Face aux risques naturels particulièrement importants en zone de montagne (I), la réglementation relative à la sécurité des retenues d’altitude a été renforcée afin de satisfaire aux exigences de la sécurité publique (II). La station des Deux Alpes envisage plusieurs projets d’installations de neige de culture, dont l’un requière la création d’une nouvelle retenue d’altitude (III).



I. Les enjeux de la maîtrise des risques naturels en montagne

Le développement de l’enneigement « artificiel », compte tenu des tensions saisonnières qui accompagnent la ressource en eau, s’accompagne de la création de réservoirs qui permettent d’étaler les prélèvements, et ainsi de réduire leur incidence sur les cours d’eau et l’alimentation en eau potable en hiver. D’après le guide de recommandations du Cemagref de 2008 (Baltizur), le parc français de retenues d’altitude comprend environ 115 ouvrages de plus de 10.000 m3 et pourrait connaître une forte expansion, les projets connus représentant le quart de l’effectif présent à l’époque du rapport.

Malgré leur taille relativement modeste, les retenues d’altitude comportent des risques pour la sécurité publique en raison des aléas spécifiques aux zones montagneuses et à la vulnérabilité des zones aval. Les conditions météorologiques, géotechniques, topographiques en haute montagne rendent leurs travaux de construction particulièrement délicats. Les aléas habituels tels que les séismes sont présents ainsi que les aléas spécifiques tels que les avalanches, les phénomènes torrentiels, les chutes de rochers. Les retenues d’altitude sont par ailleurs difficiles d’accès pour la surveillance. Elles sont « perchées » au-dessus de zones vulnérables urbanisées avec un grand dénivelé, ce qui pourrait aggraver les effets d’une rupture.

En 1998, le dépôt du dossier du projet de la retenue d’altitude de la Lovatière (La Plagne, Savoie), située dans une zone exposée aux avalanches et en amont d’hébergements touristiques, constitue un tournant dans l’instruction des dossiers de retenues d’altitude, explique P. Paccard. « Alors que les préoccupations centrales des services instructeurs étaient principalement le respect des milieux aquatiques, avec pour effet une certaine incitation à la réalisation d’ouvrages de retenue en lieu et place des prises d’eau directes dans les cours d’eau, la question du risque devient centrale dans l’instruction des dossiers » (Evette et al., 2008 ; Lenfant, 2010). On parle alors de « retenues d’altitude » et non plus de retenues collinaires.

D’après le guide Baltizur, une retenue d’altitude sur deux intéresse la sécurité publique au sens où la rupture de la partie en remblai de l’ouvrage ou l’expulsion brutale du volume d’eau stockée aurait des conséquences graves pour les personnes et les biens situés en aval.

L’utilisation de retenues d’altitude impose donc le strict respect de règles de conception, de construction, de mise en eau, d’exploitation et de surveillance.



II. Le dispositif réglementaire de sécurité des retenues d’altitude

La réglementation relative à la sécurité des retenues d’altitude constitue un volet de la législation sur l’eau. L’article L. 211-3, alinéa III, du Code de l’environnement dispose en effet « qu’un décret en Conseil d’Etat détermine :

1° Les règles destinées à assurer la sécurité des ouvrages hydrauliques autres que les ouvrages concédés en application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique. Ces règles portent sur les modalités de surveillance des ouvrages par le propriétaire ou l’exploitant et peuvent prévoir, pour certains ouvrages, l’intervention, aux frais du propriétaire ou de l’exploitant, d’organismes agréés.

2° Les modalités selon lesquelles l'autorité administrative procède à l'agrément des organismes et assure le contrôle du respect des règles visées au 1° ;

3° Les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut demander au propriétaire ou à l'exploitant d'un ouvrage visé à l'article L. 214-2 du présent code ou soumis à la loi du 16 octobre 1919 précitée la présentation d'une étude de dangers qui expose les risques que présente l'ouvrage pour la sécurité publique, directement ou indirectement en cas d'accident, que la cause soit interne ou externe à l'ouvrage. Cette étude prend en compte la probabilité d'occurrence, la cinétique et la gravité des accidents potentiels selon une méthodologie qu'elle explicite. Elle définit et justifie les mesures propres à réduire la probabilité et les effets de ces accidents. »

Le décret n°2007-1735 du 11 décembre 2007 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques et au comité technique permanent des barrages et des ouvrages hydrauliques et modifiant le Code de l'environnement détermine les modalités d’application de cet article. Il établit un classement des barrages selon qu’ils relèvent du régime d’autorisation ou de déclaration en application des articles R. 214-112 et R. 214-1 du Code de l’environnement.

Une rubrique relative aux barrages de retenue (rubrique 3.2.5.0) a été ajoutée dans la nomenclature des IOTA par le décret du 29 mars 1993 permettant d’assurer une meilleure prise en compte des impératifs de la sécurité publique.

La majorité des projets de retenues d’altitude relève de l’autorisation (classe C ou B), soit directement, soit en raison du prélèvement qui l’alimente. Il convient alors de respecter la procédure d’autorisation définie aux articles R. 214-6 à R. 214-31 du Code de l’environnement. Le dossier de demande doit ainsi comprendre les consignes de surveillance de l’ouvrage en toute circonstance et d’exploitation en période de crue, une note décrivant les mesures de sécurité pendant la première crue, les incidences du projet sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l’écoulement et la mise en eau.

En application de l’article R. 214-114 du Code de l’environnement, le préfet peut, par décision motivée, modifier le classement d’un ouvrage s’il estime que le classement résultant directement des dispositions réglementaires « n’est pas de nature à assurer la prévention adéquate des risques qu’il créé pour la sécurité des personnes et des biens ». Ainsi, un ouvrage classé en D pourra être reclassé en C et soumis au régime de l’autorisation si le préfet le décide.

L’arrêté du 29 février 2008 fixe les prescriptions relatives à la sécurité et à la sûreté des ouvrages hydrauliques. Ainsi, les articles R. 214-112 à R. 214-151 définissent les règles relatives à ces barrages, notamment concernant la conception, la maîtrise d’œuvre, qui nécessite un agrément, l’exécution des travaux, la première mise en eau, l’exploitation et la surveillance de l’ouvrage, ainsi que le registre de données pour assurer la traçabilité.

Les articles L. 214-115 à R. 214-117 du Code de l’environnement imposent une étude de dangers pour les barrages de classe A ou B. En vertu de l’article L. 214-115 II, « pour les ouvrages existant à la date du 1er janvier 2008, le préfet notifie aux personnes mentionnées au I l'obligation de réalisation d'une étude de dangers pour chacun des ouvrages concernés, et indique le cas échéant le délai dans lequel elle doit être réalisée. Ce délai ne peut dépasser le 31 décembre 2012, pour les ouvrages de classe A, et le 31 décembre 2014, pour les autres ouvrages mentionnés au I ».

Une circulaire du 8 juillet 2008 relative au contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques précise le rôle des préfets et des services déconcentrés de l’Etat. Les services de police de l’eau sont chargés d’instruire les dossiers d’autorisation et de déclaration des nouveaux ouvrages et de préparer les arrêtés, notamment de classement de l’ouvrage ou les modalités de mise en eau. Ils recensent les ouvrages existants relevant de la nouvelle réglementation, les classent dans les nouvelles catégories A, B, C ou D et préparent les prescriptions complémentaires notamment celles relatives à la surveillance. Ils vérifient également la conformité des ouvrages avec les dispositions réglementaires et peuvent intervenir par des inspections périodiques.

Enfin, de tels projets d’ouvrages sont soumis à étude d’impact en vertu de l’article R. 122-2, alinéa I, 17° du Code de l’environnement.



III. Les projets d’enneigement sur le domaine skiable des Deux Alpes

Outre les aménagements existants pour la neige de culture (A), le développement de cette dernière sur le domaine skiable des Deux Alpes pourrait s’intensifier avec certains projets à l’étude (2).


A. Le réseau de neige de culture du domaine skiable des Deux Alpes

Le domaine skiable des Deux Alpes comprend 420 hectares de pistes et s’étend entre 1.300 mètres et 3.568 mètres d’altitude. Le glacier de Mont de Lans permet d’assurer une activité de ski toute l’année. En décembre 2009, 58 hectares de pistes étaient équipés avec 208 enneigeurs, entre 1.300 mètres et 2.100 mètres d’altitude, soit un taux d’équipement de 14%. Soixante hectares de pistes environ sont situés sur le glacier et disposent d’un enneigement assuré. Au total, l’enneigement est de 118 hectares, soit 28% du domaine.

Pour l’approvisionnement en eau pour la neige de culture, la station dispose d’un lac artificiel, le Grand Plan du Sautet, d’une capacité de 198.800 m3. Il intercepte un bassin versant de 336 hectares. Ce lac a été initialement aménagé au début des années 1990 pour la sécurisation de l’alimentation en eau potable qui est d’usage prioritaire.

Les besoins supplémentaires pour la neige de culture sur le domaine skiable des Deux Alpes sont estimés à 300.000 m3 pour assurer l’enneigement des axes principaux de la partie haute du domaine.


B. Les projets à l’étude pour le domaine skiable des Deux Alpes

L’intercommunalité des Deux Alpes envisage deux projets afin d’agrandir les réseaux de neige de culture de la station. L’un porte sur la création d’une nouvelle retenue d’altitude (1) alors que l’autre envisage les prélèvements en eau pour les enneigeurs dans un barrage hydroélectrique (2)

1. Le projet de retenue d’altitude de la Mura

Les besoins estimés pour la neige de culture de la station des Deux Alpes pourraient être obtenus grâce au projet de retenue de la Mura, lequel prévoit la construction d’une retenue d’altitude de 350.000 m3 (307.500 m3 en volume utile) d’une superficie de 4,25 hectares au lieu-dit de la Brèche de la Mura, à 2.800 mètres d’altitude. Ce projet permettrait d’équiper 118 hectares de pistes, soit 34% du domaine. Avec les 60 hectares de pistes du glacier, 48% du domaine serait ainsi assuré d’un enneigement.

Les nouvelles pistes seraient situées principalement dans le sous-bassin versant du Grand Plan du Sautet (bassin versant de la Pisse), mais aussi dans le bassin versant du Diable. La retenue serait située en tête du bassin versant qui alimente le Torrent du Diable et aurait un bassin d’alimentation de 40 hectares. Son approvisionnement serait assuré majoritairement (35 hectares) par l’amont du bassin versant qui alimente le Grand Plan du Sautet, les eaux étant dérivées vers la retenue à l’aide d’une cunette de dérivation.

En année moyenne, la retenue devrait être remplie fin octobre par les apports gravitaires. Néanmoins, pour pallier le manque d’eau en année sèche, un remplissage complémentaire est prévu à partir des eaux du Grand Plan du Sautet. Un prélèvement complémentaire limité à 150.000 m3 est prévu sur la période du 1er mai au 31 octobre, dont 80.000 m3 entre septembre et fin octobre.

Le projet de la Mura a été soumis à la préfecture de l’Isère, mais en pratique l’instruction d’un dossier peut prendre plusieurs années. D’après le responsable d’exploitation du domaine skiable des Deux Alpes, ce projet est pour l’instant en suspens dès lors que la station parvient à optimiser les installations déjà existantes. La Direction départementale des territoires de l’Isère nous a également indiqué son scepticisme quant à la mise en œuvre de ce projet qui présenterait trop d’impacts sur les milieux naturels.

En solution de substitution, l’intercommunalité des Deux Alpes a également songé au réapprovisionnement d’un lac naturel, le Lac noir, lequel perd progressivement de son volume d’eau et pourrait ainsi être réalimenté en eau afin d’assurer pérennisation.

Un autre projet est envisagé et ne nécessiterait pas la construction d’un nouvel ouvrage.

2. Le projet de prélèvements en eau dans le lac du Chambon

Outre les prélèvements directs dans la ressource en eau ou dans les retenues d’altitude, la neige de culture peut provenir de prélèvements effectués dans des barrages servant à la production d’hydroélectricité.

Dans la vallée de la Romanche, à fort potentiel hydroélectrique en raison de ses fortes pentes propices aux chutes, sept usines d’hydroélectricité sont installées entre 1899 et 1914 entre Séchilienne et Bourg d’Oisans. En 1935, sur le territoire des communes de Mont de Lans, du Freney d’Oisans et de Mizoën, le barrage du Chambon est achevé. Situé à 1.044 mètres d’altitude, ce barrage a pris sa place dans un étranglement naturel qui domine les gorges de la Romanche. Malgré une capacité de retenue de 50 millions de m3, il n’a pas comme vocation première de produire directement de l’électricité. Il a été construit pour la régulation des débits naturels de la Romanche, aux fortes variations entre l’hiver et l’été lors de la fonte des neiges et des glaciers. Il permet ainsi de lutter contre les crues redoutables et d’assurer une alimentation régulière des nombreuses usines hydrauliques établies en aval au fil de la Romanche. Il sera tout de même équipé quelques années plus tard d’une petite centrale électrique qui fonctionnera jusqu’au début des années quatre-vingt.

Le maire de la commune de Mont de Lans étudie actuellement avec l’entreprise EDF la possibilité d’utiliser l’eau du barrage du Chambon afin d’alimenter les enneigeurs de la station des Deux Alpes. L’objectif serait de pomper une partie de l’eau du barrage afin d’éviter la création d’une nouvelle retenue d’altitude. Sur le cours d’eau reliant les pistes au barrage, des mini centrales électriques pourraient être créées. Cette électricité serait revendue à l’entreprise Edf. Il s’agirait ainsi de réaliser une opération blanche permettant de couvrir les investissements nécessaires à cette opération. La loi sur l’eau imposant un débit réservé des cours d’eau, il n’est pas possible en pratique de prendre de l’eau dans les ruisseaux. En pompant de l’eau dans un ouvrage déjà existant, aucune atteinte supplémentaire ne serait portée aux milieux aquatiques.

Ce type de projet serait sans doute moins destructeur pour les milieux naturels, mais il est seulement à l’étude pour l’instant. L’état d’avancement du projet de la Mura sera sans doute déterminant.