Le 2 mai 2015, le deuxième porteur d'un cœur artificiel conçu par la société Carmat est décédé après une hospitalisation au sein du CHU de Nantes. Dans l'hypothèse où le cœur artificiel ait été défectueux, se pose la question de savoir qui est responsable: la société Carmat sur fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ou l'hôpital qui a pratiqué les actes médicaux précédant le décès? Le Conseil d'Etat, réuni en Section du contentieux, à rendu le 25 juillet 2013 , après avoir interrogé la cour de justice de l'Union européenne, a rendu un arrêt important répondant à cette problématique: les patients victimes d'implantations de produits de santé défectueux à l'hôpital public disposent du droit de rechercher devant le juge simultanément la responsabilité du producteur du produit défectueux et la responsabilité du service public hospitalier, qu'elle soit pour faute ou sans faute. Concernant la responsabilité du fait des produits défectueux, tout laisse à penser que la société Carmat sera exonérée au titre du risque de développement. En revanche, concernant la responsabilité du service public hospitalier, celle-ci peut être envisagée.
Rappelons que lorsqu'un patient a subi un dommage après une prise en charge dans un hôpital public, il pourra obtenir réparation soit en engageant la responsabilité pour faute de l'hôpital sur fondement de l'article L.1142-1.I. alinéa 1er du Code de la santé publique, soit, si aucune faute n'a été commise, en demandant réparation au titre de la solidarité nationale auprès de l'ONIAM sur le fondement de l'alinéa 1er du II. du même article. Ce dernier limite la prise en charge des dommages subis par un patient par l'ONIAM à trois critères cumulatifs: ils doivent être directement imputables aux actes médicaux, ils doivent présenter une certaine gravité et enfin, ils doivent être distincts des conséquences normalement prévisibles de l'acte compte tenu de l'état antérieur de la victime.
C'est sur l'appréciation de cette dernière condition que le Conseil d'Etat, par deux arrêts du 12 décembre 2014 et un arrêt du 29 avril 2015, apporte des précisions.
Décisions du Conseil d'Etat du 12 décembre 2014: appréciation au regard du bilan risque et avantage
Dans le premier arrêt, il s'agissait d'un patient qui souffrait d'une hernie discale cervicale entraînant de nombreux effets indésirables. A la suite d'une intervention pratiquée dans le but de réduire ces effets, le patient a subi un déficit moteur des quatre membres. Dans le second arrêt, il s'agissait d'une patiente diabétique insulino-dépendante victime d'un coma diabétique. Lors de son transfert à l'hôpital, elle a subi un acte médical ayant provoqué des difficultés respiratoires et d'autres conséquences sur sa santé. Il convenait donc de se demander, dans les deux cas d'espèce, si le critère d'anormalité du dommage était rempli pour pouvoir obtenir réparation au titre de la solidarité nationale auprès de l'ONIAM.
Dans les deux arrêts rendus, le Conseil d'Etat a posé le principe selon lequel le dommage est considéré comme étant anormal lorsque l'acte médical entraîne des conséquences "notablement" plus graves que celles auxquelles le patient aurait été exposé en l'absence de traitement. A contrario, cela signifie que lorsque l'acte médical n’entraîne pas de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé en l'absence de traitement, le dommage ne sera pas considéré comme anormal, sauf si, par exception, la survenance du dommage présentait une probabilité faible dans les conditions de l'accomplissement de l'acte.
Dans le premier arrêt, en application de ce principe, le Conseil d'Etat a considéré, après consultation de l'avis de l'expert, que la gravité de l'handicap est une conséquence bien plus grave que celles provoquées par l'hernie discale cervicale initiale. Il a donc caractérisé le dommage d'anormal. Dans le second arrêt, les conséquences de l'acte médical n'étaient pas plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée sans l'intervention. Le Conseil d'Etat a considéré que la condition de l'anormalité n'était pas remplie.
Force est de constater que ce raisonnement tendant à déterminer un rapport entre le risque que provoque l'exécution de l'intervention médicale et l'avantage que cette dernière peut procurer, est courant tant en matière de responsabilité médicale qu'en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. En effet, s’agissant des produits de santé, c'est le bilan entre les avantages procurés par le produit et les risques encourus qui est la directive d'appréciation du juge judiciaire: ce bilan permet de déterminer si le produit procure la sécurité à laquelle on peut "légitimement" s'attendre et donc de déterminer s'il est défectueux. Le juge administratif semble suivre la même logique.

Décision du Conseil d'Etat du 29 avril 2015: appréciation stricte du risque provoqué
En l'espèce, une femme, victime d'un accident de la circulation, a été prise en charge dans état critique à l'hôpital où elle a subi une intervention chirurgicale au cours de laquelle elle est décédée. Ses ayants droit ont demandé réparation du préjudice subi sur le fondement de la responsabilité pour faute et sur le fondement de la réparation au titre de la solidarité nationale. Les juges de la Haute juridiction ont considéré qu'aucune faute n'a été commise par le praticien, et que par conséquent la responsabilité pour faute ne pouvait être retenu. La question qui nous intéresse ici est celle de savoir si le critère d'anormalité du dommage était rempli et la réparation au titre de la solidarité nationale accordée.
Dans la décision du 29 avril 2015, le Conseil d'Etat reprend le considérant des arrêts précités: en l'espèce, le caractère anormal n'était pas rempli car si la patiente n'avait pas été traitée, elle aurait été exposée à des conséquences aussi graves que celles résultant de l'intervention médicale, à savoir la mort. Quant à l'exception au principe, elle n'était pas invocable car le Conseil d'Etat a considéré que le déplacement du cathéter est un risque fréquent et non un risque d'une faible probabilité de survenance. A cet égard, le Conseil d'Etat précise que pour quantifier le risque, il faut se référer au risque de l'acte médical d'un point de vue purement objectif. C'est le risque généré par l'acte médical lui même qui compte, et non le risque généré par l'ensemble des circonstances: l'acte médical a concouru au décès de la patiente mais n'en est pas la cause exclusive étant donné que celle-ci avait des complications cardiovasculaires à son arrivée à l'hôpital.


Pour conclure l'obtention de la réparation du dommage subit au titre de la solidarité nationale est conditionnée à l'imputabilité du dommage aux actes médicaux établis, à la gravité du dommage, et à l'anormalité appréciée de manière restrictive. L'adage selon lequel "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance" semble alors prendre tout son sens.

Sources

CE, 12 décembre 2014, n° 365211

(http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000029893498&fastReqId=566849504&fastPos=1)

CE, 12 décembre 2014, n ° 355052

(http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000029893486&fastReqId=208889378&fastPos=1)

CE, 29 avril 2015, N° 369473

(http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000030538066&fastReqId=1533556548&fastPos=6)