
L’exploitant, débiteur principal de l’obligation de remise en état d’une installation classée après sa cessation d’activité : exceptions
Par Marion ZALOGA
Juriste QSE - Chargee Veille Reglementaire
SNCF - Technicentre Atlantique
Posté le: 29/08/2013 14:37
Les différentes jurisprudences et législations justifiant le fait que le dernier exploitant est le débiteur principal de l’obligation de remise en état, démontrent que la notion d’exploitant tend à être définie le plus strictement possible pour ne pas être confondue avec d’autres. Toutefois, cette notion d’obligation de remise en état d’une installation classée après sa cessation d’activité incombant au débiteur unique en la personne de l’exploitant semble souffrir de quelques exceptions. Quid des notions de propriétaire et de détenteur (I), et du devenir de l’obligation de remise en état (II) ?
I. Le détenteur et le propriétaire comme débiteurs subsidiaires de l’obligation de remise en état ?
Parallèlement à cette notion d’exploitant, celle de « propriétaire détenteur » a été promu par un courant de la jurisprudence. Il a été question de faire porter à titre subsidiaire la charge de l’obligation de remise en état à un autre acteur que l’exploitant. Cette volonté n’est pas récente puisqu’elle s’illustrait déjà à travers un arrêt du tribunal administratif d’Amiens du 22 avril 1986, arrêt « SEIC contre Ministère de l’environnement », qui avait tenté à l’époque de faire entendre l’obligation de remise en état d’un détenteur d’une carrière. Plus tard, le 2 juin 1997, la cour administration d’appel de Lyon avait considéré dans un arrêt « ZOEGGER » qu’en l’espèce, le détenteur du site était en réalité le débiteur de l’obligation de remise en état. La cour avait justifiait ses propos comme tel : « les travaux de remise en état du site et d'élimination des déchets en cause incombaient - à défaut d'exploitant présent et solvable - au propriétaire du site pris en sa qualité de détenteur de l'installation classée, alors même que celui-ci n'avait jamais exercé l'activité industrielle à l'origine des dangers ». Cette nouvelle façon de penser le débiteur de l’obligation de remise en état avait été par la suite appuyée par une circulaire de 1999.
Mais ce courant jurisprudentiel s’est vu stoppé dans son élan, dans un premier temps par un arrêt du tribunal administratif de Paris du 22 novembre 2001, l’affaire « tube de Montreuil », qui a refusé strictement la mise en cause du détenteur de l’installation classée, puis dans un second temps par le Conseil d’Etat qui a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt « Alusuisse » du 8 juillet 2005. Le Conseil d’Etat estimait quant à lui que l’obligation pèse uniquement sur l’ancien exploitant ou son ayant droit. La seule possibilité pour l’exploitant de se décharger de son obligation reste alors la cession régulière, sans quoi la qualité d’exploitant ne peut être reconnue à aucun détenteur.
De même, tant que le propriétaire n’est pas considéré régulièrement comme exploitant au regard de l’autorité administrative (via une sanction administrative), le préfet ne pourra remettre à sa charge les obligations de remise en état (arrêt Conseil d’Etat « SCI les Peupliers », 21 février 1997 et arrêt Conseil d’Etat « Société Watellez », 26 juillet 2011).
Toutefois, dans la fragilité de ce régime, il est de prendre en considération une décision du 23 novembre 2011 (n°325332) selon laquelle le Conseil d’Etat a estimé que le propriétaire d’un terrain pollué était responsable de la dépollution de ce site en sa qualité de « détenteur des déchets », alors même qu’il n’a jamais eu la qualité d’exploitant d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). C’est alors dans ce cas particulier d’absence de détenteur de déchets connu et donc par extrapolation d’exploitant, que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut être apprécié comme leur détenteur au sens de l’article L541-2 du Code de l’environnement (notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain, et s’il est étranger à ces pollutions).
Par conséquent, il peut être observé que le régime concernant l’obligation de remise en état d’un site après la cessation d’activité de l’installation classée ayant provoqué des nuisances n’est pas encore stable. Et qu’au regard des carences et divergences jurisprudentielles et législatives sur la notion de débiteur de l’obligation (l’exploitant et/ ou le détenteur et/ou le propriétaire), le droit des déchets prend alors le dessus sur celui des installations classées pour la protection de l’environnement.
Dernièrement, le Conseil d’Etat est venu tout de même affirmer dans deux arrêts du 1er mars 2013 que la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets « ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparait que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu ». Ceci semble alors être la dernière position à adopter face à un terrain pollué antérieurement occupé par une installation classée, tout en privilégiant l’exploitant comme débiteur principal de cette obligation de remise en état.
II. La création de nouveaux débiteurs de l’obligation de remise en état ?
A l’égard de ces diverses contradictions et flottements, une attention particulière doit être portée sur le projet de loi sur le « logement, l’urbanisme et la ville » annoncé au début de l’année 2013 par la ministre de l’Egalité des Territoire et du Logement, Cécile Duflot. Celui-ci pourrait comporter un volet sur les sols pollués, et notamment la création du principe du « tiers payeur ». Selon ce principe, une personne, autre que le dernier exploitant d’un site accueillant une ou des installations classées pourrait prendre à sa charge les opérations de remise en état. Ce transfert d’obligation serait prévu par un nouvel article L512-21, introduit dans le Code de l’environnement, et serait accordé à un tiers qui en fait la demande. Il reviendrait alors au dernier exploitant de consentir à ce transfert d’obligation par écrit, pour « l’usage envisagé par le demandeur ».
De plus, selon ce projet de loi, un article L556-1 pourrait être également ajouté au code de l’environnement pour déterminer le responsable de la remise en état du site par « ordre de priorité ». Ceci reviendrait à hiérarchiser les responsabilités de chacun entre le dernier exploitant de l’installation à l’origine de la pollution des sols, celles de son ayant droit (qui serait alors le « tiers payeur »), ou celle du maitre de l’ouvrage, à l’initiative du changement d’usage.
Pour faire une scission avec le doit des déchets, le projet de loi souligne que si la pollution n’est pas le fait de l’exploitation d’une installation classée, alors, c’est la responsabilité du producteur des déchets qui sera recherchée, celui-ci pouvant être différent de l’exploitant de l’installation, ou celle du détenteur desdits déchets qui auront contribué à la pollution des sols et des sous-sols.
Enfin, et à défaut de tête sur laquelle pourra reposer l’obligation de remise en état, le projet de loi conforte la jurisprudence récente en acceptant de rechercher à titre très subsidiaire la responsabilité du propriétaire de d’exploitation (arrêt 3ème civile, cour de cassation n° 860 du 11 juillet 2012 (11-10.478) ; arrêt le Conseil d'Etat « Wattelez II » du 26 juillet 2011 ; arrêt Cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er mars 2012). En effet, à défaut de d’exploitant, de détenteur de l’exploitation ou encore de détenteur de déchets, il reviendra au propriétaire de l’installation l’obligation de mise en sécurité du site après la cessation de l’activité, ainsi que la remise en état du site. Ceci conforte également l’idée selon laquelle l’Etat, l’ADEME et les collectivités doivent être actionnées en tout dernier ressort.
Bien que ce projet de loi semble apporter une solution claire à ce débat vieux d’une vingtaine d’année, l’avocat Arnaud Gossement souligne toutefois le fait que la création d’un tel principe de « tiers payeur », pourrait engendrer la création de sociétés « lessiveuses », dont l’objet serait « d’autoriser l’auteur d’une pollution de sols à échapper à ses obligations de remise en état ». Ceci serait alors constitutif d’une certaine insécurité juridique face à de nouvelles entreprises, liées au droit des installations classées par le seul rachat de l’obligation de remise en étant pesant ab initio sur l’exploitant, débiteur unique et premier de cette obligation.