
Les impacts de l'obsolescence programmée
Par David MAIA
Ingenieur Sécurité
Cofely GDF-SUEZ
Posté le: 02/09/2013 23:17
Introduction:
Le progrès technique offre toute sorte d'avantages. Cependant, il présente un défaut majeur, il favorise l'obsolescence programmée. Cette dernière correspond au fait, pour un producteur, de limiter volontairement la durée de vie d'un produit manufacturé afin d'améliorer son taux de renouvellement. En effet, un producteur a tout intérêt à écouler un maximum de ses produits. Cette affirmation est d'autant plus vraie que leur mise au point a nécessité d'important coût de recherche et développement. Or, dans un contexte où les produits sont très fiabilisés, le marché arrive rapidement à saturation et l'entreprise ne réalise plus de profits. Les industriels établissent donc des modèles économico-statistiques leur permettant de déterminer la période moyenne d'usage souhaitable des produits qu'ils mettent en vente. Il peuvent, ainsi, maintenir voire augmenter la demande grâce à un renouvellement programmé. Cependant, si cette méthode est efficace d'un point de vue économique, elle est particulièrement néfaste pour l'environnement. En effet, la diminution du temps de vie d'un produits manufacturé entraîne une augmentation de la production de déchets. De plus, l'augmentation de la production de ces mêmes produits entraîne une augmentation d niveaux d'émissions polluantes (GES, ....) ainsi que de la consommation d'énergie. Elle entraîne, par ailleurs, une augmentation de la productions de déchets industriels et contribue à la raréfaction de certaines matières premières.
Techniques d'obsolescence:
La première technique d'obsolescence programmée recensée date des années 1930, lorsqu’un ingénieur proposa à son employeur, spécialisé dans la production d'ampoules, d'augmenter l'intensité des lampes sans augmenter la capacité des piles. Ceci entraîna une usure plus importante des ampoules et avança donc la date de leur renouvellement. Depuis, la méthode s'est généralisée et de nombreuses autres techniques ont fait leur apparition. Parmi ces dernières, on peut citer, la dégradation rapide de l'équipement en lui-même (cas de l'ampoule), la dégradation rapide d'un composant essentiel de l'équipement (batteries de certains smartphones), la création d'un nouveau besoin (développement de nouvelles utilisations, cas, une fois encore, des smartphones), la modification des codes esthétiques (en particulier pour les équipements vecteur d'image sociale tels que les voitures) et l'incompatibilité volontaire de composants annexe avec un équipement considéré comme ayant atteint sa date d'obsolescence. C'est notamment le cas des logiciels et programmes informatiques qui sont conçus de manière à être incompatible avec les ordinateurs les plus anciens. Ceci permet de fortement induire leur renouvellement.
Impacts environnementaux:
l'obsolescence programmée, de par le fait qu'elle entraîne une sur-production d’équipements, impacte très fortement l'environnement. En effet, elle entraîne la sur-consommation de ressources naturelles telles que les métaux. Or ces-dernières ne sont pas inépuisables. Elles se dirigent donc à une vitesse accrue vers leur seuil de rareté. Or selon l'adage, ce qui est rare est cher. Le prix de ces ressources risque alors de fortement augmenter entraînant une accentuation des déséquilibres économiques et des conflits liés au contrôle des gisements. Par ailleurs, cette raréfaction non-maitrisée risque d'amener les industriels à aller chercher ces ressources dans des zones toujours plus inaccessibles tels que les sous-sols profonds. Ceci nécessitant l'utilisation de méthodes très destructrices pour l'environnement, notamment les forêts, les sols et les sous-sols.
À l'heure actuelle, on considère qu'il faudrait trois planètes si tout le monde vivait comme un européen et 8 planètes si tout le monde vivait comme un américain.
un français, par exemple, produit en moyenne 543kg de déchets dont 15 à 20 kg de DEE chaque année, tandis que la consommation mondiale de matière première s'élève à 60 milliards de tonnes par an.
Un autre aspect nocif pour l'environnement lié à l'obsolescence programmée est le problème des déchets électriques et électroniques (DEE). En effet, le stockage sauvage des DEE entraîne l'émanation d'une grande quantité de polluants liquides et gazeux. En effet, lorsqu'il ne reste rien à récupérer, une grande parties des déchets est incinéré. Or cela entraîne la libération dans l'atmosphère de nombreux composés dangereux pour les écosystèmes et les populations. Par ailleurs, les déchets reste parfois stockés plusieurs mois avant d'être incinérés ce qui les exposent à l'humidité et aux précipitations. Or, le contact de l'eau et de l'air entraîne une dégradation de certains matériaux. À cela s'ajoute le fait que l'eau de par son ruissellement est un excellent mélangeur et transporteur pour les composés toxiques issues de cette dégradation. Ces-derniers, s'infiltrent alors dans le sol et dans les nappes phréatiques. Certaines zones sont ainsi saturées en surface et en profondeur de polluants lourds d'autant plus dangereux qu'ils sont mélangés.
Les impacts sociaux négatifs de l'obsolescence programmée:
Impact social de l'obsolescence programmé dans les pays consommateurs d'équipements:
L'impact environnemental n'est pas le seul désagrément de l'obsolescence programmée. En effet, ce phénomène a aussi de lourdes conséquences sociales.
En effet, cette obligation de renouveler régulièrement ses équipements à un impact non négligeable sur le bien être économique des couches les plus pauvres de la population. Prenons l'exemple d'une machine à laver, si le propriétaire doit la renouveler tous les 5 ans au lieu de la renouveler tous les dix ans, il paye deux fois plus cher sur une période de 10 ans pour un service identique, sans gain de confort. Ce constat est à multiplier par le nombre d'objet à renouveler régulièrement. Celui qui ne peut remplacer ses objets faute de moyens est contraint de réduire son confort de vie ou de s'endetter (réduisant, ainsi, son confort économique). Ceci peut être générateur d'un stress qui à un rôle dans l'apparition et le maintient de troubles psychosociaux. (dépression, isolement, etc...)
Il existe un autre effet pervers dans cette situation. En effet, une fois le consommateur contraint à changer ses équipements, un industriel doit l’amener à choisir sa marque plutôt que celle d'un autre. Pour ce faire, il passe par l'utilisation plus ou moins massive de publicités. Mais en renvoyant une image socialement avantageuse de l'utilisateur de leurs produits, dans le cadre des publicités, les industriels créent un mal être pour les personnes dont les finances ne permettent pas l'accès à ces produits. Il en résulte un mal aise social ainsi qu'une dégradation du niveau d'estime personnelle que ses personnes s'accordent. Ceci peut entraîner ou aggraver de nombreux troubles psychosociaux et notamment les tendances dépressives.
Par ailleurs, cette publicité massive contribue à la généralisation d'un consumérisme exacerbé au sein de la population. En effet, la profusion de produits concurrents amène les industriels à chercher à se démarquer. Pour ce faire, lorsque la qualité du service rendu est comparable à ce qui est proposé par la concurrence, les industriels ont recours à la mise en avant de gadgets non essentiel au service. Or certains consommateurs sont particulièrement sensibles à ces gadgets et sont prêts à renouveler leur équipements avant leur fin de vie afin d'acquérir un modèle plus récent offrant plus de fonctionnalités. Le problème est que ces gadgets ont un poids écologique non négligeable de par le fait qu'il représente un surplus de production et donc de consommation de ressources et d'énergie et parce qu’ils représente de futur déchets électriques et électroniques. D'autre part, en induisant un renouvellement plus rapide des équipements, ils favorisent leur surproduction avec toutes les conséquences néfastes que cela implique au niveau environnemental. (consommation d'énergie et de ressources, pollution, émission de GES, production de déchets etc...).
par ailleurs, le développement de ce consumérisme au sein de la population freine la transmission des messages de bonne pratique environnementale. En effet, ces messages entrent en concurrence avec ceux renvoyés par la publicité. Or, comme nous l'avons vu, une partie de l'image que le consommateur pense projeter est liée à ce qu'il perçoit dans ces publicité. On obtient ainsi une forme de concurrence entre l'aisance sociale (image projetée) et l’intérêt écologique. Cette concurrence est très néfaste car l'être humain en tant qu'animal grégaire accorde une grande importance à son positionnement social dont l'image est une composante importante. (une grande partie de la population préférera, à coût équivalent, acheter une voiture très énergivore mais statutaire plutôt qu'un véhicule plus sobre mais qui ne renvoie pas une image socialement valorisante).
Impact sur les population des pays en voie de développement:
Comme nous l'avons vu, l'obsolescence programmée est source de désagrément d'ordre sociaux dans les pays développés. Mais elle impacte aussi les pays en développement puisque, plutôt que de traiter les déchets, de nombreux industriels préfèrent les stocker dans des pays ou la législation est moins dure. Ceci est une source de graves problèmes aux lourdes conséquences sociales.
En effet, les matières premières utilisées pour la fabrication des équipements peuvent être récupérées une fois le produits devenu un déchet. Ainsi, une véritable économie liée au commerce des métaux récupérés sur des équipements électroniques usagés s'est mise en place dans les pays receveurs de déchets. En effet, la récupération de ces métaux est une source de revenu intéressantes pour les populations les plus pauvres de ces pays. Dans le même temps, les industriels peuvent, en les rachetant, récupérer ces matières premières sans avoir eu à les traiter eux-même. À première vue, tout le monde y gagne. Cependant, il faut considérer les conditions dans lesquelles les personnes (hommes, femmes et enfants) qui récupèrent ces matériaux travaillent. En effet, le gain qu'ils peuvent en tirer les poussent à se mettre dans des situations allant à l'encontre des règles les plus élémentaires de sécurité. Ainsi, ils travaillent de nombreuses heures dans des décharges sauvages qui constituent un environnement très abrasif et à très fort potentiel infectieux, en présence d'animaux vecteurs de graves maladies (rongeurs, oiseaux etc...). Ils manipulent, par ailleurs des objets parfois très lourds et sont exposés au risque d'être percutés par un engin de chantier au travail. De plus, cela engendre une forte criminalité du fait des tensions liées à la concurrence entre ces personnes. Enfin, ils sont exposés à de nombreux polluants issues des composants électroniques (métaux lourds, vapeurs etc...) notamment au moment de l'incinération des déchets.
Par ailleurs, cette économie contribue à la déscolarisation d'une partie des enfants de ces populations. En effet, ces derniers sont envoyés à la décharge plutôt qu'à l'école par leurs parents afin qu'ils puissent contribuer au revenu du foyer.
Par ailleurs, les déchets en eux-mêmes ne sont pas les seules causes de problèmes sociaux liés aux DEE. En effet, les matières premières minérales utilisées pour la fabrication des équipements électroniques se trouvent majoritairement dans les régions pauvres du globe, parfois dans ces mêmes pays qui recevront les déchets. Ceci entraîne un grand nombre d'abus de la part des sociétés qui exploitent ces ressources vis-à -vis de la sécurité des travailleurs qui sont obligés d'accepter de travailler dans des conditions déplorables.
L'obsolescence programmée dans l'actualité juridique:
Fort de ces constats, le groupe Europe écologie les verts, représenté par le député Jean-Vincent Placé, à déposé, le 18/03/2013, une proposition de loi dans le but de faire reconnaître le délit d'obsolescence programmée. Cette proposition, avait l'ambition de s'inscrire dans la cadre de la loi sur la consommation pilotée par Benoît Hamon et adoptée par les députés le 03/07/2013. Cette proposition prévoyait, notamment, d'étendre la durée légale de garantie de conformité à deux ans. Finalement, ce projet n'a pas été retenu dans le cadre de la loi Hamon qui à malgré tout augmenté ce délai qui passe ainsi de six mois à un an. Le délit d'obsolescence programmée n'est lui non plus par retenu par la loi Hamon.
L'obsolescence programmée est une réalité moderne aux conséquences potentielles aussi importantes que préjudiciables pour l'environnement au sens large. Fort heureusement des solutions existent et des hommes politiques, à l'image de Jean-Vincent Placé, souhaitent d'ores et déjà prendre des engagements pour combattre ce problème. Malheureusement, la mise en œuvre de ces solutions se heurte à des intérêts financiers particulièrement importants et à la culture consumériste des pays développés. Une prise de conscience collective et salutaire fera-t-elle surface? L'avenir nous le dira.