Le caractère fondamental du droit à la santé nous est régulièrement rappelé par l'actualité juridique.

Depuis plusieurs années, les risques psychosociaux (RPS) sont progressivement considérés comme des risques professionnels à part entière. Cependant, les termes et les réalités qu'ils recouvrent en matière de cause et d'effets restent peu connus ou mal appréhendés par les entreprises. Ils sont le plus souvent décrits par leurs effets (stress, violences, souffrance éthique…) et non par leurs causes, ni même par les atteintes à la santé occasionnées.

La France dispose aujourd'hui d'une législation permettant une réelle prise en compte de ces risques professionnels, et visant une responsabilisation des établissements, tant dans le secteur privé que public.

I. Le cadre juridique en matière de risques psychosociaux

Il convient tout d’abord d’appréhender la notion de risques psychosociaux (A) avant d’étudier l’obligation de sécurité de résultat en matière de santé mis à la charge de l’employeur (B).

A. La notion de risques psychosociaux

1. Les composantes du risque psychosocial

Les risques psychosociaux en France ne sont pas définis. Sous l’entité « risques psychosociaux » (RPS) le ministère du travail entend : « Des risques professionnels qui portent atteinte à l'intégrité physique et à la santé mentale des salariés : stress (a), harcèlement (b,c), épuisement professionnel, violence au travail (d).
Ceux-ci peuvent entraîner des pathologies telles que : dépressions, maladies psychosomatiques, problèmes de sommeil, anxiété, mais aussi générer des troubles musculo-squelettiques, des maladies cardio-vasculaires voire entraîner des accidents du travail ». De nombreux risques psychosociaux peuvent induire des troubles psychosociaux. De nombreuses études montrent en effet cette corrélation.

a). Le stress au travail

Les cas de stress dans l’entreprise sont parfois niés ou attribués uniquement à la fragilité ou à l’inadaptation au poste de certains salariés. Le stress au travail a été identifié comme le premier risque psychosocial. En effet celui-ci est défini par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 2 juillet 2008 comme un « état survenant lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face » (v. Conv. -Santé- n° 175/2008 des 4 et 5 août 2008).

b). Le harcèlement moral

Le harcèlement moral est une forme de violence insidieuse au sein du travail. L’article L. 1152-1du Code du travail définit le harcèlement moral comme des « agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

En outre, selon l’ANI du 26 mars 2010 sur la violence au travail et le harcèlement, ce dernier survient lorsqu’un ou plusieurs salariés font l’objet d’abus, de menaces et/ou d’humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail (v. Conv. -Santé- n° 94/2010 du 7 mai 2010).

c). Le harcèlement sexuel

Il existe une pluralité de définitions légales du harcèlement sexuel.

L’article L. 1153-1 du Code du travail interdit « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ».

De son côté, l’article 222-33 du Code pénal indique que le harcèlement sexuel est « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

Par ailleurs, l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations (v. Légis. soc. -Égalité- n° 134/2008 du 6 juin 2008) a consacré la définition communautaire du harcèlement sexuel. Cet article prévoit ainsi que « la discrimination inclut […] tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

d). Les violences et incivilités

L’ANI du 26 mars 2010 considère qu’il s’agit de « toute action, tout incident ou tout comportement qui s’écarte d’une attitude raisonnable par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée, ou blessée dans le cadre du travail ou du fait de son travail » reprenant la définition de la violence au travail issue du Bureau international du travail (BIT).

La violence au travail interne est celle qui se manifeste entre les travailleurs, y compris le personnel d’encadrement, alors que la violence au travail externe est celle qui s’exprime entre les travailleurs (et le personnel d’encadrement), et toute personne présente sur le lieu de travail.

L’accord précise que la violence au travail se produit lorsqu’un ou plusieurs salariés sont agressés dans des circonstances liées au travail. Elle va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l’incivilité à l’agression physique. La violence au travail peut prendre la forme d’agression verbale, comportementale, notamment sexiste, d’agression physique, etc.

Par ailleurs, selon l’ANI, les incivilités contribuent à la dégradation des conditions de travail, notamment pour les salariés qui sont en relation quotidienne avec le public, et rendent difficile la vie en commun.

B. La responsabilité de l’employeur

Tirant profit de l'activité de travail des salariés et agents qui sont placés sous sa subordination, l'employeur est parallèlement garant de la sécurité de ces derniers. Ce devoir est matérialisé par une obligation de sécurité de résultat (1). Depuis les arrêts Amiante du 28 février 2002, le manquement à cette obligation de sécurité de résultat, dont les germes constitutifs se trouvent dans le contrat de travail, constitue une faute inexcusable de l'employeur (2).

1. Une Obligation de sécurité de résultat

La notion d'« obligation de sécurité de résultat » a en effet été appliquée au xxe siècle en droit des transports, avant d'être reprise par le droit de la responsabilité, notamment en matière médicale. Elle a fait son entrée dans le champ du droit social avec les arrêts « amiante » du 28 février 2002.

La prévention collective des risques psychosociaux s’inscrit dans la démarche globale de prévention des risques professionnels. En application de la directive cadre européenne 89/391/CEE, la loi définit une obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur.

Divers articles du code du travail, précise en effet que « l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés » (L.4121-1, CT) , et « planifier la prévention en y intégrant les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel […] »(L. 4121-2, CT), ou « évaluer les risques lors de ses choix et mettre alors en œuvre les actions de prévention et les méthodes de travail et de production, en les intégrant à l'ensemble de l'activité » (L. 4121-3, CT).

Selon la Cour de cassation, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat, qui s’étend à la santé mentale. Il est responsable des facteurs de risque pour la santé mentale, c’est-à-dire ceux qui, par le travail, peuvent provoquer, concourir, aggraver, ou favoriser l’apparition des risques psychosociaux. En effet, il est tenu de savoir si le travail (conditions, organisation, etc.) expose ses salariés à des risques psychosociaux, et de prendre les mesures nécessaires pour les protéger.

Au titre de cette obligation de sécurité de résultat, l’employeur est responsable de la dépression d’un salarié consécutive à de mauvaises conditions de travail (Cass.soc., 17 février 2010, nos 08-44.144 et 08-44.019). De même, il est tenu pour responsable des faits de harcèlement même s’il n’a pas commis lui-même de faute (Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914). Cette responsabilité lui incombe, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser des agissements de harcèlement moral et sexuel ou de violence (Cass., soc. 3 février 2010, n° 08-44. 019 et n° 08-40. 144).

En outre, rappelons qu’un suicide constitue un accident du travail s’il est directement lié au travail, par exemple s’il fait suite à des reproches de l’employeur (Cass. soc., 20 avril 1988 n° 86-15.690).

Cette qualification juridique a même été reconnue pour un suicide tenté alors que le salarié, se trouvait en arrêt maladie (Cass. 2e civ., 22 février 2007, 05-13. 771).

2. La faute inexcusable de l’employeur dans la réalisation d’un accident du travail ou une maladie professionnelle

Pour la Cour de cassation, le manquement à l’obligation de sécurité de résultat a le caractère de faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. soc. 28 février 2002 n° 00-11.793).

En matière civile, cette obligation de résultat demeure toutefois atténuée puisqu'il incombe au salarié « de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ».
Le délit de mise en danger d’autrui est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (C. pén., art. 223-1). Le harcèlement moral ou sexuel au travail est puni de la même peine (C. pén. art. 222-33 et 222-33-2).

L'obligation de sécurité de l'employeur est évolutive et doit adapter ces mesures pour tenir compte des changements de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

II. L’exigence de prévention

Le Code du travail ne comporte pas de disposition spécifique sur la prévention des risques psychosociaux. La notion de prévention recouvre « l'ensemble des dispositions prises ou prévues à tous les stades de l'activité dans l'entreprise en vue d'éviter ou de diminuer les risques professionnels » (Cons. UE, dir. n° 89/391, 12 juin 1989, art. 3, relative à la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail).

A. L’engagement dans l’action

Cette étape est celle essentielle. Il s’agit de rassembler les acteurs concernés (groupe nécessairement paritaire : direction, RH, représentants du personnel, notamment CHSCT, et élargi au service de santé au travail, assistants sociaux si présents, service d’hygiène et de sécurité du travail, des représentants de l’encadrement...) autour de la problématique pour se mettre d’accord sur les contours du sujet en général mais surtout dans l’entreprise (quelles formes prennent les RPS dans l’entreprise ? Quels indicateurs peut-on partager ? Quels secteurs sont particulièrement concernés ?) et sur la démarche qui sera employée (Comment traiter le sujet ? Quelles précautions dans notre entreprise ? Quelles étapes ? quels acteurs impliquer ?...).

Le CHSCT est, par ailleurs, une instance clé pour aborder objectivement ces risques, car il rassemble la plupart des acteurs internes (Direction, représentants du personnel…) et externes (médecin du travail, inspecteur du travail ou contrôleur CARSAT) pouvant agir sur ces risques.

Le médecin du travail joue, quant à lui, un rôle particulier tenant au respect du secret médical, tel qu’il est attaché à sa fonction et auquel il est tenu.

B. L’élaboration du document unique

Il s’agit du meilleur exemple de la mise en place d’une démarche de prévention dans l’entreprise. Il a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 transposant la directive européenne sur la prévention des risques professionnels.

Le document unique sera le document référence suite à un accident du travail. Celui-ci s’impose à l’employeur. Il est la transposition, par écrit, de l'évaluation des risques, imposée à tout employeur par le Code du Travail.

L'évaluation des risques professionnels et leur intégration au DUERP est ainsi l'occasion pour les entreprises d'aborder concrètement les risques psychosociaux.


C. Les actions contribuant à améliorer la qualité de vie au travail

Les risques psychosociaux doivent être gérés au même titre que les autres risques professionnels. Comme l’impose la réglementation, il est nécessaire de les évaluer, de planifier des mesures adaptées et de donner la priorité aux mesures susceptibles d’éviter les risques le plus en amont possible.

En outre, depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, employeur et organisations syndicales de salariés peut prévoir le regroupement dans une négociation unique dite de « qualité de vie au travail » de tout ou partie des négociations obligatoires relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, à la durée et l'organisation du temps de travail, à la protection sociale complémentaire, aux travailleurs handicapés, à la mobilité interne et à la pénibilité. Et cela par le biais d'un accord conclu pour une durée de 3 ans.

La validité d'un tel accord est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants.
Précisons cependant qu'il s'agit d'un dispositif expérimental ouvert jusqu'au 31 décembre 2015 (L. no 2014-288, 5 mars 2014, art. 33).

Il faut dégager des pistes d'action visant d'abord à agir sur les facteurs de risques pour les réduire ou les supprimer : c'est la prévention primaire. Elle vise à adapter le travail à l'homme, tout en sachant explorer des actions de prévention secondaire ou tertiaire visant à adapter l'homme au travail (formation, prise en charge individuelles…).

Des actions simples, contribuant à améliorer la qualité de vie au travail, sont à associer à des actions de fond à plus long terme.

Face aux risques psychosociaux, l’Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail (Anact) a développé une démarche spécifique de prévention, centrée sur le travail et son organisation. Pour y parvenir, le réseau Anact propose une démarche de prévention organisée en cinq grandes étapes et faisant appel à des outils innovants. Elle implique une mobilisation de tous les acteurs y compris managériale, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire.

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Sources :

-INRS : Focus thématique « Combattre les risques psychosociaux » www.inrs.fr/focus/RisquesPsychosociaux.html
- INRS : dossier Stress au travail - www.inrs.fr/dossiers/stress.html
- Interview de Patrick Legéron - LEMONDE.FR - http://www.lemonde.fr/
- Newsletter du Journal de l'Environnement - http://www.journaldelenvironnement.net/
-Travailler-mieux.gouv.fr/
-ANI v. Conv. -Santé- n° 175/2008 des 4 et 5 août 2008
-Dossier ANACT
-P. Ughetto, « Faire face aux exigences du travail contemporain », 2007, Éditions Anact.
-H. Lachmann, C. Larose, M. Pennicaud, Rapport au Premier ministre : « Bien-être et efficacité au travail : 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail », 2010.
- C. Jouvenot, C. Pierre, « Agir sur la reconnaissance au travail », Éditions Anact, 2010.