Par un arrêt rendu le 1er juillet 2015, la Cour de Justice de l’Union s’est prononcée sur la notion de détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface contenue dans la directive cadre sur l’eau à l’occasion d’une question préjudicielle posée par la Haute juridiction administrative allemande sur le fondement de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
L’arrêt résulte d’une question préjudicielle posée à la Cour à l’occasion d’un litige entre l’administration allemande et une association allemande de protection de l’environnement. Cette dernière s’opposait à l’autorisation d’un projet d’approfondissement de certaines parties du fleuve Weser au nord de l’Allemagne. Elle alléguait devant la Cour suprême administrative allemande une dégradation des masses d’eau contraire à la directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000.
La Cour suprême administrative allemande (Bundesverwaltungsgericht) a alors sollicité l’interprétation de la Cour de Justice de l’U. E. afin de déterminer si les objectifs fixés par la directive étaient contraignants pour les Etats membres et impliquaient que les Etats s’opposent à tout projet compromettant leur réalisation. La Cour de Justice répond à cette interrogation par la positive.

I- Le caractère contraignant des objectifs prévus par la directive cadre sur l’eau

L’article 4 paragraphe 1 de la directive 2000/60/CE dispose que « les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l'état de toutes les masses d'eau de surface ». La question posée à la Cour était celle de savoir si cette disposition avait valeur d’objectif général ou interdisait tout projet qui causerait une détérioration des masses d’eau.
Elle opère dans cet arrêt une interprétation téléologique des dispositions de la directive et considère qu’il résulte de la formulation «les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration » qu’ils doivent agir afin de réaliser les objectifs fixés. Il s’agit donc ici d’une obligation positive d’agir incombant aux Etats.
La Cour relève ensuite qu’aux termes de la directive, «les États membres adoptent les mesures nécessaires afin de réaliser les objectifs » et qu’ainsi, ceux-ci ont l’obligation de prendre en compte ces dispositions lors de la procédure d’approbation d’un projet. Les autorités en charge d’apprécier ces projets ont donc une obligation négative de ne pas autoriser des projets pouvant nuire aux objectifs fixés.
Elle s’appuie sur les discussions des travaux préparatoires pour affirmer qu’il découle de la directive cadre sur l’eau deux objectifs liés : celui de prévenir la détérioration des eaux et celui d’améliorer leur état et de parvenir à un « bon état » à l’horizon 2015.
Le caractère contraignant de ces objectifs se déduit notamment de l’existence de dérogations possibles pour les Etats membres, ce qui, selon la Cour, conforte cette interprétation.


S’agissant de l’étendue de ce caractère contraignant, la Cour de Luxembourg précise que l’obligation de prévention de toute détérioration s’applique tout au long de la mise en œuvre de la directive cadre et s’applique à tout état de masse d’eau pour lequel un plan de gestion a été ou aurait dû être adopté.
La directive cadre ne définit pas la notion de dégradation, la Cour a donc énoncé les critères de celle-ci.

II- Les critères d’appréciation extensifs d’une « dégradation des masses d’eau »

La Cour suprême administrative allemande demandait en substance à la Cour si la « détérioration » devait s’interpréter comme tout changement de l’état de l’eau vers une classe inférieure prévue à l’annexe V dudit texte.
Les juges de Luxembourg répondent par la négative à cette interrogation. Ils affirment en effet que la détérioration, tel qu’il résulte de la rédaction de la directive, ne se limite pas à un changement pour une classe inférieure. En effet, tel qu’il ressort des conclusions de l’avocat général dans cette affaire, cela reviendrait à décourager les Etats membres de prévenir la détérioration de l’état des eaux au sein d’une même classe, ce qui apparaît comme contraire aux objectifs de bonne qualité des eaux posés par la directive.
Elle précise enfin qu’on ne peut interpréter la directive comme circonscrivant aux seules atteintes graves la notion de dégradation. Il ne convient donc pas ici, comme le soutenaient les gouvernements allemands et hollandais, d’opérer une mise en balance des intérêts écologiques et économiques en matière d’eau.
La Cour de Justice de L’union, après avoir énoncé ce qui ne correspondait pas à la définition de la dégradation, précise ce qu’il faut entendre par dégradation au sens de la directive 2000/60 CE. La notion de dégradation s’entend dès lors que l’état d’au moins l’un des éléments de qualité, au sens de l’annexe V de cette directive, se dégrade d’une classe. Elle précise que cela vaut même si cela ne se traduit pas par une dégradation de classement de la masse d’eau dans sa globalité. Enfin la Cour affirme que dans le cas où l’élément de qualité qui s’est dégradé relève de la dernière classe, toute dégradation de cet élément doit être prise en compte pour la notion de « dégradation de l’état » de la masse d’eau.
Finalement, la Cour de Luxembourg interprète extensivement la notion de dégradation des masses d’eau afin de renforcer les obligations des Etats membres en la matière.


Bibliographie :
- COMMUNIQUE DE PRESSE n° 74/15 de la Cour de Justice de l’Union européenne
- CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRALM. NIILO JÄÄSKINEN présentées le 23 octobre 2014 (1)
- Arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne rendu en grande chambre le 1er juillet 2015, Affaire C‑461/13