La France compte parmi les grands pays amateurs de viande porcine. La qualité organoleptique de cette denrée est donc un enjeux agroalimentaire important. Cependant, assurer cette qualité passe parfois par des pratiques que l'éthique peut désapprouver. Un exemple de ces pratiques est la castration à vif des porcelets.



Contexte:

La viande de porc est la plus consommée dans le monde. L'Europe et la France ne dérogent pas à cette règle. En effet elle représente à l'heure actuelle 39% des apports carnés d'un français soit 34,3 kg de viande (en équivalent carcasse EC) en un an. Cette proportion est par ailleurs en augmentation globale sur les dernières décennies (30,7 kg EC il y a 40 ans). Cela représente 2,2 MT/an.
Pour répondre à cette demande, on compte en France 25 000 000 animaux répartis dans 23 000 élevages. Ces derniers contiennent généralement aux alentours de 170 animaux ce qui est faible au regard des moyennes mondiales. (plusieurs milliers dans certains cas). Ce type d'élevage est favorable au bien être de l'animal. Paradoxalement, la France est l'un des seuls pays d’Europe à toujours pratiquer la castration à vif sur les porcelets (pratique apparue durant la période de l'après-guerre pour répondre aux exigences de la production industrielle).
En effet, il existe une particularité des porcs incompatible avec la logique industrielle. Ainsi, certains mâles entiers (non castrés) et pubères ont une viande qui dispose d'une odeur spécifique du fait de la concentration en scatol et en androsténone. Le scatol est une substance produite par les intestins des porcs et qui a tendance à s'accumuler dans la graisse des porcs mâles entiers. L'androsténone, est quant à elle formée dans les testicules.
On parle d'odeur de verrat. Cette odeur est réputée être un mélange de sueurs et de déchets organique. Cela ne concerne cependant qu'une minorité d'individus, de 5 à 20%, et est largement influencé par les conditions d'élevage, l'alimentation, l'âge, la race, poids etc... par ailleurs, notons que la moitié seulement de la population française manifeste une sensibilité à cette odeur.
Le risque de perdre une partie de la production est cependant suffisant pour que 80% des porcelets mâles soient castrés en UE (environ 100 000 000 d'individus). En France ce chiffre approche les 100%.

L'évolution de notre société amène le consommateur à être de plus en plus exigeant en matière de bien être animal et d'éthique d'une manière générale. Dans le même temps il reste demandeur de prix réduits car la viande de porc bénéficie d'une image de viande "du quotidien". On observe ainsi qu'environ 15% de la viande de porc est vendue dans des enseignes hard-discount).
Par ailleurs, les exigences de performance environnementale se durcissent tandis que les progrès scientifiques et techniques apportent de nouvelles solutions.
Face a ces problématiques, la filière porcine française et le législateur réfléchissent à de nouvelles pratiques.
A titre d'exemple, les porcs entiers produisent moins de matières fécales. Or le lisier, notamment du fait de sa teneur en azote, est l'un des grands enjeux environnementaux liés à la filière porcine. L'élevage de porc entier trouve donc, ici, une justification environnementale.
Mais la performance environnementale n'est pas le seul enjeux. L'économie joue aussi un rôle déterminant.
La encore, les partisans de l'élevage de porcs entiers trouvent des arguments.
En effet, les porcelets castrés sont plus sensibles aux infections ce qui entraîne un plus forte administration d'antibiotiques. Ceci représente un coût et une charge supplémentaire pour l'éleveur ainsi qu'un risque difficilement mesurable pour la santé du consommateur.
De plus, la castration pose le problème du coup de l'anesthésie pour les petites exploitations et des conséquences de la persistance de ces substances dans la viande.
Ces raisons économiques font que les îles britanniques, à titre d’exemple, ont, depuis plusieurs décennies, abandonnées la castration des porcs.
Un autre de leurs arguments est la réduction globale de la souffrance.
En effet, aucun élément scientifiquement validé ne laisse penser qu'un porcelet est moins sensible à la douleur qu'un animal adulte.
De plus, les problèmes de souffrance liés à la castration des porcs ne se limitent pas à l'animal. En effet, la compassion est un mécanisme sociale présent chez l'humain. Elle fonctionne par un système de stimulus-réponse. Ces stimuli (sonores, visuelles, olfactifs, comportementaux etc...) peuvent être produit par d'autres animaux sous des formes suffisamment proche de celles utilisées par l'humain pour induire une réponse. En fonction de la façon dont il perçoit ces stimuli, chaque individu développera un degré de compassion différend. Ceci explique que de nombreux éleveurs appréhendent le moment de la castration. Ceci peut être un important facteur de stress pour eux. Par ailleurs, cela peut nuire à la qualité de l'opération et parfois induire des comportements volontairement contraires à l'éthique dans une logique de surcompensation émotionnelle.
La castration chimique peut être moins agressive pour le système émotionnelle de l'éleveur. Cependant, elle peut induire la peur de l'auto-injection accidentelle. Par ailleurs, il s'agit d'une tache physiquement difficile et la peur de se blesser peut aussi constituer un stress pour l'éleveur.
Enfin, d'un point de vue physique, cette tache est très difficile est de nombreux éleveur se plaignent de problèmes articulaires, notamment dorsaux. D'autant plus, qu'ils travaillent dans un milieu extrêmement bruyant et malodorant qui peut, en complément, devenir suffoquant en cas de chaleur.

Vers une évolution réglementaire:

C'est dans ce contexte que l'UE, en concertation avec les représentants de la filière porcine, s'est fixé pour objectif d'arriver à la fin de la castration physique des porcs d'ici 2018, à la condition de trouver des solutions viables pour combattre l'odeur de verrat.
En effet, cette odeur reste une problématique importante pour les producteurs puisque, selon le règlement CE 854/2004, la viande imprégnée d'une odeur de verrat peut être déclarée comme étant impropre à la consommation.

Malgré cela, certains industriels ont pris de l'avance et proposent de la viande de porcs mâles entiers depuis mars 2013.
Par ailleurs, depuis 2012, les carcasses labellisées viande de porc française "VPF" sont issues d'animaux à qui un anti-douleur a été donné après la castration.
Notons que La castration sans anesthésie est interdite en Norvège depuis 2002 et en Suisse depuis 2010.

Quelles conséquences pour la filière?:

Comme nous l'avons vu, l'UE semble soucieuse d'améliorer sa prise en compte du bien être des porcins d'élevage. Ceci pose cependant une difficulté pour la filière qui va devoir chercher à innover pour concilier les attentes de l'UE et celles des clients. Quels pistes peut elle suivre pour atteindre ces objectifs? Quels sont les inconvénients? Quels bénéfices peut elle en tirer?

L’élevage de porcs entiers:

En premier lieu, il est possible de ne rien faire de particulier à condition de pouvoir détecter l'odeur de verrat avant que la carcasse n'intègre le circuit de la viande fraîche. Elle peut en effet sans problème être utilisée pour l'élaboration de viande transformée (saucissons, pattés etc...). En effet les préparations à base de produits transformés sont composées de morceaux issus de plusieurs animaux ce qui dilue la viande imprégnée. De plus le processus de transformation en lui-même atténue l'odeur. Cette méthode de détection se doit d'être rapide efficace et économique. Seul la mise à contribution d'un professionnel formé est envisageable aujourd'hui ce qui n'est pas la meilleure solution d'un point de vue économiques. D'autant plus que la mise au point de systèmes automatiques ne sera pas finalisée avant plusieurs années bien qu'il existe des recherches avancées dans ce domaine, notamment en Norvège.

L'élevage de porcs entiers pourrait apporter, de plus, un autre avantage. En effet, les porcs mâle entiers ont une meilleure efficacité alimentaire car leurs concentrations en hormones mâle leur procure une meilleure assimilation des protéines. Ils sont moins gras (21% au lieu de 31%) et plus musclés. Il produisent donc une viande de meilleure qualité nutritionnelle et en plus grande quantité. Ce fait est un argument supplémentaire en faveur de l'élevage de porc entier dans un contexte économique d'augmentation du prix des céréales, aliments de bases des porcs.
De plus, même si les porcs entiers ont des besoins alimentaires spécifiques qu'il faut prendre en compte afin d'assurer leur bien être, il est possible, avec une alimentation particulière, de satisfaire leur appétit avec une ration inférieure à celle nécessaire aux spécimens castrés.

D'un autre coté, le risque d'apparition de l'odeur de verrat augmente avec le poids de l'animal. Il est donc possible de fortement limiter le risque en abattant l'animal plus tôt. C'est la solution adoptée en Angleterre ou en Irlande. Cependant, cette solution contrebalance les avantages liés à la meilleure production de viande présentés plus haut.
De plus, selon les premières expérimentations qui ne permettent pas encore de conclure, les porcs mâles entiers sont plus agressifs et donc plus sujets aux blessures qui abîment l'animal ainsi qu'à la résistance envers l'éleveur. Ce constat est néanmoins atténué lorsque l'on stoppe le rationnement et que l'on passe à un régime à volonté. Cependant, le prix de la tonne d'aliment pour cochon se situe aux alentours de 300 euros en 2013 et à plus que doublé en 5 ans. Il est donc difficile de déterminer le coût supplémentaire que ce mode d'alimentation représenterait pour les éleveurs. Ce coût pourrait, en fonction de ce qui sera négocié avec l’état et les distributeurs, être répercuté sur l'acheteur au travers d'une augmentation générale du prix des denrées alimentaires à base de porc. De même dans des mesures plus ou moins importantes pour les produits non alimentaires (cuir, médicaments, etc...). On risque donc d'assister à une opposition entre les intérêts économiques et éthiques.

Pour contourner ce problème, certains groupe industriels (notamment aux USA) préconisent l'élevage de porcs entiers génétiquement sélectionnés pour leur faible production d'androsténone ainsi que l'alimentation adaptée plus riche en amidon et en chicorée. Cette solution semble prometteuse. Cependant, les individus sont moins fertiles ce qui complique leur production à très grande échelle.

Cette solution a été envisagée car on sait aujourd'hui que le risque d'apparition de l'odeur de verrat peut être réduit par des facteurs environnementaux tels que l'alimentation ou la race de l'animal.
Ceci ouvre, par ailleurs, la voie à d'autre solutions:

D'un point de vue organisationnel, il est possible de séparer les mâles des femelles dans les grands élevages ce qui retarde la puberté des mâles.
De plus, l'odeur de verrat à plus de chances d’apparaître lorsque l'animal se roule régulièrement dans ses propres déjections. Ce comportement permet à l'animal de réguler sa température. Une solution envisageable est donc de permettre aux animaux de réguler leur température par un autre moyen. C'est une piste suivie au Danemark dont la loi impose qu'une douche ou autre moyen de thermorégulation doit être prévu pour les porcs pesant plus de 20kg.

Enfin, la production de scatol est liée au fonctions digestive qui est elle même liée au niveau de stress ressenti par l'animal. Amélioré son bien être, en plus de répondre à des problématique éthique est aussi un moyen d'améliorer la qualité de la viande.

La castration chimique:

Outre l'élevage de porcs entiers, il est possible d'envisager la castration chimique, solution choisie par certains pays tels que l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Cette solution nécessite l'emploi d'un vaccin, développé par Pfizer, qui permet d'induire un sous-développement des gonades et ainsi une production moindre d'androsténone et une accumulation moindre du scatol dans les graisses. Cette solution est cependant controversée du fait du manque d'informations relatives aux conséquences de ce vaccin sur la santé du consommateur.

Ce vaccin, l'"improvac" a été autorisé à la mise sur le marché en UE le 11 mai 2009. Il est injecté en deux fois, la première à huit semaines et l'autre (au moins 4 semaines plus tard) quatre à six semaines avant l'abattage. Cependant, il est observé une augmentation importante de l'appétit de l'animal après la seconde ingestion. Peu d'études ont été menées, il semble cependant que le rationnement des ces animaux, à ce stade entraîne une augmentation des comportements agressifs et des blessures. Il semble donc qu'il convient de favoriser l'alimentation à volonté pour ces spécimens à ce stade ce qui représente un coût qui s'ajoute à celui de l'improvac et de son administration.

Par ailleurs, cette solution présente un autre inconvénient important. En effet, la vaccination entraîne un niveau de risque accrue pour l'éleveur qui doit manipuler des animaux adultes pour la deuxième vaccination tout en étant exposés au risque d'une auto-administration accidentelle dont les effets potentiels sont incertains.

L'anesthésie:

L'Allemagne et le Danemark ont, quant à eux, opté pour une autre solution, l'anesthésie.
Il existe deux types d'anesthésies, locale et générale. En France, les exploitations sont traditionnellement petites. Une obligation d'anesthésie est donc une charge potentielle importante pour les éleveurs français. Il est donc très probable qu'ils préféreront opter pour l'anesthésie locale même si l'anesthésie générale est plus performante pour l'animal, car elle est rapide et efficace. En effet, elle représente un coût direct important (supérieur à 1000euros) et des coûts indirects (temps de travail plus long, nécessité d'une formation pour le personnel etc...).


La production exclusive de femelles:

A l'heure actuelle, la palette de solution se termine avec la production exclusive de femelles. En effet, il est possible de sélectionner les spermatozoïdes des individus reproducteur afin de ne produire que des femelles. Cette solution est à l'étude et est déjà utilisé pour les élevages de bovins.
Si cette solution s'avère économiquement viable elle serait probablement le moyen le plus simple et le plus sur de régler le problème. Cette technique reste cependant, à l'heure actuelle, au stade de l'expérimentation pour ce qui est de l'application porcine.



Comme nous l'avons vu, l'UE souhaite harmoniser les pratiques des États membres en matière de castration porcine. Dans le prolongement de cette démarche, elle projette d'arriver à la fin de la castration physique d'ici 2018. Cette intention, louable sur le plan éthique, reste inféodée à la nécessité de trouver une solution au problème de l'odeur de verrat typique des porcs mâles entiers. Des solutions sont actuellement en cours d'étude et offrent des résultats plus ou moins prometteurs.
La France, bien qu'en retard au niveau des solutions existantes est tout à fait capable de mettre en place et d'améliorer les solutions proposées. Le pays des droits de l'homme est il en passe de devenir un peu plus un pays du droit des animaux? Affaire à suivre...