
Les outils règlementaires de protection des poissons migrateurs : Focus sur les plans de gestion nationaux.
Par Soledad LEMBOURG
Juriste Environnement
Sialis
Posté le: 06/09/2013 14:26
Les poissons migrateurs amphihalins ont la particularité de vivre dans des milieux écologiquement remarquables. En effet, leur survie dépend d’un certain nombre d’éléments environnementaux : un bon état écologique et chimique des eaux, des habitats fonctionnels, une eau froide, des eaux vives facilitant la migration du cours d’eau jusqu’à la mer. Leur présence témoigne alors du très bon état écologique et chimique des cours d’eau, et pour lesquels la continuité écologique est assurée.
Seulement, depuis quelques années nous constatons un déclin inquiétant des espèces migratrices dans les cours d’eau de France. Un état des lieux des poissons d’eau douce a d’ailleurs été réalisé en 2009, par le comité français de l’UICN et le Muséum national d’Histoire naturelle. Celui-ci met en exergue, la situation particulièrement préoccupante des poissons migrateurs amphihalins. La dégradation de la qualité des cours d’eau par les pollutions diffuses, est la principale menace de ces espèces aujourd’hui fortement fragilisées. La seconde résulte des ouvrages hydrauliques jouant pour beaucoup un rôle d’obstacle à la circulation leur permettant d’accomplir leur cycle biologique. De surcroit, ces menaces sont d’autant plus renforcées par la pratique de la pêche et du braconnage. Dans ce contexte, un certain nombre d’espèces migratrices amphihalines ont fait l’objet d’une introduction à la liste rouge des espèces menacées, élaborée par le comité français de l’UICN.
En définitif, il faut bien comprendre que la fragilité de ces espèces justifie le mauvais état écologique et chimique des cours d’eau, sur lesquels la continuité écologique n’est pas assurée. La protection des migrateurs amphihalins en danger d’extinction, est donc nécessaire pour contribuer à la restauration de la continuité écologique, et à plus forte raison pour atteindre le bon état en 2015.
Cela a alors conduit la France à renforcer sa réglementation en faveur de la protection de ces migrateurs. Aujourd’hui, ils font l’objet d’une protection nationale, grâce à l’adoption de plans de gestion nationaux, spécialement élaborés pour leur préservation.
I - Le PLAGEPOMI
Un décret n° 94-57 1994, relatif à la pêche des poissons appartenant aux espèces vivant alternativement dans les eaux douces et les eaux salées, a été adopté le 16 février 1994. Les dispositions de ce décret codifiées aux articles R 436-47 à R 436-68, visent la création d’un comité de gestion des poissons migrateurs (COGEPOMI) dans chaque grand bassin fluvial. Ce sont des instances de concertation permettant aux différents acteurs, de s’entendre sur les mesures qui permettront d’assurer efficacement la préservation des poissons migrateurs dans les cours d’eaux. Il s’agit notamment des élus territoriaux, des propriétaires riverains, des administrations de l’Etat, des organisations scientifiques et techniques et d’usager/pêcheur selon un arrêté ministériel du 15 juin 1994.
Les COGEPOMI ont pour principale mission d’élaborer un plan de gestion quinquennal de protection des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) pour le bassin qui le concerne. Une fois adopté, il fait l’objet d’une publication au recueil des actes administratifs de chaque département concerné. Le plan de gestion permet de donner un cadre règlementaire aux actions mises en œuvre pour la préservation des migrateurs amphihalins suivants : la lamproie marine, la lamproie fluviatile, la truite de mer, le saumon atlantique, l’alose feinte, la grande alose et l’anguille. Ces actions visent à protéger ces espèces à travers l’encadrement de la pêche notamment (limiter les pèches, fixer une quantité maximum pouvant être pêchée etc.), mais également à travers le rétablissement de la libre circulation, et la reconquête des habitats etc.
Pour assurer l’efficacité de ces mesures, le COGEPOMI est chargé d’exposer aux pêcheurs les règles à respecter pour assurer la pérennité de ces espèces. Il doit également veiller à adapter et améliorer le PLAGEPOMI en fonction de l’évolution législative et règlementaire.
Parmi les migrateurs amphihalins, dont la protection est gérée par les PLAGEPOMI depuis 1993, l’anguille fait également l’objet d’un plan de gestion nationale à elle seule. Il s’agit du plan de gestion Anguille, dont les règles doivent désormais être intégrées au niveau local par les PLAGEPOMI. Effectivement, la population d’anguille en Europe décline progressivement, elle est fortement fragilisée par les pollutions d’origine agricole. En France notamment, le nombre de civelles a chuté de 90 pour cent depuis les années 1980. L’Europe a alors réagi pour assurer leur pérennité.
II - Le plan Anguille
La Commission européenne a publié le 18 septembre 2007, un règlement établissant des actions concrètes en faveur de la reconstitution du stock d’anguille. Ce règlement impose à l’ensemble des Etats membres, l’élaboration d’un plan de gestion de protection de l’anguille. Conformément au règlement européen, la France a alors procédé à la mis en œuvre d’un plan de gestion nationale anguille. Celui-ci, a été approuvé par une décision en date 15 février 2010 de la Commission européenne. Un décret publié au Journal Officiel le 22 septembre 2010, a notamment pris pour application ce règlement (CE) 1100/2007.
Le pilotage du plan français pour l’anguille est mené par le ministère de l’écologie et du développement durable et celui chargé des pêches maritimes. Il est conduit pour une période de trois ans, renouvelable jusqu’en 2018. Sa mise en place vise à contribuer à la préservation et à la restauration du stock anguille. Dans cette optique, des mesures règlementaires ont été établies pour agir spécifiquement sur l’ensemble des causes entrainant leur mortalité. Ces mesures portent notamment, sur la lutte contre le braconnage, le repeuplement des cours d’eau, l’encadrement de la pêche (réduction des quotas de capture, réduction des effectif etc.), l’amélioration de la qualité de l’eau en agissant notamment sur les polluant ou encore le renforcement des contrôles des polices de l’eau. Ces actions ont été validées par le Conseil d’état dans un arrêt du 12 juillet 2013.
Mais, ces mesures règlementaires agissent en priorité sur les ouvrages hydrauliques représentant un obstacle à la migration de l’anguille. Ce volet « obstacle » représente l’un des enjeux ambitieux du plan de gestion. En effet il fixe comme objectif, le démantèlement ou l’aménagement de 1500 ouvrages prioritaires à l’horizon 2015. En agissant sur le fonctionnement hydromorphologique des cours d’eau, le plan anguille vise à assurer le périple migratoire de cette espèce. Le plan anguille, contribue en ce sens à la restauration de la continuité écologique. Les actions de ce plan de gestion prévues sur les ouvrages, sont d’ailleurs intégrées au PARCE.
Les moyens mis en œuvre depuis 1993 pour gérer la protection des migrateurs amphihalins, ont notamment été renforcés par l’élaboration d’une stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs amphihalins.
III - La stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs
En 2010, le ministère du développement durable a élaboré une stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs amphihalins. D’orientation nationale, cette stratégie vise à assurer la cohérence de l’ensemble des actions mises en œuvre dans le cadre de la gestion des poissons migrateurs.
L’objectif de cette stratégie est d’élaborer des actions concrètes et efficaces permettant la gestion de la protection des migrateurs amphihalins. Ce sont des groupes techniques constitués d’acteurs impliqués dans cette préservation qui ont concouru à la création de ces mesures. La priorité est donnée à la rénovation de la gouvernance de la politique en charge de la gestion des poissons migrateurs, mais également à l’amélioration et la communication des connaissances. D’autres actions permettent par ailleurs de réduire ou supprimer les causes directes de mortalité de ces espèces. Effectivement, la stratégie nationale favorise essentiellement les actions agissant sur les obstacles à la libre circulation des espèces elles- mêmes, à savoir les ouvrages hydrauliques. Ces derniers représentent l’une des principales causes du déclin des espèces migratrices amphihalines. Le but, est alors de restaurer le paramètre hydromorphologique des cours d’eau à fortiori la restauration de la continuité écologique. Pour ce faire, la stratégie privilégie l’effacement total ou partiel des ouvrages dépourvus d’usage économique ou à défaut, l’équipement de dispositif de franchissement piscicole dont l’efficacité doit être assuré à long terme. L’ensemble de ces actions permettront alors de rétablir la libre circulation de ces espèces et la restauration de leurs habitats, précédemment fragmentés par la présence de ces ouvrages problématiques.
La stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs, est intégrée à l’ensemble des plans de gestion nationaux ayant pour objet, la protection des migrateurs amphihalins. Cette intégration permet de garantir une certaine cohérence des actions mise en œuvre dans ce domaine, au niveau national. Ces actions sont principalement financées par les agences de l’eau, les collectivités territoriales ou encore les maitres d’ouvrages.