Le démantèlement des ouvrages hydrauliques : Un droit ancien menacé
Par Soledad LEMBOURG
Juriste Environnement
Sialis
Posté le: 16/09/2013 10:26
Depuis l’antiquité, les hommes aménagent les cours d’eau pour satisfaire à différents usages : lutte contre les inondations, loisirs, navigation, irrigation etc. Au fil des siècles, ces derniers ont permis de contribuer à l’essor industriel de la France. Effectivement, les usines utilisaient autrefois l’énergie hydraulique des cours d’eau pour répondre à leurs différents besoins (usine de textile, usine à papier, fonderie). Aujourd’hui, très peu d’usines utilisent encore cette énergie hydraulique, puisque l’industrialisation a permis de développer des systèmes de production plus performants. Les moulins contribuent toujours à la satisfaction des usages qui pouvaient en être faits autrefois, mais ils répondent également à de nouveaux enjeux majeurs tels que la lutte contre le réchauffement climatique.
I – La remise en cause d’un droit ancien
Au-delà de ces différentes fonctions qu’ils exercent en faveur de l’Homme et des écosystèmes aquatiques, les moulins sont reconnus comme le 3e patrimoine de France. En effet, ces derniers ont façonné le paysage de nos cours d’eau, forgeant aujourd’hui l’identité culturelle et historique de la France.
Par ailleurs, les moulins confèrent également à leur propriétaire un droit très ancien. En effet, les propriétaires riverains disposent d’un « droit d’eau ». Celui-ci ne constitue pas un droit de propriété, mais un droit d’usage de l’eau et de sa force motrice. Ce règlement d’eau permet notamment de justifier l’existence légale de l’ouvrage, un document important pour le propriétaire. Aussi, lorsque le moulin en question existe depuis bien avant la révolution, le propriétaire dispose d’un droit d’eau « fondé en titre » inaliénable. Le Conseil d’Etat reconnaît notamment par une décision du 7 février 2007 qu’ « un droit fondé en titre ne peut se perdre que lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisé par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau , en revanche ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit de prise d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ».
Cependant, l’existence des moulins en tant que 3e patrimoine et du droit qu’ils confèrent à leurs propriétaires sont aujourd’hui menacés.
La politique française de l’eau s’est engagée pour atteindre l’objectif européen de bon état, vers une restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Une importante inflation règlementaire s’est donc opérée dans ce sens. De nombreux outils ont été adoptés et consolidés pour garantir la libre circulation piscicole et le transport sédimentaire (caractéristiques de la continuité écologique). Parmi eux, le classement des cours d’eau et le PARCE sont particulièrement remis en cause par les propriétaires de moulins. Effectivement, ces outils considèrent les seuils des moulins comme la principale cause de dégradation des cours d’eau et pour lesquels, le démantèlement doit être activement favorisé.
La mise en œuvre de ce processus de démantèlement a suscité de vives réactions de la part d’un grand nombre de propriétaires qui se sentent lésés. Ces derniers considèrent que la politique de démantèlement engagée par l’administration, remet totalement en cause leur droit et un patrimoine qui a forgé l’identité de la France. Alors, afin de préserver ce patrimoine et de faire valoir leur droit, ces derniers se sont activement mobilisés.
II – La participation active des associations
Les associations de protection des moulins au sein desquelles un grand nombre de propriétaires ont adhéré sont particulièrement dynamiques. Il faut d’ailleurs souligner les nombreuses actions qu’a engagées la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Par exemple en 2010, cette dernière a formé un recours devant le Conseil d’Etat contre la circulaire ministérielle du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre du PARCE. En effet, la FFAM considère que cette circulaire méconnait totalement la réglementation existante applicable aux ouvrages hydrauliques et leur caractère patrimonial et énergétique. Suite à la formulation de ce recours, le Conseil d’Etat s’est prononcé dans une décision du 14 novembre 2012 se traduisant par une annulation partielle de la circulaire de 2010. Par cette décision, le Conseil d’Etat précise que « les services de l’Etat ne peuvent intervenir sur les cours d’eau que dans le respect de la législation et règlementation existantes ». Il prononce plus particulièrement l’annulation de la circulaire en ce qui concerne l’interdiction d’installation de nouveaux ouvrages hydroélectrique sur des cours d’eau classés en liste 1 de l’article L 214-17. Cette décision permet de conforter la FFAM dans ses actions visant la protection des moulins de France. (A noter que le conseil général de l’environnement et du développement durable a publié en mars 2013, un rapport dans lequel il exprime les raisons de la contestation de cette circulaire).
Dans la continuité de ces actions, la FFAM a également saisi le 24 septembre 2012 le Tribunal Administratif d’Orléans, d’une demande d’annulation des arrêtés de classement des cours d’eau Loire-Bretagne en listes 1 et 2 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement. En effet, la FFAM considère que la mise en œuvre de ces arrêtés de classements n’ont pas fait l’objet d’une concertation, telle que le préconise la Convention d’Aarhus. D’autre part, elle estime que ces derniers n’ont pas apprécié à sa juste valeur le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau, laquelle prévoit de concilier la préservation de la ressource avec les différents usages.
Par ailleurs, il faut particulièrement citer un exemple symbolique de la lutte contre le démantèlement des ouvrages hydrauliques exercé par la FFAM.
Le barrage de Bigny situé sur le Cher, fut d’abord construit pour répondre aux besoins d’une usine de manufacture puis utilisé jusqu’aujourd’hui pour la production d’énergie renouvelable. Cependant, dans le but de rétablir la continuité écologique de cette partie du Cher telle que le préconise la LEMA de 2006, l’administration choisit de procéder à son démantèlement. En 2001, le préfet fixe par arrêté préfectoral l’autorisation de démanteler. La procédure d’autorisation que nécessite une telle opération est très complexe, mais, dans le cadre du barrage de Bigny celle-ci n’a pas été totalement respectée. Dans un tel contexte, le propriétaire du barrage a formé conjointement avec la FFFAM un recours devant le Tribunal Administratif d’Orléans, tendant à annuler l’arrêté d’autorisation de démanteler. Dans une décision du 18 juin 2013, le Tribunal prononce l’annulation de l’arrêté préfectoral d’autorisation d’araser.
Il est important de mettre l’accent sur le fait que d’autre recours ont été formés par la FFAM.
Les principaux recours jusqu’alors formés pour préserver les moulins de France, ont généralement été accompagnés d’une décision favorable. L’annulation de certaines dispositions règlementaires par les différentes juridictions prouve qu’il existe un certain nombre d’imperfections dans la mise en œuvre de la restauration de la continuité écologique. En effet, la réglementation adoptée dans le cadre de cette restauration ignore un certain nombre de facteurs et de principes fondamentaux. Elle méconnait les autres règlementations avec lesquelles elle doit s’articuler (la réglementation relative aux ouvrages hydrauliques, la réglementation relative à la transition énergétique). Elle méconnait également des enjeux majeurs, puisque le démantèlement d’un ouvrage hydraulique se traduit par la perte d’un patrimoine fort, d’une énergie renouvelable nécessaire pour lutter contre le changement climatique, de refuge pour les espèces aquatiques en période d’étiage.
S’il s’était avéré que les ouvrages constituaient la première cause du déclin des migrateurs et de la dégradation de la qualité des cours d’eau, à l’heure actuelle plus aucun cours d’eau ne serait peuplée par ces espèces.