
La qualification juridique du marché carbone
Par Lynda BIRRIOU
Ingenieur QSE : CHARGEE DE PROJET ENVIRONNEMENT
ERDF PARIS
Posté le: 15/09/2013 22:28
Le marché carbone est un instrument de lutte contre le réchauffement climatique, son intérêt réside dans l’échange à titre onéreux de quotas entre les installations émettrices de gaz à effet de serre soumises à cette réglementation : celles qui émettent trop de gaz doivent acquérir des quotas supplémentaires auprès de celles qui polluent moins que ne leur permettent leurs quotas, le nombre total de quotas correspondant aux engagements européens de réduction des émissions.
A. L’objet du marché carbone
Le système d’échange de quotas a un double objectif. Premièrement, il doit permettre à la Communauté européenne de respecter les engagements internationaux du Protocole de Kyoto. Deuxièmement, il anticipe la mise en place d’un marché mondial que la Communauté européenne continue d’appeler de ses vœux, montrant ainsi le volontarisme politique de la Commission européenne.
Selon une définition générale, un marché est un lieu formel ou virtuel sur lequel sont échangés des biens et services de nature diverse entre des acheteurs et des vendeurs, parfois par le biais d'intermédiaires. Le marché carbone n'échappe pas à cette définition mais il possède des traits particuliers.
En effet, dans un premier lieu, c'est un marché qualifié de marché "mono-produit" dans la mesure où il ne s'y échange qu'un seul type de bien (la tonne dioxyde de carbone) : une unité-valeur qui, quelle que soit son origine, représente, dans tous les échanges, la même valeur physique, soit une tonne métrique équivalent-dioxyde de carbone. Cependant, le marché différencie les unités-valeurs, n'assurant une substituabilité entre elles que pour certaines de ces unités-valeurs.
De plus, dans second lieu, le marché carbone, est un "lieu virtuel", et fortement réglementé. La création de valeurs et les transactions qui s'y rattachent reposent sur des systèmes de registres nationaux et internationaux reliés entre eux de façon structurée.
Et en dernier lieu, il est une création pure du droit puisque les valeurs qui s'y échangent sont des quotas ou crédits délivrés par des États ou les Nations unies.
D'ordinaire, le droit suit le marché mais dans le cas du marché carbone, il l'a précédé et l'a créé. Enfin, le marché carbone conçu originellement par le Protocole de Kyoto pour les États s'est ouvert, par l'adaptation du Protocole de Kyoto par les États, aux entreprises et a donné naissance à des intermédiaires financiers et boursiers [ ].
B. Nature juridique des quotas
1. Un bien meuble corporel matérialisé par une inscription en compte
Le quota d'émission ne pouvait pas être un bien corporel puisqu'il est impossible de l'appréhender physiquement. C'est d'ailleurs ce qui permet d'écarter rapidement l'assimilation du quota d'émission à une marchandise, le quota n'étant pas un meuble corporel [ ]. Il est simplement inscrit sur un registre électronique géré par les autorités nationales ou une personne morale désignée par décret en Conseil d'État [ ]. Il s'agit plutôt d'un bien incorporel et donc d'un droit, la détention du quota autorisant à émettre des gaz à effet de serre. Cependant, le quota d'émission n'est pas un bien incorporel attaché à un bien corporel, l'air n'étant pas un bien corporel. Il fait partie de ces droits qui ne se rattachent à aucun bien corporel, que le Doyen Carbonnier appelait les " biens incorporels absolus ".
La directive communautaire du SCEQE était assez précise, sauf sur la question de la qualification juridique des quotas d’émission de gaz à effet de serre. Il est donc revenu au législateur national, le gouvernement français en l’occurrence, de préciser la nature juridique de ces quotas d’émission en droit interne, épineuse question qui a donné lieu à des thèses les plus variées, exposées plus haut.
En droit national, L’ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 portant création d'un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre qualifie ces quotas de biens meubles corporels matérialisés par une inscription en compte.
L’ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 a introduit dans le code de l’environnement les dispositions suivantes. « Un quota d’émission de gaz à effet de serre est une unité de compte représentative de l’émission de l’équivalent d’une tonne de dioxyde de carbone » (art. L. 229-7). Le quota d’émission n’est donc pas une autorisation administrative en droit français. En revanche, sont à l’évidence des autorisations administratives l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre délivrée à chaque installation industrielle (la possibilité d’émettre) et la décision individuelle d’affectation de quotas d’émission aux entreprises par l’État (le quantum des émissions autorisées) dans le cadre du plan national d’affectation des quotas (PNAQ), visées à l’article L. 229-11 du code de l’environnement : « L’autorité administrative notifie aux exploitants des installations autorisées à émettre des gaz à effet de serre le montant total des quotas d’émission affectés au titre de chaque période couverte par un plan et la quantité délivrée chaque année » (alinéa 1er) et « les décisions d’affectation ou de délivrance et le plan national d’affectation des quotas (…) peuvent être contestés » (alinéa 2).
« Les quotas d’émission de gaz à effet de serre sont affectés par l’État pour une durée de trois ans pour la période du 1er janvier 2005 à titre gratuit » (art. 229-10) « puis par périodes de cinq ans, dans le cadre d’un plan national établi pour chaque période » (art. L. 229-8-I). « Puis par une durée de huit ans pour la période 2013 – 2020 » La durée de vie juridique des quotas d’émission est effectivement limitée dans le temps.
« Les quotas sont des biens meubles exclusivement matérialisés par une inscription au compte de leur détenteur dans le registre national pour les deux premières périodes (2005 -2007 et 2008 – 2012), puis par une inscription dans le registre européen pour la période (2013 – 2020) ». « Ils sont négociables, transmissibles par virement de compte à compte et confèrent des droits identiques à leurs détenteurs ». « Le transfert de propriété des quotas résulte de leur inscription, par le teneur du registre national, au compte du bénéficiaire » (art. L. 229-15-I). Le mode de circulation des quotas d’émission est identique à celui des valeurs mobilières, l’article L. 211-2 al. 1er CMF ayant servi de modèle de toute évidence : « Constituent des valeurs mobilières, les titres émis par des personnes morales (…) transmissibles par inscription en compte (…), qui confèrent des droits identiques par catégorie (…) ». Les quotas d’émission de gaz à effet de serre seraient donc, comme les valeurs mobilières, des biens meubles incorporels puisque dématérialisés.
L’ordonnance emploie l’expression troublante de « transfert de propriété des quotas », semblant confirmer implicitement que les quotas d’émission font l’objet d’un droit de propriété en droit français, la solution des autorisations administratives cessibles ayant ainsi été heureusement écartée car elle heurtait par trop la tradition juridique française (incessibilité de principe des autorisations administratives, délivrées intuitu personae).
« L’exploitant ne peut céder les quotas qu’il détient que dans la limite de ceux qui lui ont été délivrés au titre d’une installation et d’une année déterminée » (art. L. 229-18-I) : la vente de la chose d’autrui est donc nulle, en application de l’adage « Nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a ».
« Les quotas d’émission peuvent être acquis, détenus et cédés par tout exploitant d’une installation au titre de laquelle a été délivrée par un État membre de la Communauté européenne une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre » (art. L. 229-15-II). L’autorisation administrative est donc bien celle consistant pour un industriel à pouvoir rejeter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et non pas les quotas d’émission de ces mêmes gaz, dont le nombre total attribué à chaque industriel représente la quantité maximale qu’il peut effectivement émettre sans encourir de sanctions financières.
En fin, selon Code monétaire et financier, le quota n'est pas un instrument financier au sens de l'article L. 211‐1 du même s'il peut faire l'objet de transactions sur un marché.