines institutions du secteur des assurances, qui se borne à prévoir les informations qui doivent figurer dans les rapports annuels et être mises à disposition des souscripteurs des institutions susmentionnées ;
• Enfin, certaines dispositions de l'article 187, relatives aux autorisations administratives d'exploitation des installations de production d'électricité d'origine nucléaire, qui ne méconnaissent pas la garantie des droits des titulaires d'autorisations relatives aux installations nucléaires de base.
Sont en revanche, déclarés contraires à la Constitution :
• l'article 6, relatif à la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels, au motif que le législateur n'avait pas suffisamment défini les conditions et les modalités de l'atteinte que la disposition portait au droit de propriété ;
• l'article 44, relatif au programme d'actions de diminution de gaz à effet de serre par la grande distribution, dès lors que le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer celles des entreprises du secteur de la distribution qui devaient être soumises à l'exigence d'établir le programme d'actions ;
• l'article 83, qui modifiait les règles de composition du capital des éco-organismes constitués sous forme de société sans prévoir aucun aménagement permettant de limiter l'atteinte ainsi portée au droit de propriété et à la garantie des droits des associés ou actionnaires de tels éco-organismes ;
Pour ce dernier article soumis à notre étude, il était prévu que quand un éco-organisme est constitué sous forme de société, la majorité du capital social appartient à des producteurs, importateurs et distributeurs représentatifs des adhérents à cet éco-organisme pour les produits concernés que ceux-ci mettent sur le marché français.
Les députés auteurs du recours estiment que ces dispositions méconnaissent les principes de clarté et d'intelligibilité de la loi et qu'elles portent atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre.
Il ressort de cet article 83 qui complète l’article L. 541-10 du code de l’environnement, qu’une charge est mise, en application du principe de responsabilité élargie, des producteurs, importateurs et distributeurs de produits générateurs de déchets, l’obligation de contribuer à la prévention et à la gestion de leurs déchets. L’article 83 dit textuellement : « Quand un éco-organisme est constitué sous forme de société, la majorité du capital social appartient à des producteurs, importateurs et distributeurs auxquels l’obligation susvisée est imposée par les dispositions de la présente section, représentatifs des adhérents à cet éco-organisme pour les produits concernés que ceux-ci mettent sur le marché français ». Précisons que les acteurs économiques soumis à cette obligation, ont la possibilité de mettre en place des modes de traitement individuels des déchets venant de leurs produits ou s’organiser collectivement au tour d’un éco-organisme auquel, ils transfèrent leur responsabilité.
I. L’ADMISSION DU CAPITAL DES ECO-ORGANISMES D’INTERET GENERAL
Le Conseil, dans sa décision rappelle que la loi impose, d’ores et déjà, que les metteurs sur le marché des produits générateurs de déchets assurent la gouvernance de ces éco-organismes. Dans son considérant 35, le Conseil déclare cette mesure d’intérêt général : « Considérant qu’en adoptant l’article 83, le législateur a entendu, pour favoriser la diminution de la production de déchets, éviter que les éco-organismes ne soient contrôlés par des entreprises de traitement des déchets qui, contrairement aux entreprises soumises au principe de « responsabilité élargie du producteur », n’ont pas intérêt à voir diminuer le volume des déchets à la source ; qu’il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général ; ».
Il ressort de ce considérant que l’article 83 soumis à notre étude n’est pas critiqué par le Conseil. Tout au contraire, il le déclare d’intérêt général. Dans les observations du Gouvernement publiées sur le site du Conseil, celui-ci motive sa décision par le fait que les stipulations de cet article permettent de s'assurer que ces opérateurs économiques participent, en application du principe pollueur-payeur, énoncé à l'article 3 de la charte de l'environnement, de manière effective à la gestion de leurs déchets. Le Conseil ajoute qu’elle est cohérente avec le fait qu'ils transfèrent leur obligation juridique à l'éco-organisme auquel ils adhèrent. Pour finir, le Conseil fait remarquer que cette mesure est de nature à s’assurer que les émetteurs de produits sur le marché générateurs de déchets sont belle et bien impliqués dans la maîtrise des objectifs économiques et financiers des éco-organismes.
Se prononçant sur la clarté et les ambiguïtés du texte sur la gouvernance que relèvent les parlementaires, à l’origine de la saisine, le Conseil rejette ce moyen. En effet, il juge que l’actionnariat de l’éco-organisme doit comprendre des producteurs, importateurs et distributeurs qui sont tenus à l’obligation de prévention et de gestion des déchets pris en charge par l’éco-organisme concerné. Il juge enfin que ces acteurs économiques sont représentatifs de l’ensemble des acteurs économiques qui adhèrent à cet éco-organisme.
II. L’ATTEINTE DISPROPORTIONNEE AU DROIT DE PROPRIETE ET AUX GARANTIES LEGALES DES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES
Dans son considérant 30, le Conseil rappelle la requête des parlementaires. En effet, les requérants soutiennent que cet article est entaché d’incompétence négative, dès lors qu’il ne fixe pas les critères de détermination des personnes admises à détenir des parts dans les éco-organismes constitués sous forme de société. Ils reprochent aussi à cet article de porter atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, en interdisant d’une part à un associé ou à un actionnaire d’un éco-organisme existant constitué sous forme de société de céder ses parts à la personne de son choix, et d’autre part, en limitant le droit de toute personne à acquérir des parts d’un éco-organisme constitué sous forme de société.
Le Conseil, dans sa décision, rappelle sa position sur les limites apportées à la liberté d’entreprendre qui n’est pas absolue et qui doit être limitée par des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général et à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. La décision du Conseil rappelle que le législateur peut faire évoluer et imposer notamment des obligations nouvelles mais ne peut « priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». En atteste son considérant 33 dans lequel il pose cet encadrement de cette faculté : « Considérant qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ; ».
Dans le cas d’espèce, il ressort du considérant cité précédemment que le législateur peut imposer que la majorité du capital d’un éco-organisme soit détenue par des producteurs représentatifs des adhérents dudit éco-organisme. Mais cette disposition doit s’accompagner d’une garantie légale.
Dans son considérant 36 le Conseil dit explicitement le cadre dans lequel l’actionnariat pouvait se réaliser dans le cadre des éco-organisme : « Considérant, toutefois, que, si les dispositions contestées pouvaient imposer que la majorité du capital d’un éco-organisme constitué sous forme de société soit détenue par des producteurs, importateurs et distributeurs représentatifs des adhérents à cet éco-organisme pour les produits concernés, elles ne pouvaient imposer une telle obligation nouvelle aux sociétés et à leurs associés et actionnaires sans que soient prévues des garanties de nature à assurer la protection du droit de propriété et de la garantie des droits, qui ne sauraient relever du décret en Conseil d’État prévu par le paragraphe X de l’article L. 541-10 du code de l’environnement dans lequel les dispositions contestées s’insèrent ; qu’il en résulte une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la garantie des droits ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 83 est contraire à la Constitution ; ».
BIBLIOGRAPHIE:
• www.arnaudgossement.com : loi relative à la transition énergétique : l’article 83 sur l’actionnariat des éco-organismes déclaré contraire à la Constitution (décision du 13 août 2015 du Conseil constitutionnel) – article publié le 13 août 2015 à 23h46.
• www.conseil-constitutionnel.fr :
Décision n°2015-718 DC du 13 août 2015
Observatoire du Gouvernement – 2015 - 718