
Bail vert, annexe environnementale et obligations de travaux ne sont pas toujours compatibles avec la notion d’équilibre contractuel :
Par Aude COSNIER
Juriste environnement et urbanisme Aeroports de Paris
Aeroports de Paris (ADP)
Posté le: 28/08/2013 15:58
Comme l’explique B. WERTENSCHLAG , l'article 5-III de la loi Grenelle 1 prévoyait que l'Etat inciterait bailleurs et locataires à engager une concertation pour déterminer les modalités de partage des économies d'énergie réalisées grâce à des travaux permettant de générer des économies d'énergie ou un recours à des énergies renouvelables. Selon cet auteur, ce texte vient placer le bail, contrat de droit privé, au service de la poursuite de l'objectif de développement durable ''visant à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs (article L110-1 du code de l'environnement). Cette technique législative n'est pas nouvelle''.
En effet, l'auteur rappelle le précédent que constitue l'article L514-20 du code de l'environnement obligeant les vendeurs de sites où ont été exercées des activités soumises au régime d'autorisation au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement, à informer l'acheteur des nuisances ou dangers pouvant en résulter.
Ce procédé ''d'instrumentalisation des contrats de droit privé au profit d'une cause d'intérêt général '' se retrouve également dans le mécanisme des contrats de performance énergétique prévue par la réglementation européenne . Mais, comme le souligne cet auteur, ''le développement de cette technique, par laquelle les acteurs privés sont sensés prendre le relais d'une politique publique (remise en état des sols, sécurité sanitaire, lutte contre le réchauffement climatique) aboutit à des contrats hybrides, dans le sens où ils poursuivent deux objectifs distincts, sinon contradictoires : organiser la livraison d'une prestation moyennant le paiement d'un prix (et) satisfaire à un intérêt public qui excède l'objet du contrat''. "Aucune évaluation n'a d'ailleurs été faite de l'efficacité de cette technique'' d'autant plus qu'il ''est pour l'instant acquis, pour prendre l'exemple de la seule législation des diagnostiques techniques, que cette confiance faite au marché a suscité une inflation des contentieux privés en la matière".
L’annexe environnementale, dont l’ajout aux baux portant sur des surfaces de plus de 2000 m² utilisées comme bureaux ou commerces est rendu obligatoire par l’article L125-9 du Code de l’environnement, est elle aussi dans la droite ligne de cette technique. Celle-ci impose une évolution majeure de la relation bailleur/locataire : la prise en compte de la performance énergétique et environnementale du bâtiment objet du bail. Seulement, faut-il le rappeler, l’objet de celui-ci n’est pas de réaliser des économies d’énergie. Il n’a absolument pas été conçu dans cette optique et son cadre juridique particulièrement dense et complexe ne favorise pas la mise en place d’objectifs ambitieux en matière d’amélioration des performances énergétiques et environnementales.
En effet, le cadre réglementaire régissant les baux et en particulier les obligations financières entre bailleurs et preneurs est particulièrement lourd. S’agissant précisément du montant des loyers, le principe est que les parties fixent librement le montant du loyer de départ, ainsi que la périodicité et le mode de paiement.
Le loyer peut faire l'objet d'une révision annuelle ou triennale. Par application de la règle du plafonnement du loyer, son augmentation sera calculée en fonction de la variation de l'indice de référence figurant dans le bail . Toutefois, cette règle du plafonnement n'est pas d'ordre public ; elle peut donc être écartée, en application du principe de l’autonomie de la volonté, en faveur d’une clause recettes. Le loyer suit alors les variations du prix d'un service, d'un indice ou bien du chiffre d'affaires du locataire. Les parties peuvent prévoir un montant minimum garanti au bailleur et, sauf accord des parties, la loi prévoit que le plafonnement ne s'applique pas aux baux portant sur des terrains, des locaux monovalents ni des bureaux. En ce qui concerne les charges, rien n’est fixé ; globalement la liberté contractuelle prime et ne souffre que de quelques limitations. Se pose alors la question est celle de savoir si, par le bail, le bailleur peut transférer la charge financière des travaux d’entretien et de réparation des locaux au preneur ?
Tout d’abord, dans le silence du contrat, toutes les réparations, quelle qu’en soit l’importance, doivent en principe être prises en charge par le Bailleur à partir du moment où elles sont prescrites par l’Autorité Administrative et répondent à un objectif de mise en conformité des locaux à la réglementation. Mais la jurisprudence admet cependant, sous certaines conditions, la libre négociation des parties à ce sujet. La charge des travaux de mise en conformité peut donc faire l’objet d’un transfert à la charge du preneur, si cela est explicitement prévu par le contrat de bail. Dans ce cas, le bail doit stipuler clairement que ‘’sont transférés au preneur les travaux de mise en conformité imposés par des prescriptions administratives comme par les règlements existants à la date d’entrée en jouissance et ceux qui adoptés par la suite’’.
Ainsi que l’explique Joy TOURET « dès lors que les clauses sont claires, il n’y aura pas de difficulté : ce transfert est effectif et valable pour la durée du bail quel que soit l’importance financière de cette charge pour le preneur » . Par conséquent, si un bail prévoit de telles clauses, les travaux encouragés par les dispositions relatives à l’instauration d’une annexe pourront se retrouver à la charge du preneur. Et ce d’autant plus que l’article L125-9 prévoit dans son alinéa 3 que « cette annexe environnementale peut prévoir les obligations qui s'imposent aux preneurs pour limiter la consommation énergétique des locaux concernés ». Or, il va de soi, puisque les baux sont des contrats de droit privé à titre onéreux, que les locataires voudront exiger des contreparties à ces engagements.
Toutefois, la formulation de cet article ne créée aucune obligation expresse à l’encontre du preneur, mais une simple faculté. Le sort des coûts liés à la mise en place de l’annexe verte, à l’adoption de mesures en faveur d’une amélioration des performances énergétiques des bâtiments et leurs éventuelles contreparties sera donc réglé par la libre négociation contractuelle.
Or, on l’a dit, celle-ci souffre de plusieurs limites. Joy TOURET précise en effet qu’« en matière de reconstruction de l’immeuble, quelles que soient les dispositions contractuelles convenues entre les parties, la jurisprudence a mis en place une limite au transfert de la charge de travaux sur la personne du Preneur. Par exemple, le Preneur ne paraît pas pouvoir être tenu de réaliser des travaux qui correspondraient à une véritable reconstruction, malgré l’engagement pris par lui aux termes du bail. Le bailleur ne peut, en effet, valablement mettre à la charge de son preneur tous les travaux affectant l’immeuble, au risque de vider l’obligation de délivrance de sa substance » .
Dans cette limite, c’est la liberté contractuelle qui prime mais les parties doivent également avoir sans cesse à l’esprit l’acceptation restrictive des clauses dérogatoires au droit commun par le juge. Cette acceptation restrictive découle de l’application de l’article 1162 Code civil qui impose à ce dernier d’interpréter une clause obscure dans un sens favorable au débiteur. Une clause de ce type pourra alors être interprétée favorablement au profit du preneur. Le juge sera notamment amené à écarter des stipulations peu claires ou imprécises et il exigera que les dérogations au droit commun invoquées par les parties soient expressément mentionnées dans le bail.
Il en sera de même en ce qui concerne spécifiquement le bail commercial puisque la législation spéciale relative à ce type de contrat (articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce) ne comporte pas de disposition spécifique aux répartitions du paiement des charges et réparations. Dans le silence de la législation spéciale relative au bail commercial ce sont les règles du Code civil qui ont vocation à s’appliquer pour ces questions. Or, celles-ci sont d’application supplétive de volonté. Par conséquent, la plupart des baux commerciaux répartissent librement le poids des charges entre bailleur et preneur. Ces baux peuvent ainsi instituer une règle de répartition des charges inspirée de celle, légale, applicable aux baux d’habitation (article 23 de la loi du 6 juillet 1989, article L. 442-3 du Code de la construction et de l’habitation pour le logement social) tout comme ils peuvent tout aussi bien stipuler que le preneur supporte l’intégralité des charges.
On comprend que la répartition des charges, devant être organisée par les baux, s’avère toujours très complexe et l’objet d’intenses négociations, compte tenu des enjeux financiers.
En ce qui concerne précisément les conséquences de l’adoption d’une annexe environnementale, quelque soit le type de bail auquel elle sera accolée, plusieurs auteurs soulignent l’absence de recul sur le fonctionnement des mécanismes de révision des loyers et de répartition des charges qui pourraient être adoptés à cette occasion . Et, comme le souligne François-Régis FABRE-FALRET , « il est clair que le contenu de l’annexe « verte » variera grandement, selon que les locaux loués seront neufs ou anciens et selon qu’il sera nécessaire, ou non, d’en effectuer une remise aux normes. Les négociations entre bailleurs et preneurs seront d’autant plus ardues que les efforts à fournir seront importants, tant pour la remise aux normes des bâtiments existants que pour le maintien ou l’amélioration des locaux neufs, ou encore pour permettre la conservation des labels environnementaux initialement obtenus ».
Plusieurs auteurs y voient également l’occasion de moduler le loyer à la hausse ou à la baisse, pour le bailleur ou pour l’usager, en fonction de l’implication de chacun et des résultats enregistrés. Ils expliquent que les clauses prévues par l’annexe environnementale peuvent être, notamment :
- une obligation du bailleur en termes d’amélioration du bâtiment dans le temps, de maintien des équipements et des systèmes fluides en bon état,
- d’éventuelles obligations du preneur à réaliser des travaux d’amélioration énergétique, hygrothermique et du confort au regard des cibles Haute Qualité Environnementale,
- la révision du loyer en fonction des performances énergétiques obtenues (capteurs et mesures à l’appui), une pénalisation du locataire n’atteignant pas ses objectifs et des bonus en cas de dépassement,
- toute mesure favorisant la mise en valeur du bien immobilier tout en réduisant les factures énergétiques et en améliorant le confort de travail des occupant (acoustique, visuel, sanitaire…) .
Si les grands utilisateurs de surfaces conséquentes auront certainement suffisamment de force ou d'importance économique pour peser dans les négociations avec les bailleurs et imposer que les coûts des progrès en faveur de l’environnement et de l’amélioration de l’efficacité énergétique soient supportés à frais partagés, cette logique semble en revanche bien moins évidente pour les locataires de plus petites surfaces, qui sont nombreux à se voir imposer, depuis plusieurs années, un loyer net de charges non négociable par des propriétaires souvent en position de force.