
Droit de la concurrence et respect de la législation relative aux installations classées : Cass. Com. 21 janvier 2014 (n° 12-25443)
Par Natacha GUEGHEROUNI
Juriste stagiaire droit de l'environnement
FIDAL
Posté le: 21/09/2014 16:21
Le droit des installations classées repose sur des obligations administratives, par le biais des autorisations d'exploiter dont l'obtention est nécessaire pour exploiter une activité générant des nuisances et des dangers potentiels pour le voisinage. Mais autour de ces obligations vis-à-vis de l'administration gravitent un ensemble de liens de droit privé. En effet, la manière dont ces obligations administratives seront remplies est bien souvent décidée par le contrat, même si ces dispositions contractuelles de droit privé ne sont pas opposables à l'administration (1). Au-delà de l'aspect environnemental de ces installations, leur importance sur le plan économique est indéniable.
Dans cette optique, l'intervention des règles de droit de la concurrence dans le respect du droit des installations classées renforce l'application des règles administratives. Ces règles administratives, à leur tour, semblent être la condition d'une concurrence loyale sur un marché soumis à des contraintes spécifiques en raison des risques environnementaux générés par ses acteurs.
En l'espèce, une société exploite un broyeur pour la récupération et le recyclage de matières métalliques issues de véhicules hors d'usage (VHU). Elle n'a pas reçu l'autorisation administrative nécessaire pour cette activité, qu'elle exploite en infraction de la législation sur les installations classées. En effet, l'utilisation d'un broyeur VHU tombe normalement dans le champ d'application de la rubrique 2712 de la nomenclature des installations classées : les installations de plus de 30 000 m² nécessitent une autorisation (2), une procédure relativement complexe du fait des risques potentiels élevés pour la santé humaine et l'environnement avoisinants que génère une telle installation.
Une société spécialisée dans des activités similaires, située à proximité, et qui elle a effectué les démarches nécessaires pour exploiter son activité dans le respect de la législation sur les installations classées, se considère lésée par cette situation. En effet, le respect de cet ensemble de normes a un coût, qui se répercute sur les tarifs qu'elle peut raisonnablement offrir à ses clients. Ces mêmes coûts ne sont pas supportés par l'entreprise concurrente qui ne respecte pas la loi. Cette dernière est donc dénoncée à plusieurs reprises à l'administration locale, puis assignée devant le juge judiciaire pour actes de concurrence déloyale.
La Cour d'appel de Paris, par arrêt du 30 mai 2012, condamne la société exploitant sans autorisation son installation de broyage pour actes de concurrence déloyale. Cette dernière doit verser des dommages et intérêts à sa concurrente lésée.
La Cour de cassation confirme cette solution et rejette le pourvoi formé par la société condamnée pour concurrence déloyale. Sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la qualification de concurrence déloyale est retenue, de même que le versement de dommages et intérêts. Par cette solution, le droit de la concurrence vient au soutien du respect des obligations administratives environnementales, sans pour autant les remplacer. On étudiera donc la notion de concurrence déloyale (I) avant de voir comment elle a été appliquée au droit de l'environnement (II).
I. Notion de concurrence déloyale
La sanction qui a été retenue en l'espèce est celle de concurrence déloyale, au sens de l'article 1382 du code civil. La sanction des actes de concurrence déloyale est une restriction au principe de liberté du commerce et de l'industrie, et la jurisprudence définit l'acte de concurrence déloyale comme « l'abus de la liberté du commerce, causant volontairement ou non, un trouble commercial » (3).
L'acte de concurrence déloyale est une faute, sanctionnée au titre de la responsabilité civile délictuelle. Seule une réparation par l'attribution de dommages et intérêts est possible.
La jurisprudence admet déjà qu'un acte de concurrence déloyale peut découler du non-respect de la réglementation, au préjudice d'un concurrent qui respecte la réglementation (5). Mais par l'arrêt du 21 janvier 2014, la notion est étendue spécifiquement à la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement.
II. Application au droit de l'environnement
En admettant que la poursuite d'une activité d'installations classées sans autorisation est un acte de concurrence déloyale, le juge judiciaire vient au soutien du juge administratif dans le respect de la réglementation sur les installations classées. Toutefois, leurs terrains d'actions semblent différenciés dans la mesure où le juge judiciaire se limite à attribuer des dommages et intérêts à la société concurrente. Il ne peut faire cesser le trouble en prononçant par exemple des interdictions ou des restrictions de fonctionnement ; ces sanctions prévues par le code de l'environnement restent dans le champ du juge administratif.
L'arrêt rappelle également que la simple violation de la réglementation applicable constitue une faute, sans qu'il soit nécessaire de rechercher l'intention de la société exploitant son activité d'installation classée sans autorisation, ni de rechercher l'existence d'un avantage concurrentiel injustifié, ou d'un quelconque profit réalisé par l'auteur de la faute.
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(1) CE, 29 mars 2010, Communauté des communes de Fécamp, req. n° 318886
(2) Stockage, dépollution, démontage, découpage ou broyage de véhicules hors d’usage http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/10719
(3) Cass. Com. 22 octobre 1985, n° 83.150-96
(4) Cass. Com, 1er avril 1997, n° 94-22129, Bull. civ. 1997, IV, n° 87 ; Cass. Com. 2 décembre 2008, n° 07-19861.