
L’incitation tarifaire en faveur du démantèlement des ouvrages hydrauliques
Par Soledad LEMBOURG
Juriste Environnement
Sialis
Posté le: 16/09/2013 15:35
I – Le dispositif des redevances des Agences de l’eau
Le financement de la politique de l’eau en France est assuré par différents acteurs économiques, notamment les Agences de l’eau. A l’origine créées par la loi de 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, sous le nom d’agences financières de bassin, elles ont été réformées par la LEMA en 2006. Celles-ci sont destinées à apporter leur concours financier aux personnes publiques ou privées, pour la réalisation des travaux d’intérêt commun contribuant à la gestion durable et équilibrée de la ressource en eau et les milieux aquatiques. Ce concours financier est notamment possible grâce aux redevances qu’elles perçoivent des usagers de l’eau. En effet, le système de redevances permettant de financer la dépollution des milieux, repose principalement sur le principe pollueur payeur en vertu de l’article L 213-10 du code de l’environnement. Une personne polluant la ressource en eau ou les milieux aquatiques, paye des taxes qui permettront aux Agences de l’eau de financer cette dépollution. Toutefois, le principe est également dissuasif dans la mesure où une personne qui pollue peut, réduit ses redevances.
A l’époque, la création des Agences est perçue comme une véritable innovation ayant permis de financer de manière très efficace la politique de l’eau. Cependant, aujourd’hui le dispositif de redevances fait l’objet de certaines critiques.
II – Un concours financier en faveur du démantèlement des ouvrages hydrauliques
Les Agences de l’eau établissent tous les cinq ans un programme d’intervention dans lequel, elles fixent les priorités et les actions à mener au cours de ce cycle. Le 10e programme des Agences a été établit cette année pour une période de six ans (2013-2018). Il vise à renforcer les aides, afin de s’adapter aux objectifs européens de reconquête et de préservation de la qualité des eaux et des milieux aquatiques en 2015 (sans tenir compte des autres paramètres sur lesquels elles interviennent : inondations, littoral et milieux marins, gestion quantitative de la ressource, ect). Dans le cadre de cette reconquête, le programme prévoit un budget de 1,9 milliard d’euros consacré aux opérations de restauration de la continuité écologique des cours d’eau.
La restauration de la continuité écologique est devenue depuis l’adoption de la LEMA, une priorité nationale pour atteindre l’objectif de bon état des eaux. Selon l’administration, il implique de restaurer cette continuité en favorisant des actions de démantèlement des ouvrages hydrauliques ou d’aménagement. Cependant, le démantèlement est privilégié au regard des autres actions, puisqu’il serait la mesure la plus efficace pour rétablir dans leur totalité, la libre circulation piscicole et le transport naturel des sédiments. Dans ce cadre, le 10eprogramme des Agences de l’eau axe ses actions en faveur du démantèlement. En effet, elles accordent majoritairement 80 pour cent des subventions pour l’effacement des ouvrages, contre 40 pour cent pour l’aménagement de passes à poissons. Ces chiffres permettent de constater des subventions très généreuses en faveur du démantèlement, mais très limitées pour l’aménagement.
La volonté de l’administration est de parvenir à l’effacement de la totalité des ouvrages en France. Alors, l’attribution d’une aide financière généreuse pour réaliser l’effacement, permet d’inciter les propriétaires à envisager cette mesure. Effectivement, le prix moyen d’une passe à bassin est de 120 0000 euros. La totalité des propriétaires ne sont pas en mesures de verser une telle somme, d’autant plus que l’aménagement d’un ouvrage requiert l’intervention d’un bureau d’étude spécialisé, dont les prestations sont onéreuses. Le coût d’un tel aménagement est excessif au regard de la main d’œuvre et des matières employées, mais il exerce également une forte pression sur les propriétaires contraints financièrement d’abandonner leur droit d’eau en vu du démantèlement. Il faut d’ailleurs souligner que l’article L 214-17 de l’environnement, affirme par lui-même le coût exorbitant de l’aménagement.
Par ailleurs, il y a quelques années le Bureau d’étude Sialis situé dans le département de l’Aisne, avait suggéré des solutions alternatives pour remédier au problème. Effectivement, le Bureau a réalisé de multiples études afin de pouvoir mettre en œuvre un système efficace de passes à poisson en bois, dont le prix serait considérablement moins coûteux. Cependant, l’administration a refusé d’envisager cette solution dans la mesure où les textes affirmaient que de tels aménagements devaient être réalisés en génie civil. Le refus de la part de l’administration, démontre encore une fois la volonté de dissuader les propriétaires de moulins à aménager leur ouvrage, au profit du démantèlement.
Cependant, même si les opérations de démantèlement sont largement subventionnées par les Agences de l’eau au profit des propriétaires, celles-ci ont un coût. Et, les sommes importantes engagées pour le démantèlement des ouvrages, ne le sont pas pour la lutte contre la pollution chimique des cours d’eau. On dénote alors ici un problème très important. La capacité de financer des actions de restauration de la qualité de l’eau, sont encore très faibles par rapport aux besoins observés. En effet, pour parvenir au bon état des eaux, la DCE préconise avant tout de supprimer ou de réduire les pollutions d’origine agricole et industrielle, principales causes de la dégradation des cours d’eaux. Dans un tel contexte, le financement trop important des actions de démantèlement au détriment des actions de dépollution des eaux, pourrait amener la France à ne pas parvenir à l’objectif de bon état en 2015. La Cour des comptes à d’ailleurs affirmé l’inefficacité du levier financier dont disposent les agences de l’eau, dans un rapport publié en 2010.
L’administration incite non seulement les propriétaires au démantèlement de leur ouvrage hydraulique, mais la réalisation d’une opération aussi coûteuse ne permet pas d’en déterminer le gain écologique.