
Le démantèlement des ouvrages hydrauliques : Une priorité de la politique de l’eau en France.
Par Soledad LEMBOURG
Juriste Environnement
Sialis
Posté le: 06/09/2013 14:16
Aujourd’hui, les ouvrages hydrauliques sont considérés comme des facteurs de dégradation de la continuité écologique des cours d’eau. Ils constituent en ce sens, un risque majeur de non atteinte des objectifs de bon état en 2015. Pour garantir le respect des exigences européennes, le dispositif règlementaire de l’eau a conduit à la mise en œuvre d’actions de restauration de la continuité écologique. Parmi ces actions, la priorité est clairement donnée aux opérations de démantèlement des ouvrages hydrauliques.
L’opération de démantèlement des ouvrages est un mouvement apparu aux Etats-Unis dans les années 1990 (I), pour laquelle une procédure administrative spéciale doit être respectée (II).
I - Contexte
Dès l’Antiquité, l’Homme a éprouvé le besoin d’aménager les cours d’eau. Des ouvrages hydrauliques ont été construits pour satisfaire différents usages : la navigation, la consommation, les loisirs, la pêche. Au fil des siècles, l’aménagement des cours d’eau est employé à des fins différentes. Les ouvrages contribuaient et contribuent toujours à protéger des enjeux d’intérêt général (lutte contre les inondations, réduction des gaz à effet de serre). Ils sont également construits pour soutenir une activité économique par l’utilisation de l’énergie hydraulique. Les cours d’eau français ont ainsi été fortement marqués par l’aménagement de très nombreux ouvrages, essentiellement de moulins. L’ONEMA en 2010, a d’ailleurs recensé la présence de 60 000 ouvrages en France. Cependant, les ouvrages hydrauliques soulèvent dès le XIXe siècle un certain nombre de problèmes, notamment au regard des grands migrateurs. Aujourd’hui, les administrations de l’eau considèrent les ouvrages hydrauliques comme une entrave à la continuité écologique des cours d’eau. Les seuils, les barrages jouent en effet un rôle d’obstacle :
- à la libre circulation piscicole : certaines espèces migratrices, notamment amphihalines, se déplacent alternativement entre les cours d’eau et la mer. Durant leur périple migratoire, elles circulent entre les zones de reproduction, de nourriture, de repos. Certains ouvrages sont infranchissables, ils conduisent alors au déclin de ces espèces, incapable d’accomplir leur cycle biologique.
- et au transport naturel des sédiments grossiers : l’effet obstacle a pour conséquence de bloquer les sédiments dans la retenue d’eau formée en amont des ouvrages. Cette accumulation de matériaux solides entrainent des désordres physiques tels que l’érosion, la disparition des habitats indispensables à certaines espèces aquatiques etc.
En France, la présence de ces ouvrages constitue un risque de non atteinte du bon état des masses d’eau en 2015. Pour garantir le respect de ses engagements pris envers l’Europe, la France a donc mis en œuvre des actions de restauration de la continuité écologique. Ces actions sont de différents ordres, et sont menées sur les ouvrages hydrauliques eux-mêmes. Elles concernent principalement les obstacles ayant été recensés par le référentiel de l’ONEMA, comme un obstacle à l’écoulement.
Prioritairement, le dispositif législatif et règlementaire de l’eau exige le démantèlement des ouvrages hydrauliques. Ce processus est considéré comme le moyen le plus efficace pour restaurer la continuité écologique des cours d’eau dans son intégralité. Il est préconisé pour plus de 2000 ouvrages d’ici 2015. La France s’est donc engagée dans une politique de démantèlement quasi systématique des ouvrages hydrauliques. Ce processus concerne les ouvrages n’ayant plus d’intérêt économique, patrimonial ou paysager. Pour les ouvrages ayant conservé l’un de ces intérêts, des solutions alternatives existent. Généralement les propriétaires riverains reçoivent l’obligation d’équiper leurs ouvrages d’un dispositif de franchissement piscicole, mais l’ouverture des vannes, la réduction de la hauteur de l’ouvrage, l’effondrement naturel du seuil sont également envisageables. Cependant, ces actions ne sont pas privilégier par l’administration puisqu’elles sont particulièrement contraignantes. En effet, l’unicité des ouvrages nécessite une analyse au cas par cas pour assurer l’efficacité de l’action envisagée. Ces analyses représentent une perte de temps pour les autorités en charge de l’eau, qui ont organisé une véritable course contre la montre pour restaurer la continuité écologique en 2015. D’autre part, les actions mise en œuvre ne sont adaptées qu’à certaines espèces aquatiques, en ce sens leur efficacité n’est que relative.
Même si des alternatives existent, elles ne constituent que des actions intermédiaires au démantèlement de la totalité des ouvrages hydrauliques, présents sur les cours d’eau de France. Les Agences de l’eau vont d’ailleurs dans ce sens, puisqu’elles accordent des subventions beaucoup plus importantes au démantèlement qu’à l’aménagement des ouvrages hydrauliques, et ce depuis l’adoption du 10ème programme.
C’est aux Etats-Unis que le dispositif de démantèlement des ouvrages hydrauliques, appelé « Dam Removal », s’est développé. Ce mouvement s’est accéléré dans les années 1990, lorsque de nombreuses organisations internationales protectrices de l’environnement ont multiplié les campagnes de lutte contre la construction croissante d’ouvrages hydrauliques. Ces actions ont permis de mettre en exergue, les enjeux liés à l’édification de ces ouvrages :
- des enjeux d’ordre environnemental : un ouvrage peut constituer un obstacle à la migration des poissons, laquelle est nécessaire à l’accomplissement de leur cycle de vie.
- des enjeux d’ordre social et sécuritaire : la vétusté d’un ouvrage constitue une menace pour les populations (inondations, affaissement d’un pont).
- des enjeux d’ordre économique ont également été mis en avant.
Dans un tel contexte, les autorités publiques américaines ont été amenées à procéder aux démantèlements de près de 1000 ouvrages hydrauliques.
Progressivement, le Dam Removal a traversé l’Atlantique pour venir s’implanter en France. Effectivement, celle-ci s’est engagée dans un processus de démantèlement quasi systématique des ouvrages. La première opération de démantèlement s’est déroulée en 1996, sur le barrage de Kernansquillec en Bretagne. En ruine, le barrage présentait des risques de rupture et d’inondation, devenus synonyme d’insécurité pour les populations riveraines. Ce dernier, faisait également figure d’obstacle à la libre circulation des saumons. Alors, pour des raisons de sécurité publique, mais aussi dans le but de restaurer la continuité écologique du Leguer, le gouvernement a procédé à son démantèlement. Le barrage de Kernansquillec fait ici figure d’exemple, puisque la continuité écologique de cette partie du Léguer a été restaurée. Il confirme ainsi l’efficacité du processus de démantèlement, et encourage la France à poursuivre son engagement.
A compté de cette date, la France apparaît alors comme le pays précurseur du Dam Removal en Europe, mouvement qui ne s’est pas répandu de manière significative au sein de la Communauté européenne. Un second exemple de réussite peut d’ailleurs être cité, celui du barrage de Maisons-Rouges sur la Vienne. Depuis sa construction, le déclin de certains migrateurs avait été constaté, en effet le barrage jouait un rôle d’obstacle à leur franchissement. Le démantèlement du barrage de Maisons-Rouges s’est alors opéré en 1998. Cette action a largement favorisé la reconquête de la continuité écologique du cours d’eau, les habitats sont devenus a nouveau accessibles aux espèces aquatiques et les migrateurs ont recolonisé la Vienne.
Cependant, aujourd’hui la politique active de démantèlement des ouvrages hydrauliques voit plus grand. Le 13 novembre 2009, Chantal JOUANNO a annoncé le démantèlement des barrages de Vezins et de la Roche-qui-boit. L’état de délabrement de ces ouvrages constitue un danger majeur pour les populations riveraines. Mais ce n’est pas tout, la présence de ces deux grands barrages représentent des obstacles insurmontables à la migration des poissons vivant dans ce cours d’eau. L’Etat s’est donc engagé à démanteler pour la période 2013-2017, les deux barrages dont il est propriétaire sur la Sélune. Selon le site « la Manche libre » : « le démantèlement des barrages de Vezins et La Roche-qui-boit est un cas unique en Europe et dans le monde ». Le site de la préfecture de la Manche a d’ailleurs publié une étude comparative des opérations de démantèlement d’ouvrages hydrauliques réalisés dans le monde. Cette étude justifie de façon très claire, le caractère unique du projet. En 2017, la Sélune sera le premier cours d’eau pour lequel la continuité écologique aura été restaurée sur la totalité de son parcours.
Certes, le démantèlement des ouvrages hydrauliques est considéré comme la mesure la plus efficace, pour restaurer définitivement la franchissabilité des espèces et le transport naturel des sédiments. Cependant, les effets de ces opérations ne sont toujours pas connus des scientifiques. L’aménagement d’un cours d’eau est généralement associé à de nombreux bouleversements exercés ur le milieu et les espèces aquatiques, mais le plus souvent un nouvel équilibre écologique s’est installé. Le démantèlement d’un ouvrage peut donc avoir une conséquence négative sur ce nouvel équilibre, qui n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Les opérations de démantèlement d’un ouvrage hydraulique doivent donc être réalisées avec beaucoup de précaution. C’est pourquoi ces opérations nécessitent le respect d’une procédure administrative particulière, respectueuse de l’environnement.
II - Le respect d’une procédure administrative particulière
Le démantèlement des ouvrages hydrauliques est considéré en France, comme la mesure la plus efficace pour restaurer la continuité écologique des cours d’eau. Elle constituerait donc la condition sinequanone, pour atteindre l’objectif de bon état en 2015. Cependant, les conséquences d’une telle opération sont aujourd’hui toujours inconnues, les effets sur l’environnement pourraient être irréversibles. C’est pourquoi, les travaux de démantèlement sont préalablement soumis à une procédure particulière.
La loi sur l’eau de 1992 codifié à l’article L 210-1 du code de l’environnement, encadre les travaux exclusivement réalisés sur les milieux aquatiques, tels que les travaux de démantèlement des ouvrages hydrauliques. Cet encadrement permet de prévenir les atteintes que pourraient causer de telles opérations, sur la continuité écologique des cours d’eau. Pour ce faire, la loi précise le respect de deux procédures préalables à la réalisation des travaux : la procédure de déclaration ou la procédure d’autorisation. Le choix de la procédure s’exerce au regard des dangers que représentent les travaux sur les milieux aquatiques et la sécurité publique. La nomenclature eau annexée à l’article R 214-1 du code de l’environnement, précise d’ailleurs les procédures auxquels sont associés les différents travaux.
Pour les projets de travaux de démantèlement d’un ouvrage hydraulique :
- lorsque les impacts sont minimes, les travaux ne nécessitent pas le respect d’une procédure préalable. Un simple arrêté de prescription peut suffire pour encadrer les travaux.
- lorsque les impacts sur le milieu aquatique sont importants, une procédure de déclaration est exigée. Le maître d’ouvrage doit déposer un dossier de déclaration auprès du préfet du département, dont le contenu est défini à l’article R 214-32 du code de l’environnement. Le préfet dispose d’un délai de deux mois pour émettre un avis favorable ou non, passé ce délai le silence vaut acceptation du dossier de déclaration. Un récépissé de déclaration est ainsi délivré pour assurer la réalisation des travaux.
- lorsque les impacts sur le milieu aquatique sont conséquents, une procédure d’autorisation est exigée. Le maître d’ouvrage adresse au préfet un dossier d’autorisation, dont le contenu est défini à l’article R 214-6 du code de l’environnement. Cette procédure est relativement longue, dans la mesure où elle nécessite l’exécution d’une enquête publique d’une duré de six à huit mois environ. Une fois le délai expiré, le préfet clôture l’enquête publique et délivre ou non un arrêté préfectoral autorisant la réalisation des travaux.
La réalisation des travaux de démantèlement doit obligatoirement débuter, après la mise en œuvre de la procédure de déclaration ou d’autorisation, à condition que celles-ci aient été accompagnées de la délivrance du récépissé d’autorisation ou de déclaration. A défaut, les travaux doivent automatiquement cesser.
Par ailleurs, la constitution d’un dossier d’autorisation ou de déclaration préalable aux travaux de démantèlement, doit obligatoirement s’accompagner d’une étude d’impact. La réalisation de cette étude est une exigence introduite par la loi de protection de la nature du 10 juillet 1976, codifiée aux articles L 122-1 à 3 du code de l’environnement. Elle vise à apprécier les effets négatifs que pourrait engendrer la réalisation des travaux sur le milieu aquatique et la sécurité publique, afin de les supprimer ou les réduire. L’étude d’impact doit contenir un certain nombre d’éléments : une analyse de l’état initial du site et de son environnement, une analyse des effets du projet sur l’environnement et les mesures envisagées par le maître d’ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer ou réduire les conséquences dommageables du projet sur l’environnement etc. Les projets soumis à étude d’impact doivent également faire l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000.
L’autorité compétente pour délivrer l’autorisation ou la déclaration sera donc tenue de prendre compte les analyses de l’étude d’impact et de l’évaluation des incidences Natura 2000. Si le projet de démantèlement de l’ouvrage hydraulique se révèle être particulièrement dommageable pour le milieu aquatique, le préfet interdira la réalisation des travaux.
D’autre part, lorsque les travaux de démantèlement financés par des fonds publics sont destinés à être réalisés sur une propriété privée, la constitution d’une déclaration d’intérêt général (DIG) est nécessaire. La DIG a été introduite par la loi sur l’eau de 1992 pour assurer « l’exécution de tous travaux, ouvrages et installations présentant un caractère d’intérêt général » (article L 211-7 du code de l’environnement). Le recours à cette procédure permet notamment de simplifier les démarches administratives, de légitimer les travaux sur les propriétés privées avec des fonds publics, faire participer financièrement les personnes trouvant un intérêt au démantèlement de l’ouvrage. Elle doit être conjointement constituée au dossier de demande de déclaration ou d’autorisation.
La procédure d’adoption de la DIG consiste en premier lieu pour le maître d’ouvrage à constituer un dossier d’enquête publique préalable. Ce dossier justifie principalement l’intérêt général, mais son contenue varie selon la procédure à laquelle sont soumis les travaux. Une fois le dossier constitué, il est déposé en sept exemplaires à la préfecture. Le préfet fixe alors par arrêté préfectoral, l’ouverture de l’enquête publique pour une durée de deux semaines. A l’expiration de ce délai, le dossier est transmis au commissaire enquêteur qui émet un avis et des conclusions motivées. A nouveau, le dossier est transmis au préfet qui clôture l’enquête publique. Le dossier est alors porté à la connaissance du pétitionnaire, qui dispose d’un délai de quinze jours pour émettre ses observations. En second lieu, le préfet fixe par arrêté le caractère d’intérêt général ou d’urgence des travaux de démantèlement.
Lorsque le préfet a autorisé par arrêté préfectoral la réalisation des travaux (soumis à déclaration ou à autorisation), le démantèlement de l’ouvrage peut débuter. A l’issue de l’opération de démantèlement de l’ouvrage, le propriétaire est astreint à une obligation de remise en état du site prévue à l’article L 214-3-1 du code de l’environnement selon lequel : « […] l’exploitant, ou à défaut le propriétaire remet le site dans un état tel, qu’aucune atteinte ne puisse être portée à l’objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau défini par l’article L 211-1. Il informe l’autorité administrative de la cessation de l’activité et des mesures prises. Cette autorité peut à tout moment lui imposer des prescriptions pour la remise en état du site. […] Ces dispositions ne sont pas applicables aux installations, ouvrages et travaux des entreprises hydrauliques concédés au titre de la loi du 16 octobre 119 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique. »
L’obligation de remise en état implique donc pour le propriétaire, de ne pas laisser subsister un ouvrage à moitié démantelé susceptible de présenter des risques pour la sécurité publique. L’annexe II fiche 2 de la circulaire du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre du PARCE, précise d’ailleurs que l’état final du cours d’eau doit présenter les aspects d’une gestion équilibrée de l’eau.